On se souvient tous de l’affaire du Nelson Cabrera qui a indirectement provoqué l’élimination du Chili de la Coupe du Monde 2018. Plus de soixante ans plus tôt, Chili et Bolivie s’étaient déjà écharpés en dehors du terrain au cours d’une compétition parsemée de scandales.

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Octobre 2017, à l’Oust des Andes, le peuple rouge est KO. Balayé au Brésil, le Chili est éliminé de la Coupe du Monde, il ne se présentera pas en Russie. Au-delà du choc sportif, alors qu’une partie de pays décide de brûler ses idoles, de l’autre côté, on se rend compte rapidement qu’un fait particulier a finalement desservi le pays : la victoire octroyée sur tapis vert face à la Bolivie. Pour cela, il faut remonter un an auparavant. Le 6 septembre 2016, le Chili et la Bolivie se quittent sur un résultat nul à Santiago. Une superbe performance pour la Verde, une nouvelle désillusion pour la Roja. Mais à l’entrée du dernier quart d’heure, Ángel Guillermo Hoyos avait fait entrer Nelson Cabrera côté Bolivie. Le défenseur, né au Paraguay, avait déjà joué quelques jours plus tôt lors de la victoire face au Pérou (huit minutes), et participé à deux matchs de Copa América avec la Verde. Sauf que Nelson Cabrera ne comptait pas cinq années de présence en Bolivie et n’était donc pas éligible à la sélection selon les critères de la FIFA. Le Chili faisait appel et le remportait : il gagnait deux points supplémentaires mais surtout, en offrait trois au rival péruvien. Ce fameux point qui enverra ainsi la Blanquirroja en Russie. Ce balai à trois, entre les trois grands rivaux de la façade Ouest, n’était cependant pas le premier. Chili et Bolivie s’étaient déjà écharpés sur tapis vert plus d’un demi-siècle plus tôt, au Pérou.

Sudamericano délocalisé et génération dorée

L’histoire du Sudamericano 1953 aurait dû s’écrire à Asunción. Mais comme en 1924, le manque d’infrastructures disponibles au pays contraint le comité d’organisation à délocaliser l’épreuve. Si en 1924 Montevideo avait été choisi, pour 1953, le tournoi se déroulera à Lima (et restera organisé par la Asociación Paraguaya de Fútbol). Autre particularité du tournoi 1953, qui se tient donc à l’Estadio Nacional, cinq des six arbitres désignés sont anglais, seul le Brésilien Mário Silveira Vianna servant d’exception – il arbitrera deux rencontres seulement). Enfin, deux absents notables : la Colombie, privée de toute rencontre internationale par la FIFA (elle restera huit ans sans disputer le moindre match international officiel), et l’Argentine, en conflit avec plusieurs de ses joueurs. Ce tournoi permet cependant à la sélection paraguayenne de briller, une sélection qui n’avait jusqu’ici jamais cessé de monter en puissance. Le 7 juillet 1945, elle écrase l’Argentine, qui vient de remporter le Sudamericano. C’est l’acte de naissance de la sélection guaraníe. L’année suivante, elle termine troisième du Sudamericano, emmenée par Sinforiano García, puis est vice-championne en 1947. Un an avant la Coupe du Monde brésilienne de 1950, le Paraguay s’impose face au Brésil mais échoue en finale du tournoi, sèchement battu lors du match d’appui que les guaraníes avaient arraché par cette même Seleção.

1949, le Brésil répète à un an de sa Coupe du monde

Malgré l’échec au mondial, le Paraguay s’organise, dès la conclusion du championnat 1952, il se met en ordre de match pour le Sudamericano 1953 en réunissant ses joueurs pour un stage de préparation qui va durer trois mois. Le Paraguay sera ainsi champion, sans perdre le moindre match sur le terrain, en perdant un sur tapis vert, face au Pérou (nous allons y revenir). Un match face au Pérou qui aura laissé quelques joueurs sur le flanc, du gardien Adolfo Riquelme aux centraux Maciel et Cabrera (qui seront forfaits pour le reste de la compétition). Le tournoi paraguayen basculera sur une victoire face au Brésil, arrachée dans les ultimes secondes par Pablo León, surnommé le porteur d’eau et qui n’avait jusqu’ici pas disputé la moindre seconde du tournoi et qui trompait le portier brésilien sur le premier ballon qu’il touchait. León ne jouera que cinq minutes durant tout le Sudamericano et pourtant, il aura été l’homme clé du titre guaraní. La large victoire de l’Uruguay face au Pérou offre un barrage entre Brésil et Paraguay (co-leaders), barrage ainsi remporté par le Paraguay.

