Si Park Ji-sung et Son Heung-min sont aujourd'hui les Guerriers Taeguk les plus connus, Cha Bum-keun est celui qui a fait connaître la Corée du Sud au monde du football. Premier joueur sud-coréen à faire le grand saut vers l'Europe à la fin des années soixante-dix, Cha Bum-keun y a connu gloire et renommée. Suffisamment pour être aujourd'hui le père spirituel de toutes les générations de footballeurs du pays du matin clair et frais. Retour sur la carrière du meilleur joueur asiatique du XXe siècle.

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Chapitre 2 : La difficile route vers l'Europe

L'explosion à l'international

Avec Cha Bum-keun dans ses rangs, ROK Air Force ne connaîtra pas pour autant le succès mais seulement une meilleure renommée, lui permettant ainsi de sortir de l'ombre de la Navy et de l'Army. Malgré une période discrète en club, Cha Bum-keun continue d'attirer l'attention lorsqu'il revêt la tunique des Guerriers Taeguk. Non pas en Coupe du Monde, puisque la Corée du Sud ne se qualifie ni en 1974 ni en 1978, malgré les bonnes performances de Cha Bum-keun, mais à travers les coupes internationales qui sont monnaie courante en Asie où les équipes du continent peuvent se frotter à des clubs étrangers. Cha Bum-keun y a déjà fait des merveilles notamment en 1976 lors de la President Cup, compétition annuelle se déroulant en Corée du Sud. Cette année-là, il réalise un triplé en six minutes lors du premier match face à la Malaisie, permettant à son pays d'arracher un match nul (4-4) avant de partager le titre avec les U21 de São Paulo.

Ces différentes coupes sont des éléments clés dans la carrière de Cha Bum-keun puisque c'est elles qui lui permettent de se montrer au monde entier. L'intérêt international pour le prodige sud-coréen provient essentiellement d'Amérique du Sud mais tout évolue en 1978, une année qui marque un tournant pour la carrière de Cha Bum-keun. Lors de la première édition de la Japan Cup en mai, il se frotte ainsi aux Allemands du Borussia Mönchengladbach. Malgré la défaite de la Corée du Sud (4-3), l'entraîneur du club allemand, Udo Lattek est agréablement surpris par l'attaquant coréen. En septembre, l'Eintracht Francfort est convié à la President Cup. Bien que n'ayant pas affronté la Corée du Sud, le staff de l'équipe allemande assiste aux différentes rencontres et Cha Bum-keun leur tape dans l'œil. Dieter Schulte, adjoint de l'entraîneur Otto Knefler, en est persuadé : Cha Bum-keun deviendra un grand joueur s'il rejoint l'Allemagne.

Dieter Schulte se met donc en quête de ramener Cha Bum-keun dans ses valises mais il est rapidement mis au courant de la situation du joueur et ce qui l'empêche de quitter son pays, à savoir, son service militaire. En novembre 1978, il adresse donc une lettre au Professeur de l'université Konkuk, Park Dong-hee, également membre de la Korea Football Association. Dans ce courrier, il demande à la KFA si Cha Bum-keun peut s'envoler pour l'Allemagne à la fin du mois ou au début du mois de décembre afin de réaliser un test avec Bandus Company, fabricant mondial de matériel sportif et agence de scouting internationale. Le système proposé par Dieter Schulte est loin de celui connu c'est-à-dire négocier avec le joueur et les agents. Il souhaite que Cha Bum-keun signe un contrat avec Bandus Company qui négociera ensuite avec les équipes s'intéressant à lui. Surpris par cette lettre, Park Dong-hee en informe la KFA qui se voit dans l'obligation de refuser la demande. En effet, d'une part Cha Bum-keun n'a toujours pas terminé son service militaire et surtout, les Asian Games 1978 se profilent à l'horizon. Pour la KFA, il est hors de question de voir son meilleur joueur partir en Europe et ne pas être disponible pour ce grand rendez-vous. De plus, la fédération sud-coréenne a bien conscience qu'une fois le joueur parti en Europe, sa carrière internationale sera également impactée alors que les Guerriers Taeguk ne peuvent se passer de leur meilleur joueur. La Fédération est aussi inquiète de perdre son meilleur représentant dans le pays. Il n'est pas non plus sans dire que le ROK Air Force ne voit pas d'un très bon œil un possible départ du joueur prématurément. La réponse à Dieter Schulte est donc simple : s'il veut voir jouer Cha Bum-keun, qu'il vienne l'observer à Bangkok pendant les Asian Games. Dans la capitale thaïlandaise, Cha Bum-keun et la Corée du Sud se hissent jusqu'en finale face à la Corée du Nord. Sans but après la prolongation, les deux équipes se partagent le titre*. Lors de la seconde phase de groupes, Cha Bum-keun inscrit le but victorieux face à la Chine. Son dernier but sous les couleurs des Guerriers Taeguk.

