La campagne de qualification pour la Coupe du Monde 2018 débute ce jeudi soir pour la zone AmSud. Au moment où tout un continent entretient l’espoir, revenons sur l’histoire d’un mode de scrutin longtemps restreint pour devenir l’un des plus sélectifs au monde.

Débuts hésitants

Comme les autres confédérations non-Européennes, l’Amérique du Sud a longtemps dû se contenter de miettes laissées par l’Europe pour défendre ses chances mondiales. La première édition d’une Coupe du Monde se déroule en Uruguay, pays qui domine alors le football mondial (voir Quand l’Uruguay apporte le football total en Europe), et échappe au processus de qualification. Ce sera le seul cas. Et si la Coupe du Monde ne déchaine pas les passions en Europe, les Amériques répondent massivement à l’appel de Jules Rimet. Ils seront ainsi sept sud-américains à prendre part à la première édition, ce record ne sera jamais égalé.

Car dès la Coupe du Monde 1934 est mis en place une phase de qualification, chaque confédération se voit attribuer un nombre de ticket défini et, comme nous l’avions souligné à l’occasion de la Coupe du Monde 2014, la balance pèse rapidement en faveur des européens qui vont alors ne laisser que très peu de places pour les autres confédérations (voir Il parait que l'Amsud réussit toujours mieux sur ses terres).

En 1934, l’Uruguay refuse de prendre part à la compétition, ils sont alors quatre sud-américains à se lancer dans les qualifications. Mais le Pérou et le Chili déclarant finalement forfait, leurs adversaires respectifs, Brésil et Argentine voyagent en Italie. En 1938, il ne reste plus que l’Argentine, la Colombie et le Brésil dans les candidats sudam. L’Argentine déclare forfait pour protester contre le fait que la Coupe du Monde se déroule encore en Europe et comme le Chili, en solidarité avec le voisin ne veut pas prendre sa place, et que la Colombie, trop jeune, est aussi forfait, c’est le Brésil qui débarque en France.

Pour le retour de la Coupe du Monde en 1950, la compétition revient alors en AmSud qui se voit offrir cinq billets : un pour le pays hôte brésilien, deux à décrocher parmi huit autres formations. Car depuis la fin des années 30, la Colombie s’est dotée d’une véritable équipe nationale, le premier match de sa sélection datant de 1938, sa première apparition en Copa América en 1945, et l’Equateur, qui a lui aussi disputé son premier match officiel en 1938 (face à la Colombie) arrivent dans le paysage local. Mais tous deux déclarent forfait, tout comme l’Argentine et le Pérou. Il n’y a donc pas encore de véritable barrage pour la qualification, Bolivie, Chili, Paraguay et Uruguay, le futur vainqueur, se qualifiant sans jouer.

1954 marque le retour de l’austérité. Aux cinq sudams du Brésil, la Suisse n’en veut qu’un pour venir prendre part à la compétition aux côtés du tenant du titre uruguayen. Par ordre de Juan Domingo Perón, l’Argentine ne participe pas à la campagne de qualification, le Pérou et la Colombie seront aussi forfaits. Ils ne sont alors que trois à se lancer dans un véritable barrage aller-retour : le Paraguay, le Chili et celui qui se qualifiera, le Brésil.

La règle de trois

L’édition suivante est une esquisse du futur. Avec l’arrivée de la sélection vénézuélienne dans le paysage sud-américain, la sélection ayant disputé ses premiers matchs dans les années 20 mais n’étant affiliée à la FIFA puis à la CONMEBOL qu’au début des années 50, ils sont neuf à pouvoir enfin prendre part à la campagne de qualification et se battre pour trois tickets. Malheureusement, le Venezuela devra patienter, la faute à la dictature de Marcos Pérez Jiménez qui pousse la Vinotinto à se retirer avant le début des qualifications. Ils sont alors huit, répartis en trois groupes. Le Brésil sort le Pérou en aller-retour, l’Argentine remporte le groupe 2 devant le Chili et la Bolivie, le Paraguay sort l’Uruguay et la Colombie dans le groupe 3.

Cette organisation à trois groupes devient la règle, l’AmSud se battant le plus souvent pour trois places. En 1962, pour le retour sur le continent, ils sont six à se battre pour rejoindre le pays hôte, le Chili et le tenant du titre brésilien. Le Venezuela ne prend pas part aux qualifications alors que le Paraguay se retrouve en barrages avec…le Mexique. L’Argentine écrase l’Equateur, l’Uruguay s’arrache pour se défaire de la Bolivie alors que la Colombie décroche sa première qualification en sortant le Pérou.

Le Brésil tenant du titre, on retrouve alors les trois groupes de trois pour l’édition 1966, le Venezuela venant enfin prendre part aux qualifications. Alors qu’Uruguay et Argentine se promènent dans leurs groupes, le Chili devra passer par un match d’appui face à l’Equateur pour découvrir l’Angleterre. Reste que désormais, avec 10 pays et trois tickets à décrocher par les qualifications, la règle des trois groupes est ancrée dans les mœurs.

A dix, tout se complique

En 1970, le Brésil entre dans la danse et se retrouve dans un groupe à quatre avec le Paraguay, le Venezuela et la Colombie que la bande à Pelé va écraser, décrochant sa place au Mundial mexicain après 6 victoires en 6 matchs, 23 buts marqués pour deux encaissés (face à la Colombie). Dans les autres groupes, l’Uruguay sort vainqueur du Chili et de l’Equateur alors que le Pérou et sa futur génération dorée se paye l’Argentine et la Bolivie et retrouve une Coupe du Monde après 40 ans d’attente après un 2-2 à la Bombonera.