Une brève histoire du football bolivien

Un scandale, des scandales

perouparaguaySi la victoire paraguayenne est historique, la sélection albirroja décrochant son premier titre, le Sudamericano 1953 reste aussi celui des scandales. Le premier a lieu le 8 mars lors du match opposant Pérou et Paraguay. Alors que le pays hôte a été surpris en ouverture par une Bolivie annoncée victime expiatoire, mais qui s’est imposée 1-0, Víctor Agustín Ugarte inscrivant alors le premier but du tournoi (il aura droit à une plaque commémorative sur l’un des murs de l’Estadio Nacional, plaque qui disparaîtra après la rénovation de 2012), il venait de rebondir face à l’Équateur avant de concéder le nul face au voisin chilien. Ce match était donc celui de la dernière chance, il était d’abord dominé par les locaux, mais tourne rapidement au combat, les deux équipes répétant les fautes alors que l’arbitre de la rencontre, l’Anglais Richard Maddison, voyait la partie lui échapper. La presse paraguayenne fera de l’arbitre le grand artisan du match, n’hésitant pas à écrire « notre équipe ne pouvait pas jouer, l’arbitre sifflait tout contre nous : des fautes inexistantes, des hors-jeu inventés, menaçait nos joueurs d’une expulsion ». La blessure du portier Adolfo Riquelme ne fera qu’envenimer davantage les choses, même s’il est remplacé par Rubén Noceda (l’Amérique du Sud ayant été pionnière en la matière, autorisant les remplacements depuis l’édition 1935).

Les deux formations se quittent dos à dos (1-1) à la pause, le combat reprend en seconde période, le score est alors de 2-1 pour les Péruviens quand l’apocalypse est déclenchée par une nouvelle décision arbitrale contraire aux Paraguayens : un but refusé à Rubén Fernández pour une faute à définir et la fureur explose. Milner Ayala ira jusqu’à traverser le terrain pour frapper le juge de la rencontre. Il sera suspendu trois ans. Reste que la suite est ubuesque. L’arbitre déclare la fin du match, les deux formations rentrent aux vestiaires, les Péruviens célébrant leur victoire, mais alors que les joueurs ont pris leur douche, un délégué demande aux deux formations de terminer la partie… Le plus fou est que dans cette dizaine de minutes restant à jouer, le Paraguay égalise, avant de perdre la rencontre quelques jours plus tard lorsqu’un journaliste d’El Comercio se rend compte que le sélectionneur guaraní a procédé à quatre remplacements durant la rencontre au lieu des trois autorisés (Heriberto Herrera à la place de Gavilán, Alejandro Arce à la place de Jorge Romero et Mílner Ayala à la place d’Atilio López, plus…le portier en première période !).

peroubresilLa victoire est ainsi donnée au Pérou qui peut alors maintenir ses espoirs de jouer le titre face au Brésil, seule équipe à trois victoires en autant de matchs, quelques jours plus tard. Un match qui donne lieu à un nouveau scandale. Le 19 mars, le choc Pérou – Brésil tourne encore à la farce. Le Pérou ouvrira le score en début de seconde période grâce à Navarrete mais là encore, c’est la prestation de l’arbitre anglais, Charles McKenna, qui attire les regards, à commencer par ceux des Brésiliens. Au point qu’après la défaite surprise des favoris (la première victoire de l’histoire de la Blanquirroja face au Brésil), les joueurs de la Seleção vont se ruer sur l’arbitre de la rencontre dès le coup de sifflet final, Danilo frappe Charles McKenna au visage, Djalma Santos le frappe à la nuque, les images de l’arbitre inconscient évacué du stade se retrouvent dans les journaux alors que l’intervention de la police met fin au pugilat. De manière surprenant, personne ne sera sanctionné. Le Pérou qui peut alors rêver de titre s’écroulera face à l’Uruguay, le Brésil tombera à deux reprises face au Paraguay pour voir le titre s’envoler chez les Guaraníes. Mais la dernière journée sera celle d’un autre scandale, le dernier de l’épreuve, celui qui se déroule lors de Chili – Bolivie.

