Vu d’Europe, un Boca – River ou un Peñarol – Nacional restent les matchs générant le plus de fantasmes. Ce dimanche, le Chili va pourtant une nouvelle fois s’embraser pour son Superclásico, duel d’historiques entre Colo Colo et l’Universidad de Chile.

Ce dimanche, pour la 182e fois de l’histoire en championnat, la 229e toutes compétitions confondues, Santiago va s’embraser pour son Superclásico, choc deux des clubs les plus titrés du pays. A l’Estadio Nacional, l’Universidad de Chile accueille Colo Colo. Un match qui n'est pas un simple duel entre deux des trois plus grands clubs du pays mais surtout l'un des points culminants d'une saison chilienne.

D’une université à l’autre

Trois clubs se partagent le haut du pavé au Chili : Colo Colo et ses 31 titres, l’Universidad de Chile avec 18 et l’Universidad Católica avec 12. Alors que le premier affrontement entre Albos (Colo Colo) et Azules (Universidad de Chile) date de 1935, le premier véritable Superclásico chilien concernait Colo Colo et la Católica. Il faudra attendre les années 50 pour finalement voir la rivalité entre Albos et Cruzados se diluer et laisser place à celle entre Albos et Azules. Le point culminant reste le match pour le titre e 1959, véritable point de départ du nouveau Superclásico.

A égalité de points en tête à l’issue du championnat, Colo Colo et U s’affrontent à l’Estadio Nacional pour une finale qui définira le futur champion. Face Misael Escuti, gardien de Colo Colo, se dresse le duo Leonel Sánchez – Carlos Campos. Luis Urrutia O’Nell raconte cette génèse : « L’Universidad de Chile, comme son nom l’indique, était associée aux étudiants et aux intellectuels. Colo Colo était l’équipe du peuple. Sur l’écusson de la U on peut y voir une chouette qui est le symbole du savoir. La rivalité Colo Colo – U commence avec un match pour le titre en 1959. Ce que personne ne dit c’est qu’il manquait le meilleur joueur de Colo Colo, Cua Cuá Hormazabal, avec lui l’histoire aurait peut-être été différente. C’est comme si l’Argentine joue sans Messi ou la Colombie sans le Falcao d’avant sa blessure. Ce match marque une rivalité, la U monte une grosse équipe alors que Colo Colo arrive avec un groupe moyen. C’est quelque chose de psychologique, quand la U est bien Colo Colo va mal, toute l’histoire est comme ça, il est compliqué de trouver une finale entre les deux outre celle de 59. » Devant plus de 50 000 spectateurs, la U s’impose (avec notamment un coup-franc de 40 mètres de Sánchez) et décroche le deuxième titre de son histoire. Le Ballet Azul vient de naître avec le Superclásico

“Vamos a romper, vamos a romper, vamos a romper, el estadio de Pinochet”

Destins croisés et affaire Pinochet

Pendant 10 ans, l’Universidad de Chile domine le football local et passe tout près d’un titre continental. Fournissant l’essentiel de la sélection chilienne troisième de son mondial de 1962, la U devient le Ballet Azul, redoutable machine à marquer. Durant les années 60, l’Universidad de Chile remporte 6 titres nationaux, elle vit une période dorée avant de sombrer dans la pire période de son histoire. En 1973, Pinochet arrive au pouvoir, le Chili bascule dans la dictature. Pour la U, c’est le début de la fin. Les premières réformes obligent la section football à prendre son indépendance par rapport à l’université et plongent le club dans une crise économique sans précédent. Les meilleurs joueurs partent, la U ne s’en relèvera pas, coulant lentement mais doucement par manque d’appui financier dont disposent ses rivaux jusqu’à sombrer en seconde division au lendemain de la chute du dictateur. Pendant cette période noire dans l’histoire du Chuncho, Colo Colo retrouve le chemin du succès. Des trois titres dans les années 70 au triomphe de la fin des années 80 qui se concluent avec la Libertadores de 1991, la première dans l’histoire du football chilien, l’Albo assoit définitivement son statut de grand club chilien. Cette période trouble dans l’histoire du Chili alimente alors les rancoeurs. Pour les supporters de la U, Colo Colo devient le club de Pinochet.

Pour aller plus loin : Chili 1973, l'autre 11 septembre

Au milieu des années 80, alors que Colo Colo s’apprête à connaître ses plus grands succès et que le club a longtemps été l'un des symboles de la résistance par la présence de nombreux joueurs opposés au pouvoir, Patricio Vildósola propose au dictateur de devenir président d’honneur du club au motif que dans l’histoire, d’autres présidents ont occupé ce poste. Quatre ans plus tard, alors que l’Albo n’a eu de cesse de vendre ses meilleurs éléments pour construire sont Estadio Monumental, à quelques jours du référendum, Augusto Pinochet annonce qu’il débloquera 300 000 pesos pour achever la construction du stade. Le mythe est né. Partout dans le pays, Colo Colo devient le club de Pinochet, son stade financé par la dictature. Pourtant, comme nous l'explique Luis Urrutia O’Nell, l'Estadio Pinochet est bel et bien un mythe.

