C'est le plus grand attaquant qu'a connu le championnat uruguayen selon la moitié du pays. Huit fois meilleur buteur, sans jamais tirer un coup-franc ou un penalty, Atilio García a marqué l'histoire de l'Uruguay par sa classe et par les titres offerts à son club du Nacional, dont le premier quintuplé de l'histoire du championnat. La clameur provoquée par ses buts continue de résonner dans le Gran Parque Central, voici son histoire.

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Atilio García naît à Junín le 26 août 1914, dans ce que l'on appelle le « grand Buenos Aires ». Il débute le football jeune, dans son quartier, au sein du club de Mariano Moreno. Mais son père ne veut pas qu'il joue au foot, et va jusqu'à aller le chercher avec un bâton alors qu'il participe à un match, pour le renvoyer à la maison. Les dirigeants de son équipe de quartier sont obligés de négocier avec ce père autoritaire et de le convaincre que le petit Atilio a un vrai don pour le ballon rond, qu'il y a un futur dans ce domaine. Avec la bénédiction du père, García commence à jouer dans un club professionnel, Platense, revient à Junín, avant de retourner dans le centre de Buenos Aires pour jouer avec la réserve de Boca. Le titulaire à Boca étant l'indéboulonnable idole locale, Francisco Pancho Varallo, Garcia reste donc cantonner à l'équipe B. Jusqu'à ce qu'une opportunité se présente à lui.

« Un homme qui s'appelle Atilio ne peut pas être mauvais »

Nacional traverse une crise depuis 1935, perdant le championnat quatre années de suite, notamment à cause d'une génération dorée, celle de l'Uruguay de 1930, qui vieillit. Les Nasazzi, les Petrone, les Castro, sont sur la fin de leur carrière. Le changement de génération est compliqué, on ne vire pas des idoles comme celles-là, et Nacional cherche des joueurs à l'étranger pour rajeunir l'effectif. En 1937, le club signe le Brésilien Sezefredo Ernesto da Costa ou « Cardeal » qui avait notamment était champion du côté de Grêmio. Cela ne marche pas, Nacional terminant deuxième cette année-là, à nouveau derrière Peñarol. Début 1938, l'un des membres de la direction du Nacional, Atilio Narancio (le père de la victoire de 1924), cherche donc du côté argentin un nouvel attaquant à ramener au club. Il se tourne naturellement vers l'institution amie de l'autre rive, Boca Juniors. Narancio souhaite recruter le remplaçant de Varallo, un certain Francisco Providente, mais ce dernier refuse parce qu'il dispose déjà d'une offre plus concrète d'un club brésilien lambda. On propose à Narancio une liste de joueurs inconnus de l'Uruguayen, les joueurs de la réserve du club xeneize. Atilio Narancio veut un attaquant mais ne connaît aucun des noms de la liste. Il s'arrête sur García, Atilio de son prénom, et décide le faire venir à Montevideo, avec l'intuition que ce prénom lui portera chance. « Un homme qui s'appelle Atilio ne peut pas être mauvais » aurait-il déclaré. García aurait préféré retourner dans sa banlieue à Junín, mais il se laisse convaincre de tenter cet essai au Nacional en se disant « penses que tu pourras en profiter pour passer quelques jours à la plage », d'après ce qu'il dira bien des années après, à El Gráfico. García prend donc le vapeur jusqu'à Colonia del Sacramento, puis le bus jusqu'à Montevideo. Arrivé au siège du club, personne ne l'attend. Il se rend donc à la cantine, ou on le salue comme « l'Argentin qui vient de Buenos Aires ». Nous sommes en janvier 1938. Le soir de son arrivée, le 15, il débute contre Chacarita lors d'un match amical d'été. Pour l'émission Pasión Tricolor, Gonzalo Pérez raconte qu'il manque presque le début du match car il était en pleine sieste, suite à un voyage de nuit éreintant. Il faut dire que le voyage par Colonia est le moins cher mais le plus épuisant, comme ça l'était à l'époque et l'est encore aujourd'hui. Malgré un but, il n’est pas particulièrement bon lors de la première mi-temps. L'entraîneur écossais de Nacional, William Reaside veut le remplacer (c'est un amical) et le laisser rentrer en Argentine. Il converse avec Roberto Porta, qui lui demande de lui laisser un peu de temps : il joue tête haute, prend les coups sans ciller, il faut lui laisser une chance. Laissons-lui quarante-cinq minutes de plus demande son collègue d'attaque Porta. L'entraîneur ne veut pas, il veut faire tourner l'effectif, voir d'autres joueurs du club. Héctor Castro, le divin manchot, alors âgé de trente-trois ans, se propose de sortir à la place de García, pour lui laisser une chance supplémentaire. L'Écossais accepte, et García donne bien meilleur impression en deuxième mi-temps, marquant le but de la victoire, en étant magnifique sur le terrain. À la fin du match, le capitaine Faccio le prend à part et lui conseille de jouer physique « les défenses ici sont rudes. Je lui ai demandé s'il avait peur, il m'a répondu que non, que sur un terrain il n'avait pas peur, que s'il était frappé, il frappait en retour ». À la fin du match, Nacional paie le joueur cent pesos et l’enrôle dans son effectif. García avait prévu un aller-retour pour Buenos Aires, il annule le retour. 