Chili - Bolivie, le dernier scandale

Avant dernier match de la compétition, le duel opposant Chili et Bolivie n’a aucun intérêt sportif réel. La Bolivie, qui n’est pas encore surnommée La Verde, évoluant pour la dernière fois avec un maillot blanc comme maillot principal et un short noir (à partir de 1957, elle évoluera en vert), avait certes réussi le coup d’éclat en s’offrant le Pérou en ouverture, mais ensuite, mis à part un nul face à l’Équateur (l’autre équipe réputée la plus faible de l’épreuve), elle n’avait connu que la défaite, dont un terrible 1-8 face au Brésil. Côté Chilien, le Sudamericano n’est pas si décevant : une victoire face à l’Uruguay, une autre face à l’Équateur, un nul face au rival péruvien et deux défaites concédées face aux futurs finalistes, le bilan est assez proche de celui de 1949. Mais en cette dernière journée, la Roja ne joue rien si ce n’est une victoire pour l’honneur face au rival bolivien.

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Chili-Pérou-Bolivie : l’autre bataille du Pacifique

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Le match est évidemment disputé, souvent haché par les fautes, Jumar écrira ainsi dans Estadio : « Dans tous les Sudamericano, la même chose se répète. Aux équipes dites petites, on permet. Ce sont les cadeaux du public et des arbitres compatissants qui laissent une grande liberté à leur véhémence. C’est ainsi que Brown a frappé Roldán à deux reprises et Livingstone une fois, sans que rien ne justifie une telle agressivité. […] Il est évident que les coups font mal et qu’il ne plait à personne de servir de cible à l’intempérance d’un adversaire qui perd le contrôle, mais en répondant de la même manière, le plus habile en sort préjudicié. Le jeu y a perdu. Brown et Roldán se sont lancés dans un duel personnel avec pour conséquence que tous deux ne se sont plus préoccupés du reste de leurs coéquipiers ». Dans le « jeu », Chili et Bolivie restent dos à dos, la Roja répondant à deux reprises aux buts des blancs. Puis arrive la 66e minute, celle où tout bascule. Un long ballon envoyé vers le but chilien, la légende Sergio Livingstone, considéré comme l’un des meilleurs gardiens sud-américains du XXe siècle, se précipite sur le cuir mais Víctor Brown se jette les deux pieds en avant et agresse ainsi le portier chilien. Richard Maddison, l’arbitre du fameux Pérou – Paraguay, décide alors d’exclure le joueur bolivien et provoque la colère du capitaine bolivien José Bustamante. Jumar raconte la suite : « Brown a été le seul joueur expulsé d’un match qui s’est caractérisé par la rudesse des duels sur le terrain. La suite est connue. Le capitaine bolivien, montrant une méconnaissance totale du règlement, s’est opposé à la sortie du fautif, et décida de faire sortir l’ensemble de son équipe pour ainsi éviter d’avoir à payer une forte amende. L’arbitre, plutôt que d’opter pour ordonner la sortie du fautif, décida alors d’abandonner le terrain. La Bolivie avait perdu la rencontre. Les joueurs chiliens ont attendu pendant quarante minutes sur la pelouse, attendant la décision officielle. Quand elle fut communiquée, ils ont alors salué leurs adversaires et dit au revoir au public péruvien ».

Cette victoire 3-0 sur tapis vert permettra au Chili de terminer à la quatrième place du tournoi, devant les voisins péruviens et boliviens. Elle est la première de l’histoire entre les deux ennemis à se conclure hors du terrain. Soixante-quatre ans plus tard, les trois rivaux du Pacifique seront les protagonistes d’une autre affaire qui cette fois, ne profitera pas au Chili.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.