Il a fallu attendre quatre-vingt-cinq ans pour qu’enfin Cesáreo Onzari entre dans l’histoire officielle du football mondial. Le 2 octobre 1924, l’Argentin inscrit le premier corner direct de l'histoire du football face au champion olympique uruguayen. En 2009, la FIFA officialise ce que l’Argentine proclamait depuis des décennies : Cesáreo Onzari venait d'inventer le Gol Olímpico.

bandeauedition

Né de parents basques, Cesáreo Onzari est né le 22 février 1903 et commence à jouer au football dans les catégories de jeunes à Almagro puis à Mitre. Avec le temps, il gravit les échelons pour rejoindre le quartier de Parque Patricios, berceau du Club Atletico Huracán. Propre dans le jeu, propre dans la vie dans tous les jours, Cesáreo était un joueur et une personne qui inspirait l'exemple et le respect. « Jamais je ne me suis senti comme un étranger dans n'importe quel stade. Même en tant que visiteur, j'allais jouer chez les adversaires avec beaucoup de plaisir et beaucoup de respect pour l'équipe qui accueillait », déclarait-il. En plus du respect qu'inspiraient le joueur et l'homme, Onzari était un amoureux du Globo et pouvait donner sa vie pour le club de son cœur comme le prouve cette anecdote : opéré du ménisque et pas tout à fait remis de cette intervention, il n’est pas inclus dans le groupe qui devait affronter l'équipe de Del Plata en Championnat. Se sentant pourtant prêt à reprendre la compétition, Onzari rencontre alors les dirigeants du club de Parque Patricios, leur remettant une missive demandant son intégration dans le groupe. La direction accepte. Quelques jours plus tard, Onzari inscrit cinq buts face à Del Plata !

Idole à Huracán, c'est tout naturellement qu'il fût aussi l'idole d'un certain Norberto Tucho Mendez, meilleur buteur de l'histoire de la Copa América (voir La Copa América en 10 chiffres), un génie qui régna sur l'Amérique du Sud des années quarante, un gamin qui grandit entre les quartiers de Nueva Pompeya et Parque Patricios, marchantn toute sa carrière dans les pas d'Onzari avant de devenir lui aussi une idole de son cher Huracán. Lors de sa dernière saison avec El Globo, il forme un redoutable duo avec Alfredo Di Stéfano, prêté par River Plate. Cesáreo Onzari était lui aussi une idole, celle qui ont marqué à jamais l'histoire du Globo mais aussi l'histoire du football. À une époque où le football n’était encore qu’amateur, dans une période de transition certes, mais les footballeurs qui pouvaient subvenir à leurs besoins avec le football se faisaient très rares, Onzari a laissé son nom dans l’histoire non pas pour sa passion pour El Globo, mais parce qu’il fut l’inventeur du corner direct.

El Gol Olímpico

Nous sommes donc en 1924, la sélection uruguayenne rentre d'Europe et plus précisément de Paris avec le titre de championne olympique en poche obtenu en battant la Suisse en finale. L’Uruguay y a alors remporté ses cinq matchs, inscrivant vingt buts et n’en encaissant que deux posant sur le territoire européen un nouveau football. « Nous avons ici le vrai football. En comparaison avec celui-ci, celui que nous connaissions avant, celui que nous jouions, n’était rien d’autre qu’un jeu de cours d’école », écrit alors Henry de Montherlant durant ces JO alors que Gabriel Hanot résume d’une phrase la domination uruguayenne lors de cette compétition « c’est comme comparer des purs sangs arabes à des chevaux de ferme » (pour en savoir plus, lire Quand l'Uruguay apporte le Football total en Europe). Pour fêter ce titre conquis en terre européenne, la Celeste décide d'organiser un match amical contre l'Argentine dans sa capitale, Montevideo.  

