Le football est souvent un savant mélange de joie et de drames. Le 20 juillet 2015, sur les collines de San Carlos de Apoquindo, l’émotion d’un père venait rappeler au Chili qu’il y a tout juste 20 ans, un drame avait frappé son football et laissé une trace indélébile. Deux ans plus tard, l'ange veille toujours sur sa Católica.

Au pied de la croix, la voix vacillante, Andrés Tupper chante a capela El Sueño Imposible pour rendre un nouvel hommage à son plus jeune fils Raimundo. Lundi 20 juillet 2015, sur les hauteurs de San Carlos de Apoquindo, le père de 82 ans rappelle l’histoire de son fils à ceux venus avec lui au pied du mémorial inauguré par son club de l’Universidad Católica en fin de semaine précédente. En évoquant Cervantes, il explique alors aux journalistes présents le long combat finalement perdu de son plus jeune fils face aux « moulins à vents » qu’est la dépression.

Une carrière toute tracée

Membre d’une fratrie de cinq garçons et une fille, Raimundo Mumo Tupper Lyon arrive à la Católica, le club favori de ses grands-parents, alors qu’il n’a que 11 ans. Repéré par Alberto Fouillioux, légende du football chilien, il gravit les échelons, sa vitesse éblouissant alors les observateurs. Lancé avec les pros en 1985 alors qu’il a tout juste 17 ans, il se fait un nom avec ses coéquipiers de la sélection des moins de 20 ans, au sein de laquelle se trouve son grand ami Luka Tudor, qui termine quatrième de son Mondial 1987 (remporté par la Yougoslavie des Šuker, Boban et autres Prosinečki).

Raimundo Tupper a beau être un joueur atypique, timide, amateur de musées, de musique et de littérature, sa carrière de footballeur semble pourtant toute tracée. Au début des années 90, il est l’un des hommes clés de la grande Católica. Formé comme attaquant, passé enganche puis milieu de terrain, c’est en latéral de la grande UC qui remporte la Copa Chile 1991 puis, sous les ordres d’Ignacio Prietto, atteint la finale de la Libertadores 1993 avant d’être menée par Manuel Pellegrini vers la victoire lors de la Copa Interamericana 1994. Aux côtés d’el Mumo Tupper se trouvent alors des joueurs comme Mario Lepe, le capitaine, Néstor Gorosito, Alberto Acosta. Cette équipe est probablement la dernière grande équipe de la Católica. Tout sourit à Raimundo au point qu’il connait les joies de la sélection nationale. Son rêve se réalise.

Rongé de l’intérieur

Ce que peu de personnes savent alors c’est qu’intérieurement, Raimundo souffre d’un mal qui le ronge : la dépression endogène. Victime de crises de mélancolie, Mumo inquiète sa famille qui ne sait alors pas comment gérer et se tourne vers des spécialistes. Il va alors être accompagné par son club qui va le suivre dans le traitement de ce trouble. Il perd alors 6 kilos en deux semaines, inquiète Manuel Pellegrini qui décide alors de l’écarter de l’équipe pour qu’il puisse se soigner. Au sein du groupe deux joueurs connaissent le syndrome dont souffre Mumo : Nelson Parraguez et Rodrigo Gómez. Pour les autres comme pour les médias, Tupper souffre de problèmes gastriques. Désireux de se joindre à l’équipe à l’approche d’une tournée internationale, el Mumo se voit autorisé par Manuel Pellegrini à la condition qu’il retrouve sa forme physique. Il y parvient et sera de la tournée au Costa Rica alors que son père lui avait conseillé d’arrêter le football et de reprendre ses études à l’université.

Le 18 juillet, l’équipe prend la direction du Costa Rica pour aller affronter le Deportivo Saprissa. Le lendemain, dans la chambre 621 de l’Hôtel Centro Colón de San José, el Mumo passe la nuit à discuter avec son compagnon de chambre Sergio Vázquez. Inquiet pour son camarade, Vázquez lui demande de l’attendre pour le petit déjeuner. Malheureusement, ce 20 juillet 1995, Raimundo Mumo Tupper a décidé de passer à l’acte. Il est 9h30 du matin lors qu’il se jette du balcon de sa chambre située au 9e étage et met fin à ses jours. Le 21 juillet 1995, 23h20, une foule immense vient accueillir l’avion qui ramène Mumo vers sa dernière demeure. Au son des « Mumo no se va », les larmes coulent sur le peuple de la Católica. Les funérailles se déroulent dans l’enceinte même du club devant ses coéquipiers encore assommés et 9 000 personnes, témoignage de l’ampleur du choc provoqué au Chili par la perte d’un de ses footballeurs.

En 2009, le club renomme son centre sportif à son nom. Plus de 20 ans plus tard, le souvenir du joueur « Cruzado de Corazón» ne s’est pas estompé, son nom continue d’être sur les lèvres des plus jeunes, même s'ils ne l'ont jamais vu jouer. Le souvenir se transmet, il est inscrit dans l'ADN de tout supporter Cruzado. Depuis, du haut des montagnes surplombant l’Estadio San Carlos de Apoquindo, el Mumo veille sur sa Católica.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.