C'était un athlète complet, et un immense gardien, capable de performances exceptionnelles. Élégant sur et en dehors du terrain, il était déjà expert en plongeon et avait une vision du jeu qu'il transmettait à ses collègues, lui qui était frustré de devoir rester dans les cages au point de poser pour l'appareil photo en cours de match quand il s'ennuyait. Il a été champion du monde 1924, 1928, mais pas 1930, pour avoir quitté le groupe pour voir sa future femme. Voici l'histoire du grand Andrés Mazali.

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Le gardien de l'Uruguay des années dix est Cayetano Saporiti, gardien durant vingt ans des Montevideo Wanderers. Saporiti joue ses dernières sélections en 1919 lors du Sudamericano au Brésil. Il est alors remplacé en cours de compétition par le gardien de la relève, le meilleur jeune du pays au poste, Roberto Chery. Mais ce dernier décède des suites du blessure à l'estomac reçu lors de sa première sélection contre le Chili. L'Uruguay va alors passer quelques années à se chercher un gardien, entre celui de Belgrano, Pedro Casella, ou Manuel Belloutas... En 1924, arrive un petit jeune déjà titulaire au Nacional, Andrés Mazali. Il est titulaire en club depuis 1922, mais aussi surtout déjà champion d'Amérique du sud du 200 mètres haies en 1920 lors des championnats d'Amérique du Sud d’athlétisme au Chili, et champion d'Uruguay de basketball en 1923 avec Olimpia. Quand il arrive en sélection en 1923, Mazali est remplaçant de Pedro Casella. Ce dernier se blesse début 1924 et doit laisser sa place, dans les cages, au jeune Mazali, qui devient titulaire à seulement vingt-deux ans. Jeune, il a été « formé » du côté de Reformers mais c'est surtout ses performances du côté de Nacional qui lui ouvrent les portes de la sélection. Mazali joue ses premiers matchs de titulaire avec la Celeste lors de la tournée préolympique en Espagne, en avril 1924.

L'Uruguay vient d'effectuer en effet un très long voyage sur le Désirade pour rejoindre l'Europe, en troisième classe, sur un bateau vapeur pour un voyage qui dure presque un mois. Une épopée qu’il raconte au magazine El Gráfico : « Je n'ai jamais été aussi mal et aussi content à la fois. J'avais 22 ans pour ce voyage […] on ne pouvait pas manger la mauvaise nourriture du bord, on ne buvait que du maté délavé, en chantant jusqu'à notre propre misère. Notre destination était l'Espagne où nous jouerions quelques matchs pour ensuite arriver aux Jeux Olympiques. Cette tournée devait être financée par les fonds reçus grâce aux matchs amicaux. Pour la première fois une équipe sud-américaine jouait en Europe, mais comme ils ne connaissaient pas notre valeur, personne n'était finalement intéressé à venir nous voir. Martínez Laguarda, qui avait tout fait et joué sa peau pour qu'on vienne, nous avait dit : ‘’Garçons, il n'y a pas de tournée. J'ai seulement pu vous obtenir, avec l'aide du consul à Vigo, un match. Du sort de ce match dépend notre futur’’ ».

Le 8 avril, l'Uruguay s'impose trois à zéro, puis quelques jours plus tard quatre buts à un contre l'équipe du Celta Vigo, malgré deux penalties accordés aux Espagnols dont un arrêté par Mazali. L'Histoire est en marche, les Espagnols veulent tous voire ces Uruguayens volants. Les 20 et 21 avril, l'Uruguay continue donc sa tournée et affronte l'Atheltic Bilbao deux fois. José Vidal et Mazali travaillent ensemble sur les penalties pour battre l'adversaire. Lors de ce match, Vidal s'approche de l'adversaire avant qu'il tire et lui glisse à l'oreille : « ce jeune gardien est invaincu aux penalties ». « Le tireur, alors nerveux, tente le fameux truc de regarder à gauche et de tirer à droite, mais c'est où Mazali a déjà plongé, qui repousse la balle » selon la revue 100 Años de Fútbol. Mazali arrête donc encore un penalty, et s'impose définitivement dans les cages. Le 15 mai, l'Uruguay affronte le Racing Club de Madrid, puissance de l'époque, et notamment son gardien Ricardo Zamora, alors considéré comme le meilleur gardien du monde, surnommé « Le Divin ». L'Uruguay s'impose trois buts à un, avec un nouveau penalty arrêté par Mazali. C'est le dernier match de cette tournée de neuf matchs, durant laquelle l'Uruguay a gagné tous les matchs, et Mazali arrêté trois penalties.