Ce match amical se dispute le dimanche 21 septembre 1924 en Uruguay et se termine sur le score de 1-1. C'est tout naturellement qu'une revanche est décidée par les deux protagonistes une semaine plus tard. Mais en ce dimanche 28 septembre 1924 en Argentine, une vente excessive de billets provoque le chaos et la suspension de la rencontre. Le match retour se déroule donc quatre jours plus tard le 2 octobre dans le stade du Sportivo Barracas, tout près du mythique quartier de la Boca, et l'Argentine l'emporte deux buts à un. Si cette victoire, que Tarascone signe en inscrivant le but du 2-1 (l'Uruguayen Pedro Cea, qui est aussi buteur lors de la finale de la Coupe du Monde 1930 (voir Uruguay 1930 : Un premier titre pour l'éternité), avait égalisé pour l'Uruguay), peut rester anecdotique, le premier but inscrit lors de ce match l'est beaucoup moins.

À la quinzième minute de jeu, Onzari, au sommet de son art ce jour-là, prend le ballon en main pour aller tirer un corner venant de la gauche. Il pose le ballon à la limite de l'arc de cercle et envoie un tir puissant à la trajectoire rentrante qui finit au fond des filets. Les 30 000 spectateurs présents ce jour-là viennent d’assister au premier gol olímpico de l'histoire du football. « C'est venu comme ça. Peut-être que le gardien s'était levé du pied gauche ce matin-là ou peut-être qu'il avait été gêné, car je n'ai jamais réussi à en mettre un autre. En tout cas, quand j'ai vu le ballon au fond, je n'arrivais pas à y croire », déclare-t-il ensuite.

Le 11 octobre 1924, Adolfo Celli, surnommé El Alemán, natif de Santa Fe et icône de Newell's Old Boys avec qui il remporte trois Liga Rosarina, fait la une d’une jeune revue vieille de cinq ans, el Gráfico. « Du plus profond de mon cœur, je fus triste de voir les incidents avant le match de ce dimanche qui nous ont obligés de rejouer ce jeudi face à nos traditionnels rivaux uruguayens. Nous devons retrouver cette cordialité dans le football et le public rioplatense doit modifier cet enthousiasme sportif que ce match génère car cela devient nuisible. Vive le football argentin ! Vive le football uruguayen ! ». À côté de ce message, el Gráfico publie la seule photo et donc la seule trace de cet olímpico, décrivant alors le but : « Onzari a frappé ce corner du côté gauche, il a frappé avec une telle force et une telle précision que la balle a suivi le chemin d'une courbe jusqu'au but sans que ce soit possible pour Mazali, portier de l'Uruguay, de l'arrêter. L'athlétique gardien uruguayen renversera dans sa course Nazassi et Ernesto Celli, ne pouvant intercepter cette balle qu'il vu rentrer à l'intérieur de ses filets depuis le sol de la pelouse ».

Ironie de l’histoire, à l’époque, comme pour un coup-franc indirect à l'intérieur du terrain, il était nécessaire qu'un autre joueur touche le ballon pour que le but soit valable. Ce n’est que quelques mois auparavant, sous la pression des Uruguayens habitués à s’essayer à tirer directement les corners, que les lois du jeu avaient été modifiées de telle sorte à autoriser ce type de tentatives. Mais il faut attendre quatre-vingt-cinq ans pour que la FIFA officialise le nom de son inventeur dans un communiqué : « Au vu de la modification du règlement sur ce point précis qu'est le corner, ce corner direct effectué le 2 octobre 1924 par Cesáreo Onzari était bel et bien valide et est bel et bien considéré comme le premier de l'histoire ». Parce qu’inscrit face au champion olympique en titre, ce but donne ainsi le doux surnom d’olímpico à tous les corners directs qui s’ensuivront. Son inventeur, Cesáreo Onzari, décède le 7 Janvier 1964, accédant ainsi à l’immortalité. Le maillot de l'Albiceleste qu'il portait lorsqu'il a inscrit cet olímpico fût amené par son fils au siège du Gráfico à Don Osvaldo Ardizzone à l'époque rédacteur en chef du magazine. Il sera ensuite exposé au Musée du Sport argentin.

Bastien Poupat