Chapitre 1 : La naissance d’une légende

Les Asian Games terminés, Dieter Schulte reste dans son idée : faire venir Cha Bum-keun en Allemagne. Il adresse de nouveau un courrier à la KFA, demandant urgemment à ce que Cha Bum-keun rejoigne la Bandus Company. En effet, un joueur doit parapher un contrat avant le 31 décembre afin de pouvoir jouer le reste de la saison. Le temps presse. Trois jours après la finale des Asian Games, le 23 décembre, Cha Bum-keun, avec l'accord de la KFA, de l'armée et du gouvernement, s'envole pour Francfort où il signe avec Bandus Company et débute, sans même se reposer, les entraînements. Il reste très peu de temps avant qu'un club puisse se positionner sur le joueur. Bien que Dieter Schulte soit à l'origine de l'arrivée Cha Bum-keun à Francfort, le club ne peut pas le recruter, possédant déjà son quota de joueurs étrangers dans l'effectif. C'est donc un autre club allemand qui arrache la signature de la star sud-coréenne. Alors que Cha Bum-keun participe à un entraînement ouvert au public le 26 décembre, les émissaires du club de Darmstadt se montrent intéressés et lui proposent un contrat de six mois. Si Cha Bum-keun accepte la proposition, il reste néanmoins lucide sur la situation du club allemand. En effet, Darmstadt est dernier de Bundesliga et Cha Bum-keun ne souhaite pas s'attarder à ce niveau : « Je vais montrer mes capacités pendant six mois et rejoindre un meilleur club. C'est comme une période d'essai ». À vingt-cinq ans, Cha Bum-keun devient ainsi le premier Sud-Coréen à faire le grand saut vers l'Europe.

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Imbroglio militaire

Le conte de fée peut alors commencer. Darmstad fait venir la femme et la fille de Cha Bum-keun en Allemagne, et leur trouve une maison. Cha Bum-keun n'a pas le temps de souffler et est déjà sur le pont avec sa nouvelle équipe le 30 décembre 1978. Face à Bochum, devant de nombreux Sud-Coréens résidants en Allemagne, il dispute soixante-seize minutes convaincantes pour une victoire de son équipe. La prestation de la recrue est saluée par la presse locale. L'aventure semble être parfaitement lancée, mais connait un arrêt brutal quelques jours plus tard. La faute à une promesse de l'Armée de l'Air faite à Cha Bum-keun en 1976, qui n'est finalement pas tenue. Cette promesse, à savoir réduire la durée du service militaire du joueur, devait lui permettre d'être déchargé au 31 janvier 1979. Cha Bum-keun avait donc signé avec Darmstad en avance, considérant que sa permission pour rejoindre l'Allemagne serait prolongée jusqu'à la fin de son service militaire. Mais ROK Air Force refuse de reconnaître le contrat et réclame le retour de Cha Bum-keun en Corée du Sud, ce qui est acté le 5 janvier 1979. Si Cha Bum-keun pensait régler rapidement le problème et revenir à Darmstadt, il se trompait et doit faire face à une position inflexible des militaires.

Demandant audience auprès de l'administration militaire, Cha Bum-keun leur rappelle la promesse qui lui a été faite en 1976. Mais l'Armée de l'Air nie toute implication dans une telle promesse et Cha Bum-keun ne peut prouver qu'elle a bien été faite puisqu'il s'agissait uniquement d'un accord verbal. Le ministre de la Défense déclare alors que « peu importe le talent d'un joueur, il ne peut recevoir de traitement spécial ». Park Joon-hong, président de la KFA qui a facilité le départ de Cha Bum-keun en Allemagne, ne vient pas au soutien de son joueur déclarant que la question doit être réglée en interne par l'armée. Il faut dire que Park Joon-hong est en mauvaise posture et ne peut venir en aide à Cha Bum-keun. Incapable de rembourser la dette de la KFA auprès d'hôpitaux, d'hôtels et autres complexes sportifs mais également accusé de détournement de fonds, il est poussé à la démission en février 1979. Park Joon-hong fragilisé, les soutiens de Cha Bum-keun à la fédération s'éteignent progressivement. La star sud-coréenne est coincée, et n'a pas d'autre choix que d'effectuer son service militaire jusqu'à son terme, en mai 1979. Mais l'affaire ne reste pas uniquement dans les frontières sud-coréennes. La presse allemande, sous le charme de Cha Bum-keun après son match face à Bochum, met en avant cette affaire souhaitant de tout cœur voire le joueur revenir en Bundesliga au plus vite. L'ambassadeur sud-coréen en Allemagne de l'Ouest envoie une lettre au gouvernement indiquant que si Cha Bum-keun ne revient pas en Allemagne de l'Ouest, il craint que l'image du football sud-coréen soit impactée. Même son de cloche pour le ministre de l'Education et pour le président du Comité Olympique Coréen. Mais toutes ces tentatives restent vaines. Cha Bum-keun est condamné à terminer son service militaire.

Hyundai voulait Cha Bum-keun

Avant même que Cha Bum-keun ne rejoigne l'Allemagne de l’Ouest, plusieurs entreprises voulaient le recruter dans leur équipe à la fin de son service militaire. L'une d'elle était POSCO, propriétaire du club de Pohang. Son président, Park Jae-hong, avait reçu une demande de la part de son cousin, Park Joon-hon, président de la KFA : conserver Cha Bum-keun en Corée du Sud pour continuer de promouvoir le football dans le pays. L'autre était Hyundai, qui a tenté tout ce qui était possible pour faire venir le joueur. À la fin des années soixante-dix, le groupe Hyundai avait l'ambition de créer un club de football professionnel. L'un des majeurs chaebol sud-coréen voyait les choses en grand et souhaitait créer une équipe de stars afin que le projet soit une parfaite réussite. Bien évidemment, Cha Bum-keun était le principal nom de la liste des joueurs ciblés. Il était même la condition pour créer l’équipe : pas de Cha Bum-keun, pas de club. Sur les 300 millions de won que Hyundai souhaitait dépenser dans la création du club, 100 millions étaient alloués à s'attacher les services Cha Bum-keun. Une somme astronomique pour l'époque. Apprenant les nouvelles d'un intérêt de l'Allemagne de l'Ouest envers Cha Bum-keun, Hyundai fit pression sur la KFA pour retenir le joueur un maximum et le faire signer dans son écurie. Renouvelant, au passage, la menace d'abandonner la création du club. Mais la star sud-coréenne avait déjà fait son choix et voulait à tout prix rejoindre l’Europe. Il ne serait donc pas imprudent de penser que lorsque le problème du joueur face au service militaire fit irruption, Hyundai n'ait pas fait pression sur la KFA pour qu’elle n’intervienne pas : éloigner Cha Bum-keun de l'Allemagne de l'Ouest pour encore six mois donnait ainsi encore du temps à Hyundai pour le recruter. Peine perdue.

 

 

* Bien qu'ayant remporté les Asian Games, Cha Bum-keun ne voit pas son service militaire être interrompu. Il faut attendre 1992 pour que la loi coréenne évolue et permette aux athlètes ayant remporté une médaille olympique ou l'or aux Asian Games d'être exemptés de service militaire. 

Baptiste Mourigal
Baptiste Mourigal
Rédacteur Asie, spécialisé Corée du Sud (K League, KFA) à suivre sur @KleagueFR