garcia

Entre février et mars 1938, se joue le Torneo Internacional Nocturno entre huit équipes argentines (San Lorenzo, Boca Juniors, Newell's Old Boys, Independiente, Racing, Rosario Central, River Plate et Estudiantes de La Plata) et les deux Uruguayens de Peñarol et Nacional. Tournoi non-officiel mais très prestigieux, Nacional s'impose lors de cette coupe, avec deux matchs de légende. Le premier, le 19 février, lors d'un match contre Estudiantes resté dans les annales comme « le match des maillots ensanglantés ». Lors de ce match joué sur le terrain d'Estudiantes, l'équipe bolso est accueillie dans un climat de violence, des armes à feu sont exhibées en tribune. Un membre de la délégation tricolore descend alors dans le vestiaire pour demander aux joueurs de lever un peu le pied et de penser à sauver leur vie. Le capitaine, Ricardo Faccio, met dehors le dirigeant et selon Jesus Arrieta tient ce discours, cité dans le revue « Decano » : « Il se passera ce qu'il devra se passer, mais nous gagnerons ce match pour notre honneur, celui du Nacional, de notre pays et de notre famille ». Nacional l'emporte finalement deux buts à un, grâce à deux buts d'Atilio García, et trois joueurs sortent avec leur maillot blanc couvert de sang, dont García. Le deuxième match resté dans l'histoire, lors de ce même tournoi, est un clásico durant lequel Nacional bat Peñarol également sur le score de deux buts à un, avec à nouveau deux buts de l'attaquant argentin qui est définitivement entré dans les cœurs tricolores sans avoir encore débuté en match officiel.

Le début de l'armada

Ce début en compétition officiel arrive le 3 avril 1938, pour le début du championnat uruguayen, qui voit onze équipes s'affronter en match aller-retour. Nacional termine deuxième, Peñarol empochant son quatrième titre d'affilé. Nacional gagne pourtant trois des clásicos de l'année, pour un match nul et une victoire de Peñarol, victoire la plus importante puisqu'il s'agit du match aller en championnat. Le dernier match gagné par Nacional l'est le 11 septembre 1938, devant cinquante-cinq mille personnes au Centenario dans le cadre de la Copa Lord Willingdon, ancien vice-roi des Indes, ancien Gouverneur général des Indes et du Canada. Ce dernier, de voyage en Amérique du Sud, se voit offrir un match de gala par la présidence de la République et par l'ambassade britannique. Nacional l'emporte trois buts à un, avec un doublé de García, et un Nacional qui, malgré la perte du titre, se trouve un nouveau onze. L'Écossais William Reaside a trouvé son équipe. Sans gagner le titre, García est le meilleur buteur du championnat dès sa première année sur les terres orientales.