Le Brésil ayant triomphé au Mexique, ils ne sont que neuf à participer à une campagne de qualification rendue particulière par le fait que le troisième ticket est donné au Brésil (quand jusqu’ici il se rajoutait) et par la diminution du nombre de qualifications directe pour les sudam, l’une des places étant mise en balance lors d’un match de barrage intercontinental. Placé dans le groupe 3 avec le Pérou – le Venezuela étant une nouvelle fois forfait –, le  Chili devra alors passer par deux barrages. Un premier face au Pérou, le match aller-retour n’ayant pu permettre de départager les deux équipes, un second face à l’URSS, pour le retour d’un barrage UEFA/CONMEBOL qui se déroulera quelques semaines après le coup d’Etat de Pinochet et donnera lieu à une parodie de match offrant la qualification à la Roja (voir L'autre histoire de l'Estadio Nacional et notre entretien avec Luis Urrutia O’Nell). Dans les deux autres groupes, Argentine et Uruguay gagnent une fois encore leur ticket pour la phase finale.

Mêmes complications en 1978 puisque l’une des places est donnée à l’Argentine, pays hôte. Les neuf autres se retrouvent à devoir disputer deux tours. Un premier reprenant le traditionnel trois groupes de trois, desquels sortent Brésil, Pérou et Bolivie (qui s’offre l’Uruguay) qui vont alors devoir s’affronter en matchs aller-retour pour déterminer lequel des trois devra passer par un dernier barrage face à un représentant européen. A ce petit jeu, c’est la Bolivie qui perd pour aller se frotter à la Hongrie et voir le Mondial argentin à la télé.

En 1982, la Coupe du Monde passe à 24, le barrage intercontinental disparait. L’Argentine tenante du titre, les neuf autres membres de la CONMEBOL se retrouvent dans leurs trois groupes de trois pour aller chercher l’un des trois billets mondial. Et, comme nous en avons parlé dans notre dernier podcast vidéo (à (ré)écouter ici), le Brésil se promène dans le groupe 1, le Pérou remporte le groupe 2, le Chili, le groupe 3. Ayant désormais quatre places, les sudams gardent pourtant leurs trois groupes. En 1986, Argentine, Brésil et Uruguay remportent leurs groupes respectifs et placent Chili, Colombie, Pérou et Paraguay devant l’obligation de remporter une Liguilla pour décrocher le dernier ticket. A ce petit jeu, ce sont les Guaraníes qui en sortent vainqueur.

La Coupe du Monde italienne est celle du retour en arrière pour l’AmSud avec le retour du match de barrage inter-continental pour l’une de ses formations. Et avec le titre argentin de 86, les neuf autres pays se retrouvent à lutter pour deux tickets directs. 1990, c’est l’année de l’affaire Roberto Rojas, portier de la sélection chilienne qui va simuler la blessure (en sa tailladant lui-même l’arcade sourcilière avec un scalpel planqué dans son gant) qui va exclure le Chili de la campagne de qualification 90 et 94 et permettra au Brésil de remporter le groupe 2, rejoignant Colombie et Uruguay au tour suivant. Plus mauvais vainqueur de groupe, la Colombie devra alors passer par un barrage face à Israël (envoyé alors dans la Confédération d’Océanie) pour découvrir l’Italie.

 

Enfin le groupe unique

Privé du Chili, la campagne de qualification 1994 marque un tournant avec la fin des trois groupes de trois. Les neuf membres restants sont répartis en deux groupes, un de quatre, un de cinq, dont les deux premiers sortent. Une fois qualifiés, ces quatre équipes sont alors classées, les trois meilleures s’envolant pour les USA, le dernier devant passer par le désormais traditionnel barrage. Le Brésil, la Bolivie et la Colombie qualifiés directs, cette dernière ayant signé le mythique 5-0 au Monumental, dernière défaite de l’Albiceleste dans ce stade. L’Argentine passera par un barrage face à l’Australie pour gagner le droit d’aligner une dernière fois son D10S.

Cette campagne à deux groupes n’est qu’une transition. Car en 1998, avec le passage à 32 finalistes, l’AmSud gagne un ticket supplémentaire pour la Coupe du Monde et va donc changer de formule pour adopter celle qui est encore au goût du jour : la formidable poule unique. Le Brésil tenant du titre ne participe pas aux débats mais les neuf autres pays restant vont alors se battre pour l’une des quatre places offertes à la zone. Pour se qualifier, c’est désormais simple, il suffit de terminer à l’une des quatre premières places. Argentine, Paraguay, Colombie et Chili gagnent leur ticket pour la France après 16 matchs à haute tension. La formule est adoptée.

En 2002, les dix membres de la CONMEBOL s’entre-déchirent pour quatre places directes et une place de barragiste, celle qui ne sera finalement menacée que cette année avant d’être maintenue. Depuis, le casting est quasi-invariable. Brésil, Argentine et Uruguay terminent systématiquement dans le top 5, la Celeste prenant toujours la place de barragiste, le Chili et l’Equateur s’invitent à la fête avec désormais la Colombie nouvel arrivant dans un paysage qui tend à se densifier, bien aidé par une formule marathon qui donne ses chances à tout le monde. Le nouvel épisode démarre cette nuit.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.