tercera« En temps de dictature, il exista tout ce mythe sur le stade de Colo Colo connu sous le nom du « Estadio Pinochet ». Ce stade serait le deuxième de Colo Colo après le stade de Carabineros de Mapocho que Colo Colo a dû vendre car sa proximité avec le fleuve empêchait de soutenir les travaux nécessaires à la construction d’un stade qui aurait dû accueillir 110 000 personnes et ainsi en faire le deuxième plus grande d’Amérique du Sud après le Maracanã. Avec l’argent récolté grâce à la vente du stade, le club acheta alors el Hoyo de Pedrero où se trouve actuellement l’Estadio Monumental. Si on explique cela à un supporter de la U de Chile cela ne changera rien, il continuera de dire que c’est le stade de Pinochet. Alors que s’il y avait bien un club lié à la dictature, c’était la U et cela peut être prouvé. Le Président de la U, Rolando Molina était lié à la dictature et Ambrosio Rodríguez a vu Pinochet créer un poste juste pour lui à la Moneda (NDLR : Palais Présidentielle du Chili), celui de Procureur Général de la République. D’ailleurs un entraîneur de l’Universidad de Chile, Luis Santibañez, a signé son contrat à la Moneda dans le bureau d’Ambrosio Rodríguez.

Tout ce débat sur le stade, souvent lancé par les supporters de la U, part de pseudo arguments comme la Une du journal la Tercera (voir photo). Pinochet a volontairement utilisé Colo Colo une semaine avant le plebiscito nacional (référendum chilien) affirmant offrir 300 millions de pesos de l’époque alors que Colo Colo avait déjà résolu cela grâce à une collecte et à la vente de Diego Rubio à Bologne qui a apporté 750 000 dollars en liquide dans les caisses, une fortune à cette époque. Avec cet argent, Colo Colo a terminé son stade. Comme Pinochet a perdu le référendum le club n’a rien reçu et de toute façon ces 300 millions allaient être destinés à la deuxième phase du stade pour un gymnase, une piscine et un camp d’entrainement. Le stade était déjà là.

Mais si on veut croire La Tercera, qui était un journal de droite, croyons la totalité des informations. Regardez la une. Ici on peut lire que les communistes appellent à attaquer le secteur central et Barrio Alto de Santiago (il montre le nº1), pendant une dictature ! Comment une dictature va permettre que l’on attaque le Barrio alto (quartier riche de Santiago). Ici (il montre le n°2), on peut lire que le « Oui » remporte le plebiscito, chiffres à l’appui. Quelle dictature va permettre que le parti communiste menace d’attaquer un secteur, sans parler des résultats du référendum… Alors, on peut toujours croire le titre mais alors, il faut aussi lire ce qu’il y a en dessous où il est stipulé que c’est pour la deuxième phase du stade. Pinochet perd le référendum et ne donne pas un sous. Le lendemain de cet article, le général des sports du Chili débarque à la Moneda et dit à Pinochet que finir le stade de Colo Colo affecterait au stade Nacional qui était le stade le plus grand. Mais bon, c’est une lutte vaine, on peut torturer les supporters de la U qu’ils continueront de dire que c’est le stade Pinochet.

Finalement Pinochet a juste essayé d’utiliser le club le plus populaire une semaine avant le référendum pour tenter de gagner grâce aux votes de tous les colocolinos, un peu comme l’a fait Sebastián Piñera plus tard qui a profité de son poste à la tête de S.A qui contrôlait Colo Colo pour se hisser vers la présidence du pays grâce aux votes. Ça a toujours été comme ça. . »

Pour aller plus loin : Luis Urrutia O’Nell : « Colo Colo est l’équipe qui a retardé le coup d’Etat de Pinochet »

De plus en plus bouillant

De la pression populaire aux luttes pour le titre, la tension envahit alors soit le Monumental, soit l’Estadio Nacional. Au point qu’aux exploits sportifs viennent s’ajouter les débordements sur et en dehors du terrain. De l’incroyable baston du match « amical » de 1999 déclenchée par le duo Ricardo Rojas - Marco Villaseca, au tirage de cheveux d’Herrera sur Valdivia en 2005 (les deux se retrouveront ainsi face à face ce dimanche) en passant par les insultes dans les médias entre joueurs ayant par exemple animé le début d’année 2015, le Superclásico est devenu un de ces moments de passion démesurée, ces points culminants d’une saison. Il est tout simplement devenu l’un des plus grands clásicos du continent.

Reste que sur le plan sportif, avec le retour au sommet de la U dans les années 90, le duel avec le rival historique prend une ampleur définitive. Depuis près de 20 ans, chaque saison, le choc Colo Colo – Universidad de Chile devient l’un des grands moments d’une saison. Les grands duels marquent l’histoire récente. De la naissance d’une idole nommée Marcelo Salas, auteur d’un hat-trick lors de l’édition 1994 (victoire 4-1 de la U) au 5-0 sous l’ère Sampaoli côté Universidad de Chile en passant la victoire 4-2 de l’Albo du duo Humberto Suazo –Alexis Sánchez, les vingt dernières années ne manquent pas de grands moments. Aujourd’hui, le bilan général reste encore largement en faveur de Colo Colo (104 victoires, 65 nuls et 62 défaites toutes compétitions confondues). Sur les dix dernières saisons, l’Albo mène 14 victoires à 4 (5 nuls), en championnat la U n'a plus gagné face à son rival depuis mai 2013, soit onze matchs.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.