À partir de 1939, Nacional va être inarrêtable. Ce sera la « Machine », le « Nacional de 40 ».  La litanie de chiffres rend peu justice aux exploits du onze bolso de 1939 à 1943. En 1939, Nacional obtient le titre en privant Peñarol de ce qui aurait pu être le premier quintuplé de l'histoire. Ce titre est obtenu lors d'une finale, puisque Peñarol et Nacional terminent à égalité avec vingt-huit points chacun. La finale de 1939 est donc jouée avant le début du championnat 1940, le 28 avril 1940, au Centenario. Reaside est parti fin 1939, et c'est donc le divin manchot Héctor Castro qui dirige l'équipe, comme il le fera les années suivantes. Avant la rencontre, il réunit l'équipe au milieu de terrain. García rapporte : « Je me souviens de ce match contre Peñarol, sous les ordres du manchot Castro. Il nous a tous réunis au milieu de terrain et nous a dit « Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Chacun sait très bien ce qu'il a à faire et comment le faire. Ce petit discours, je vous le fais uniquement pour les tribunes ». Nacional ouvre le score par Fernando Arispe, mais Adelaido Camaití égalise pour Peñarol en toute fin de match. Durant la prolongation, c'est Luis Volpi puis Atilio García qui offrent la victoire à Nacional. García termine meilleur buteur avec vingt-et-un buts. En 1940, Nacional remporte à nouveau le titre, avec dix points d'avance sur Rampla Juniors et surtout treize sur l'ennemi de toujours, Peñarol. L'attaque de Nacional marque soixante-trois buts en vingt matchs, dont vingt, à nouveau, pour García, de nouveau meilleur buteur du championnat. Lors du dernier clásico de la saison, remporté cinq buts à un par Nacional, García marque quatre buts, record du plus grand nombre de but par un joueur dans un clásico, quatre buts marqués de la tête.

nacpenarolLe Quintuplé d'Or

L'année 1941 est celle de tous les records pour Nacional, qui remporte le championnat en gagnant tous ses matchs, vingt sur vingt, avec 79 buts marqués, et, à nouveau, García meilleur buteur, pour la quatrième année d'affilé déjà. Entre 1940, 1941 et 1942, l'équipe gagne, trente-deux matchs consécutivement. Le dernier match de la saison 1941 est un clásico remporté six à zéro par Nacional, plus grand écart enregistré dans un clásico uruguayen. Auteur d'un doublé, García dira en interview « on aurait pu marquer dix buts. Après le sixième, Luis Ernesto a frappé au but et a crié de joie mais sa frappe est passé au-dessus ! […] Au début de la saison, la direction nous a proposé de nous payer dix pesos par but marqué […] ils ont rapidement dû arrêter ce système ! ». Robarto Porta dira de ce Nacional : « si on avait pu partir jouer à travers le monde, on serait revenu invaincu ». Ce soir-là, l'équipe de Peñarol est pourtant composée de grands joueurs, comme Roque Máspoli dans les cages, ou Severino Varela en attaque. Rien n'y fait, la machine est inarrêtable. 

Nacional est encore champion en 1942 et 1943, avec toujours l'Argentin de Junín comme meilleur buteur du championnat. Avec ce cinquième titre en 1943, Nacional entre dans l'histoire comme le premier club uruguayen à réussir un quintuplé, performance qui ne sera réalisée qu’à deux reprise depuis, à chaque fois par Peñarol. En remerciement de ce quintuplé obtenu, les supporters du club bolso organisent une collecte pour pouvoir payer une maison à Atilio. La collecte ayant réussi, ils achètent la maison et se rendent au siège du club pour remettre une clef en or symbolique au joueur et organiser une caravane pour l'accompagner à son nouveau domicile. Sa fille Mabel se souvient pour l'émission Pasión Tricolor : « j'étais très jeune, mais je me souviens du moment durant lequel nous sommes entrés dans la maison, ce type de choses te marque. Je me souviens que nous allions au siège du club et nous regardions le graphique de l'évolution de la collecte. Les gens aux ressources les plus faibles furent ceux qui mirent le plus ».