Paris et l'arbitre français

À Paris, Mazali a peu l'occasion de briller. Le premier adversaire est la Yougoslavie. Avant la rencontre, un joueur yougoslave hispanophone glisse aux joueurs uruguayens : « dommage d'avoir fait tant de kilomètres pour avoir à retourner en Uruguay après un match ». Mais l'Uruguay s'impose sept à zéro, Mazali ne touche pour ainsi dire pas le cuir. L'arbitre du match, le Français Georges Vallat, admiratif des Uruguayens, demande à la fin du match à Mazali, qui comprend bien le français, une photo de l'équipe, il salue le gardien « Mazali, champion ! ». Le gardien oublie dans les jours qui viennent sa promesse à l'arbitre et ne lui remet pas la photo. Le deuxième match est gagné trois à zéro contre les États-Unis, puis le quart est gagné cinq buts à un contre la France. Jusqu'à la demi-finale, Mazali est tranquille. Vient la demi-finale contre les Pays-Bas, et, surprise, en rentrant sur le terrain, c'est ce même Georges Vallat qui arbitre la rencontre. Mazali est dépité, retourne dans les vestiaires, remue tous les effets personnels des joueurs et trouve finalement une photo. Il la fait signer par l'équipe à la mi-temps, alors que l'Uruguay est en grande difficulté, perdant un à zéro. En rentrant en premier sur le terrain, il vient grand-seigneur vers l'arbitre et lui remet, comme promis évidemment, la photo de l'équipe autographié en bonus par toute la délégation. La deuxième mi-temps est aussi serrée que la première mais l'Uruguay arrive à égaliser par Cea sur un centre d'Urdinarán. Vallat valide le but malgré les protestations des Néerlandais pour un offside putatif d'Urdinarán. À la toute fin du match, alors que les Néerlandais défendent avec acharnement leur cage, Georges Vallat siffle un penalty pour l'Uruguay. Toute l'équipe des Pays-Bas proteste, mais le défenseur Pedro Arispe se retourne vers son gardien tout sourire, et lui crie hilare « c'est la photo Mazali, la photo ! ». L'Uruguay s'impose deux buts à un contre les Pays-Bas et va décrocher le titre ensuite contre la Suisse trois buts à rien. En cinq matchs, Mazali n'a encaissé que deux buts et a su faire plaisir à un arbitre. Durant cette tournée de 1924, Mazali se fait remarquer non seulement comme gardien mais aussi comme préparateur physique de l'équipe profitant de son expérience de l'athlétisme et de la gestion de l'effort. C'est lui qui dirige les exercices physiques sur le bateau à l'aller et qui prépare ses coéquipiers à une époque où il n'y a pas vraiment d'entraîneur ou de sélectionneur mais un président de la délégation qui gère les affaires courantes et laisse les footballeurs se préparer et faire l'équipe eux-mêmes. À la fin de l'année 1924, Mazali remporte avec l'Uruguay le tournoi Sud-américain joué à Montevideo, n'encaissant qu'un but en trois matchs, un but contre le Paraguay alors que l'Uruguay menait déjà trois à zéro. Mazali avait déjà été appelé en 1923 mais il était alors remplaçant. À vingt-deux ans, il cinq fois champion d'Uruguay avec Nacional, double champion d'Amérique du Sud, champion olympique et du monde de football, champion d'Uruguay de basketball, et d'Amérique du Sud en deux-cents mètres haies (ou quatre-cents, selon les références). Quelques poulpejours avant le Sudamericano, lors d'un amical contre l'Argentine, Mazali est « victime » du premier gol olímpico de l'histoire.

La tournée de 1925 et les Jeux de 1928

L'année 1925 est celle, déjà, du retour en France pour Mazali. La tournée en Espagne de 1924, qui n'avait commencé que par un match, avait été finalement un vif succès. Les matchs du championnat du monde en France aussi, et les joueurs uruguayens sont invités à revenir pour des matchs de galas. C'est la grande tournée du Nacional de 1925. Dans L'Auto, « André Mazzali » est décrit comme « un gardien de but et athlète complet. Certainement un des meilleurs gardiens de but du monde. Il n'a pas été vu réellement en action aux Jeux Olympiques ». C'est de nouveau le cas lors de la tournée de 1925, durant laquelle Mazali joue vingt-six matchs sur trente-huit, Nacional jouant parfois avec une équipe B dans d'autres villes le même jour. En trente-huit matchs, l'équipe n’encaisse que trente buts, Mazali est décrit comme un poulpe à huit bras dans les caricatures. Il affirme son style de jeu basé sur le plongeon (son surnom est alors « le plongeur ») mais aussi basé sur les sorties sur les centres dans toute la surface. Grâce à son entraînement athlétique, il est l'un des premiers gardiens à sortir aux quatre coins de sa surface, à ne pas rester immobile dans son but. Quand son équipe mène, il se permet même de sortir de sa surface pour tenter de dribbler un adversaire, comme il le faisait quand il était jeune et qu'il jouait milieu de terrain. Les amateurs acclament sa capacité de sortie sur les centres n'attendant pas que l'attaquant contrôle la balle. Avec son équipe, Mazali l'Europe en train, 15 000 kilomètres, en plus du voyage aller-retour avec l'Amérique du Sud.

Après deux années de tournées et d'efforts, Andrés Mazali marque le pas, et ses performances s'en ressentent. Son club de Nacional n'arrive pas à revenir à la vie normale, après les voyages et les rêves. Après la réunification du football uruguayen, Nacional n'est plus champion, encaisse plus de buts, et Mazali est relégué au poste de remplaçant en sélection derrière Fausto Batignani, gardien de Liverpool. L'Uruguay emporte le Sudamericano 1926, mais Mazali ne joue pas une minute. En 1927, il participe à une nouvelle tournée du Nacional entre les États-Unis, Cuba et le Mexique. Suite à cette tournée, il n'est pas appelé pour le Sudamericano de 1927 au Pérou, tout comme le capitaine Nasazzi, et l'Uruguay perd à nouveau contre l'Argentine. L'objectif unique de l'équipe est de répéter l'exploit de 1924 mais désormais à Amsterdam, avec cette fois la présence de l'ennemi d'en face, l'Argentine. Pour ce retour aux choses sérieuses, Mazali sera titulaire, Batignani remplaçant. L'Uruguay commence son tournoi comme à Paris, gagnant deux à zéro contre les Pays-Bas puis quatre buts à un contre les Allemands. La demi-finale contre l'Italie est tendue mais la Celeste s'en sort avec une victoire trois bus à deux. Vient ensuite la finale tant attendue contre l'Argentine, premier clásico du Rio de La Plata si loin du Rio. La finale du 10 juin est un peu un cauchemar pour l'Uruguay car Castro se blesse dès le début du match. À une époque où il n'y a pas de changement possible, l'Uruguay joue le match à dix, Castro s'exilant sur un côté, au niveau de la ligne médiane, faisant acte de présence. mazali2Dans ce contexte, Pedro Petrone ouvre malgré tout le score à la 23e minute, mais Ferreyra égalise à la 52e. À la fin du temps réglementaire, les deux équipes reviennent sur le terrain pour jouer une prolongation de deux fois quinze minutes, et si aucun vainqueur n'est départagé, il y aura match d'appui. L'Argentine pousse de plus en plus fortement, et à l'ultime minute, Gainzarain arrive à dribbler Nasazzi et à venir se présenter en face à face avec Mazali. Un instant surpris, l'attaquant argentin doute. Il frappe finalement au but mais Mazali est sorti sur lui et arrête le ballon magistralement. Ce match nul héroïque permet d'arracher un match d'appui, et à Tito Borjas d'entrer dans la légende avec son « Tuya, Héctor ! ». Pour de nombreux observateurs, Mazali est l'homme des deux finales contre l'Argentine, ayant permis à son équipe de jouer le match d'appui. Mazali fait partie des joueurs qui ont gagné deux fois le titre, et à seulement vingt-sept ans, il peut se préparer pour 1930, car lors du congrès de la FIFA de Barcelone, il est annoncé que sera organisé la première Coupe du Monde de la FIFA en Uruguay.

Pour les yeux d'une femme

Mazali est bien titulaire lors du Sudamericano de 1929 durant lequel l'Uruguay termine troisième, mais tout le continent et une bonne partie du monde n'a déjà d'yeux que pour cette Coupe du Monde exceptionnelle qui sera organisé durant l'hiver 1930 en Uruguay. Devant la peur d'un effectif un peu vieillissant, le comité de sélection fait appel à un homme pour prendre en main l'équipe et la préparation, un premier vrai sélectionneur : Alberto Suppici. Ce dernier n'a que quatre ans de plus que Mazali, mais déjà une forte culture de l'entraînement physique et de l'exigence, qu'il a développée du côté de Colonia. Cette exigence passe par quelques règles qui paraissent évidentes aujourd'hui mais qui ne l'étaient pas forcément à cette époque mi-professionnelle, mi-amateur : pas de cigarettes, entraînement physique régulier, et présence impérative au centre d'entraînement. Pour se préparer, l'Uruguay dispose justement d'un chalet au sein du parc Prado, où se situe aujourd'hui le stade de River Plate. De façon plus ou moins régulière, certains joueurs ont pris l'habitude de se faire la malle le soir en passant par les balcons pour aller au cabaret. Andrés Mazali n'est jamais le dernier à faire la fête, il aime bien le cabaret et est un valeureux ténor qui aime chanter. Un jour, Mazali est absent d'une activité organisée par l'entraîneur Suppici. Longtemps, on dira qu'il était au cabaret, mais son fils puis son petit-fils ont passé les quatre-vingt-dix dernières années à le clamer à chaque fois que cette rumeur du cabaret apparaît : sa promise, sa future femme était venue le chercher pour le voir un peu. Suppici ne supporte pas l'absence du gardien, alors que ce dernier devait donner l'exemple en tant qu'athlète : il demande son exclusion du groupe. Le président de la commission accepte, malgré les supplications du Capitaine Nasazzi qui demande à ce que soit conserver ce collègue de mille batailles. Il n'y a rien à faire, « même moi ils ne m'ont pas écouté » déclarera Nasazzi en interview. Suppici aurait menacé de quitter la direction du groupe si la décision était annulée. Apôtre de l'ordre ? Peñarol (Suppici) contre Nacional (Mazali) ? Marque d'autorité alors que Mazali prétendait aussi préparer l'équipe ? Le mystère restera à jamais.

Le lendemain de son exclusion, Andrés Mazali vient chercher ses effets personnels. Serrage de mains, au revoir. En silence. Nasazzi, Castro et Cea sont notamment présents et on a pu voir que nombre d'eux faisait un effort pour ne pas pleurer, pour ne pas passer pour faible selon Andrés Reyes, dans son Historia de Nacional. Enrique Ballesteros, gardien de Rampla Juniors, remplace au pied levé Mazali, et remporte la première Coupe du Monde pour l'Uruguay quelques semaines plus tard. Cette exclusion met un terme à la carrière de Mazali, qui choisit de se marier et d'arrêter le football, ne participant plus qu'aux matchs de vétérans du Nacional. Il continuera ensuite dans le sport, étant notamment entraîneur pour jeunes, socio du club d'Olimpia. Il décède le 30 octobre 1975 à l'âge de 73 ans.

Se plonger dans l'histoire des joueurs des années vingt, c'est aussi se plonger dans un temps où le football n'était pas image, n'était pas que communication. Il n'y avait pas de vidéo et à peine la radio. Les interviews étaient rares. Pourtant, les photos de Mazali sont magnifiques. Il est le seul à regarder l'objectif, a savoir déjà jouer avec lui. Il participe volontiers aussi à l'exercice des interviews. Il n'a jamais gagné la Coupe du Monde, mais dans son regard sur les photographies brille, malgré tout, la joie d'être double champion du monde pour son pays. La gloire dont on parle encore aujourd'hui, de Colombes et d'Amsterdam. Joueur athlétique, affûté, bien entraîné mais facétieux, il a révolutionné son poste en étant un gardien mobile, prenant pleinement part au jeu de son équipe, jusqu'à parfois joué joueur de champ au Nacional (il est l'auteur de douze buts en club !). Il aurait mérité 1930, mais l'Histoire est parfois injuste.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba