Plus de 22 ans plus tard, l’Estadio Azteca s’est levé une dernière fois la nuit dernière pour Cuauhtémoc Blanco. De son quartier de Tepito aux lumières mondiale, tout un peuple azulcrema saluait ainsi une dernière fois la dernière légende mexicaine.

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Estadio Azteca, janvier 2015. Une immense clameur envahit les tribunes du plus grand stade du pays. Pourtant, América ne parvient pas à marquer face à Puebla, actuel dernier du promedio et donc relégable (voir Mexique : les gros bras réagissent, Puebla s’effondre) et s’apprête à laisser deux nouveaux points en cours de route. Mais en cette 78e minute, les tracas de début de saison s’envolent. Sur le bord du terrain, malgré ses 42 ans, son physique loin des sommets d’autrefois et son pas lourdaud, Cuauhtémoc Blanco se prépare à entrer sur le terrain. La dernière légende aztèque vient faire ses adieux à un stade dans lequel il écrivit sa légende.

De Tepito à la conquête du monde

Né le 17 janvier 1973, Blanco grandit dans le quartier de Tepito, l’un des plus dangereux de la capitale mexicaine et passe le plus clair de son temps avec un ballon de foot dans les pieds. Enfilant les buts, il est alors repéré par Angel "Coca" González qui l’emmène à América, le géant mexicain. Cuau, 16 ans, intègre alors le programme de développement des jeunes Águilas et termine sa formation. L’heure des grands débuts est proche. Le 2 décembre 1992, au sein d’un América qui aligne Hugo Sánchez, Zaguinho et autres Gérman Martellotto, floqué du numéro 23, il effectue ses premières minutes en championnat face à León, laissant entrevoir ses qualités de percussion et de provocation. Il devra cependant attendre l’arrivée de Leo Beenhakker pour véritablement prendre son envol. Maintenu ensuite par Bielsa, Blanco gagne en régularité et devient un maillot essentiel de l’attaque des Águilas. L’Idolo del barrio de Tepito aux manettes du grand club mexicain, la belle histoire semble écrite d’avance. Cuau va alors connaître sa première grande désillusion. En conflit ouvert avec Ricardo La Volpe, Blanco voit sa belle progression freinée. Un an plus tard, il est prêté à Necaxa et en profite alors pour montrer son caractère.

Là où un footballeur quelconque se laisserait déprimer. Cuau tout au contraire en profite pour exploser de nouveau. Enchaînant buts sur buts, il propulse Necaxa à la finale du Verano 1998 et y gagne ainsi une place en sélection nationale. C’est avec elle que le monde du football va le découvrir. France 98, outre les maillots fluos du spectaculaire Jorge Campos et les buts de Luis « el Matador » Hernández (son coéquipier à Necaxa), la France découvre un ailier fou, inventeur du coup du crapaud, plus poétiquement appelé « Cuauhtemiña », et s’enflamme pour une sélection mexicaine qui tombe en huitièmes sur le fil face à l’Allemagne. Blanco est alors au sommet de son art, le gamin du barrio barrio de Tepito a le monde à ses pieds.

Echec européen et gloire nord-américaine

De retour à América, il ne s’arrête plus : 31 buts en 31 matchs lors des deux tournois suivant, il brille lors de la Coupe des Confédération 1999, contribuant par ses six buts au premier titre de la Tri. L’année suivante, il écrit l’une des plus belles pages de l’histoire de la Copa Libertadores. Avec América, il s’offre les Corinthians, écrase Olimpia 8-2, inscrivant un triplé, et retourne les fans de l’autre América, celui de Cali, lors d’un huitième de finale de légende au cours duquel, après avoir reçu des menaces de mort suite à son but inscrit dans les derniers instants du match aller à l’Azteca, il s’offre un triplé à Cali au retour et sort sous les applaudissements. Inscrivant 9 buts en 12 matchs, il termine deuxième meilleur buteur de l’épreuve que les Águilas quittent en demi-finale échouant d’un but face au futur vainqueur, le Boca de Riquelme et Palermo. L’heure est venue pour lui de découvrir l’Europe.

Au début du XXIe siècle, il est prêté au Real Valladolid mais voit de nouveau sa progression freinée par une blessure en sélection après une horreur de tacle du trinidadien Ancil Elcok qui l’écarte des terrains pendant huit mois. Cuau s’accroche, comme toujours. Il reste en Espagne, revient petit à petit, le temps de mettre une merveille de coup-franc à Iker Casillas, mais ne parvient à s’y imposer l’année suivante, n’ayant pas la confiance de son coach. Retour au pays, retour à América. Il attend celui de Beenhakker pour briller de nouveau. Après une campagne 2004 marquée par la polémique en Libertadores (voir plus bas), Blanco part faire une pige à Veracruz avant de revenir au club de ses débuts pour la quatrième fois en enfin décrocher un titre de champion national.

Après avoir conquis le Mexique et être passé en Europe, il décolle alors pour les USA. En 2007, Cuauhtémoc Blanco est accueilli par 5 000 fans des Chicago Fire, il est alors le deuxième joueur le mieux payé de la ligue derrière un certain David Beckham. Malheureusement, s’il est élu MVP du All Star Game l’année suivante, il cède systématiquement avec ses Fire en finale de Conférence. A 36 ans, la fin de carrière semble proche. Mais Blanco ne s’arrête pas. De club en club, son histoire se poursuit au pays sous forme de piges (six clubs en six ans). Avec le retour de Javier Aguirre, il retrouve la sélection nationale et s’envole avec elle pour l’Afrique du Sud. Comme un symbole, son dernier but en vert sera inscrit face à la France, pays qui avait vu sa carrière décoller 12 ans plus tôt. L’Azteca lui offre un dernier hommage en sélection en mai 2014. Quelques mois plus tard, il rejoint Puebla, sa dernière étape, à 42 ans.

Frasques et polémiques, ingrédients d’une légende

L’histoire de Cuauhtémoc Blanco n’est pas uniquement faite de moments de gloire. Comme toute légende, s’il reste célèbre pour ses coups de génie sur les terrains du monde entier il est aussi connu pour ses frasques. Car, derrière la douce voix du génial attaquant mexicain se cache un caractère forgé par la dureté du barrio de Tepito qui se révèle lorsque les évènements lui sont contraires.

Si ses célébrations polémiques comme celle du chien qui urine dans le but de Félix Fernández, gardien de Celaya à qui il avait promis de « prier Dieu » pour qu’il ne lui marque pas un but sinon il « s’en rappellera toute sa vie », sont aujourd’hui entrées dans la légende, la plus célèbre restera celle ponctuant le conflit ouvert avec Ricardo La Volpe plusieurs années auparavant.

Lorsque l’entraîneur à la moustache le plus célèbre du pays s’installe sur le banc d’América en 1996, la situation va rapidement de détériorer entre lui et certains joueurs au premier rang desquels Cuauhtémoc Blanco qui lui reproche de manquer de respect envers les jeunes pousses du club (dont il fait alors partie). La guerre éclate entre les deux, La Volpe et Blanco ne se lâcheront plus. Lorsque le second retrouve le premier trois ans plus tard, il humilie Atlas et s’en va défier son ancien coach lors d’une célébration restée dans l’histoire.

Cette guerre des égos jouera bien des tours à Blanco. Lorsque La Volpe prend les rênes de la sélection mexicaine, il tient sa revanche. Blanco, élu meilleur joueur du championnat 2005 et 2006, est privé de Gold Cup, de Coupe des Confédération puis de Coupe du Monde. Quelques années plus tard, Cuau déclarera qu’el Bigotón lui a volé une Coupe du Monde.

L’autre grande polémique reste sans aucun doute le huitième de finale retour de la Libertadores 2004. Après une courte défaite 2-1 au Brésil, América doit s’imposer chez lui face à São Caetano. La mission semble accomplie, Navia ayant ouvert le score en première période. Mais en fin de rencontre, Triguinho égalise pour les brésiliens qui vont alors résister jusqu’au coup de sifflet final. Sur une des dernières occasions des aigles, tout l’Azteca voit la main d’un défenseur brésilien, pas l’arbitre. La tension monde : Blanco craque en fin de rencontre et envoie son coude dans le visage d’Anderson Lima. Logiquement expulsé, il ne rentre pas aux vestiaires et dès la fin du match, se rue sur les brésiliens (qui imitent le vol des aigles dans le rond central), déclenchant ainsi une des plus féroces bagarres de ces dernières années. Il sera alors suspendu de toute compétition organisée par la CONMEBOL pendant un an et quittera un temps son club de toujours.

América le seul refuge, l’Azteca sa vraie maison

Reste qu’el Cuau est l’homme d’un stade, l’Azteca. De ses débuts en 1992 en passant par la victoire du Mexique en Coupe des Confédérations 1999 avec un quadruplé face à l’Arabie Saoudite et le quatrième but en finale face au Brésil, la qualification de la sélection à la Coupe du Monde 2002 avec un doublé face au Honduras, le but inscrit en finale du Clausura 2005 pour son seul titre national ou encore la polémique La Volpe ou celle de São Caetano, Blanco aura connu ses plus grandes émotions dans ce stade de légende. C’est ainsi tout naturellement à l’Azteca qu’il connaîtra sa dernière sélection, celle de mai 2014 face à Israël au cours de laquelle tout un peuple se lèvera pour lui faire un dernier adieu avec la Tri.

A l’heure d’une dernière polémique naissante après ses envies de politique, el Cuau a retrouvé son stade la nuit dernière pour un dernier moment en tant que joueur. Pendant qu’América butait sur Puebla, le peuple azulcrema aura pu chanter une dernière fois pour son idole et ainsi assister pendant 15 minutes aux dernières foulées et se remémore, les yeux remplis de nostalgie, les plus grands exploits de la dernière légende aztèque.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.