En 1944, García est de nouveau meilleur buteur du championnat, avec vingt-et-un buts. Mais des changements s'annoncent, Peñarol bat Nacional lors du match aller deux buts à rien, et obtient le nul au retour. À la fin du championnat, les deux équipes qui sont à égalité doivent jouer une finale. La première finale se termine par un score nul de zéro à zéro, entraînant automatiquement une deuxième finale. García marque deux buts au début du match, mais Peñarol s'impose finalement trois buts à deux, avec notamment un but d'un milieu de terrain de vingt-sept ans qui vient d'arriver à Peñarol, Obdulio Varela. Malgré un septième titre de meilleur buteur du championnat d'affilé, García, et sa machine, passent la main. En 1945, avec la sélection uruguayenne, il participe au championnat d'Amérique du Sud disputé au Chili. Il marque trois buts à l’Équateur lors du premier match de l'Uruguay, puis deux à la Colombie, mais est muet contre le Brésil et l'Argentine. L'Uruguay termine quatrième, et García n'est pas meilleur buteur puisque Heleno de Freitas et Norberto Méndez marquent six buts chacun. Après une année tronquée, le titre de meilleur buteur revient à Raúl Schiaffino, frère de Pepe. En 1946, Atilio revient pour un nouveau titre de Nacional et pour un huitième titre de meilleur buteur du championnat. Il sera également des titres de 1947 et 1950 mais il perd en force physique avec l'âge, et il ne fait pas partie, à trente-six ans, de l'équipe qui s'en va couper le son du Maracaná. Il ne prend jamais vraiment complètement sa retraite, jouant au Nacional de Paysandú dans l'intérieur des terres, puis avec Liverpool, Racing puis Miramar, avant de prendre sa retraite à la fin des années cinquante. Il décédera le 12 décembre 1973 à Montevideo, où il sera finalement resté toute sa vie.

Des buts et des émotions

Atilio García, c'est huit titres de champion uruguayen, huit titres de meilleur buteur du championnat, et surtout, quelque chose d'essentiel pour les supporters de Nacional, trente-cinq buts marqués au traditionnel rival, soit huit buts de plus que Fernando Morena, qui, avec vingt-deux buts dans les années soixante-dix, battra son record de meilleur buteur historique du championnat. Il faut dire qu'à l'époque, dans les années quarante, le championnat uruguayen ne comprend que neuf à onze équipes en fonction des saisons, en mode aller-retour. Du temps de Morena, ce chiffre sera plus proche des douze équipes, augmentant mathématiquement le nombre de matchs joués par Nando. Cela fait que García ne marque « que » deux-cent-huit buts en championnat uruguayen, mais également cent-dix buts lors d'autres coupes nationales officielles, notamment des Torneo de Honor, sorte de coupe jouée durant le premier semestre de l'année. En treize saisons avec Nacional, il aura ainsi marqué quasiment un but par match de championnat, soit une performance supérieure à celle de son rival historique au pays, Morena avec Peñarol, et que d'autres immenses joueurs comme le Brésilien Pelé. Il fait partie d'un club très réduit d'Argentins ayant marqué plus de trois-cents buts avec leur club respectif, groupe également composé d'Alfredo Di Stéfano, Ángel Labruna et Lionel Messi selon le quotidien argentin Clarín. Avec Nacional, il remporte également trois fois la Copa Aldao, contre Boca Juniors, River Plate (victoire de Nacional quatre à zéro en 1942 alors que River était l'autre Máquina de l'époque) puis San Lorenzo. Malheureusement, il joue à une époque où il n'y a plus de Coupe du Monde, étant trop jeune en 1938 et trop vieux en 1950.

Une tribune du Gran Parque Central porte aujourd'hui son nom, et il reste surtout comme le plus grand attaquant de l'histoire glorieuse du Nacional. Au point d'être aujourd'hui la référence que l'on évoque dès qu'un attaquant commence à aligner les buts à chaque match.

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Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba