Luis Cubilla nous a quitté le 3 mars 2013 à Asunción, ville qui l’avait adopté grâce aux titres apportés au Paraguay. Des titres, le Negro Cubilla en a remportés en cascade, de la première Coupe des Champions d’Amérique de 1960 gagnée contre Olimpia, à la Copa Libertadores de 1990 gagnée en tant qu’entraîneur d’Olimpia. Entre temps, une litanie de voyages, d’histoires, de buts et de légendes. Retour sur la carrière de l’un des plus grands attaquants sud-américains de l’histoire.

bandeauprimeira

Épisode 1 : L’homme de Paysandú à la conquête du monde

À la fin des années cinquante, Peñarol, qui a fourni la majorité des joueurs ayant gagné la Coupe du Monde 1950 cherche à se renouveler. Les grands cracks partis, Nacional gagne le championnat de 1955 à 1957. En 1957, Peñarol effectue plusieurs détections à l’intérieur du pays et en profite pour recruter de bons jeunes footballeurs. On retrouve parmi ses jeunes Nestor Gonçalves, mais aussi un petit joueur d’un mètre soixante-neuf, Luis Cubilla, qui évolue jusqu’à présent au Colón de Paysandú, sa ville de naissance. La légende veut qu’un jour, la police l’ai ramené chez lui depuis le stade de la ville où il avait été voir un match, alors qu’il n’avait que trois ans. Du haut de ses dix ans, il a vécu le titre de Champion du Monde de l’Uruguay, match écouté à la radio comme tout l’Uruguay de l’époque. Il apprend le football au stade, en voyant l’équipe locale sur le terrain situé à trois pâtés de maison de chez lui et apprend à jouer avec des ballons faits avec des vessies de vache, remplies de papier, quand il n’y a pas assez d’argent pour avoir un ballon en cuir, jouant dans la rue, sur des terrains vagues, partout.

À Paysandú, il avait été auparavant repéré par Nacional, mais l’entraîneur de l’équipe bolso, Ondino Viera, l’aurait refusé en lui disant : « tu es bien trop supporter de Peñarol ». Chez les Carboneros, il joue d’abord milieu côté droit, au sein de la réserve, tout en étant logé dans une « pension » où sont hébergés quatorze jeunes joueurs. Mais la situation ne lui plaît pas, comme il le raconte dans le livre Historia de Peñarol de Luciano Álvarez : « J’étais énervé, c’est sûr, parce que je pensais que je n’étais pas venu de Paysandú pour jouer les dimanches matin des matchs où personne ne venait me voir ». Finalement, en cours d’année, il obtient sa chance de la main d’Hugo Bagnulo, qui le fait jouer son premier match en équipe première contre l’AC Milan venu jouer des matchs amicaux sur les bords du Río de la Plata. Il commence par faire quelques apparitions au milieu et c’est l’année suivante que Roberto Scarone, son nouvel entraîneur, le fait jouer sur l’aile droite en attaque, avec le numéro 7. Il y côtoie les champions du monde Hohberg, Míguez. Peñarol remporte le titre 1958, Cubilla s’impose définitivement sur l’aile en 1959 et le club doit jouer une finale début 1960 pour déterminer qui gagnera le titre uruguayen 1959 et ainsi jouer la toute nouvelle Coupe des Champions d’Amérique. Le 20 mars, Luis Cubilla entre déjà un peu dans l’histoire de la Libertadores sans le savoir. À la trente-sixième minute, il élimine son adversaire Horacio Troche et frappe pleine lucarne gauche de Sosa pour l’ouverture du score. Linazza marque le second dans la foulée et Peñarol est champion d’Uruguay (l’histoire ce titre vous est narrée ici), le club jaune et noir peut participer à la première édition de la Coupe des Champions sud-américains 1960.

Le 19 avril 1960, moins d’un mois après la finale, se joue le premier match de l’histoire de cette coupe contre Jorge Wilstermann. « On ne pensait pas que ça prendrait la dimension actuelle. Mais avec le début de ces affrontements internationaux est né l’orgueil entre les pays, l’idée que nous sommes amis mais que nous souhaitons être les meilleurs », déclare Cubilla. Dès la treizième minute, il voit sa frappe taper la barre et revenir sur Borges qui ouvre le score. Le score final est de 7-1, avec le troisième but pour l’ailier droit et une performance globale de haut vol, alimentant en ballon le nouvel arrivant Alberto Spencer, l’attaquant axial. Il marque le seul but de Peñarol au retour (match nul 1-1). Peñarol se retrouve en final contre Olimpia, un club que l’on retrouvera dans son histoire personnelle. Les Carboneros s’imposent 1-0 à l’aller sur un but de Spencer. Le match retour au Paraguay est une bataille, la bataille de Puerto Sajonia, du nom du stade aujourd'hui appelé le Defensores del Chaco. Olimpia ouvre le score à la vingt-huitième minute, mais à la fin du match, Peñarol obtient un corner tiré par Borges. Malgré sa petite taille, Cubilla est très bon de la tête, il sait très bien positionner son corps et il vient souvent au deuxième poteau quand le centre vient de la gauche placer « la tête fantôme ». Lors de la première finale, match retour, de la première Copa Libertadores, il coupe de la tête au premier poteau et offre la première de ses cinq Libertadores au Club Atlético Peñarol. Carlos Solé, grand commentateur radio uruguayen, le surnomme l’ailier endiablé.

La gloire internationale

Peñarol perd ensuite la première intercontinentale contre le Real Madrid (après notamment un voyage de trente-six heures en avion) mais gagne à nouveau le championnat 1960 et retrouve ce que l’on appellera par la suite la Libertadores avec la double casquette de champion en titre et champion d’Uruguay. Le club écarte Universitario avant de retrouver Olimpia en demi-finale. Peñarol s’impose à l’aller et au retour avec un but de Luis Cubilla à chaque match. En finale, Palmeiras ne fait pas le poids et Peñarol s’offre le doublé.

Quelques mois plus tard, le club devient enfin champion du monde en battant Benfica après trois matchs, malgré la présence d’Eusébio pour le troisième match côté lisboète. Peñarol est de nouveau finaliste en 1962 perdant contre Santos, mais Cubilla est déjà parti en cours d’année pour un million de pesos or, cent quatorze mille dollars, une somme très importante pour l’époque. À vingt-deux ans, et du haut déjà de quatre titres de champion d’Uruguay, deux Libertadores et une intercontinentale, Luis Cubilla s’en va, juste après avoir participé à sa première Coupe du Monde au Chili. Une compétition qui est un échec : l’Uruguay est éliminé dès la phase de groupes malgré une victoire contre la Colombie (but de Cubilla), la Celeste perd le match de la qualification contre l’Union Soviétique. Après la Coupe du Monde, Cubilla est donc vendu à en entrepreneur italien, qui le propose à différents clubs, de sorte que Cubilla ne sait même pas dans quel club il va signer en quittant l’Uruguay.

Expériences et échecs à l’étranger

Il atterrit au FC Barcelone. Cubilla y passe un an et demi, celles qui auraient pu être les plus belles de la carrière, mais qui s’avèrent être les pires, le seul passage en Europe de sa carrière. Il ne s’adapte pas ni à la langue, ni à ses collègues, n’a plus beaucoup de contact avec sa famille : « je n’ai pas su valoriser ce que je vivais » dira-t-il en 2012. Il n’y joue que vingt-cinq matchs pour quatre buts. La Vanguardia écrit de lui « il gagne rapidement une réputation de dribbleur insatiable. De caractère irascible, il ne supporte pas d’être sur le banc et sèche un match amical le jour de Noël ».  « Je ne me suis pas présenté car je fêtais noël », se justifie-t-il. Il reçoit une amande et, en février 1964, Barcelone le vend à River Plate ». Cubilla explique cet échec : « Après avoir vécu dans la pauvreté, je n’étais pas préparé pour un tel changement, c’est ce qui s’est passé. En plus, l’entraîneur Kubala ne me voulait pas : comme il y avait trois étrangers et que seulement deux pouvaient jouer, celui qui restait sur le banc était moi ».

river

Il arrive à River Plate et y croise Luis Artime, jeune attaquant de pointe (avant que ce dernier ne parte à Independiente). Il y arrive dans l’une des pires époques du club, une période de dix-huit ans sans titre, période qui s’est commencé en 1957 et qui se terminera en 1975. Il y marque malgré tout trente-cinq buts, et participe à de nombreux matchs. Lors de son premier clásico argentin contre Boca, les journalistes lui indiquent avant la rencontre que c’est un match d’une grande importance et Cubilla répond qu’il connaît ce type de match choc pour en avoir joué en Uruguay entre Peñarol et Nacional. Lors d’une altercation au milieu de terrain à la suite d’un coup de pied, les joueurs s’insultent, Cubilla se retourne vers le joueur de Boca le plus proche de lui (le grand Ángel Rojitas Rojas) et lui met un point dans la figure. Le joueur de Boca se retourne vers lui, surpris, comme les vingt-et-un autres acteurs sur le terrain. Cubilla prend carton rouge et finit au poste de police. Il explique que « c’est à ce moment-là que j’ai compris que les Argentins ne font que parler. » Rojitas vient finalement en aide à Cubilla en allant déclarer au poste de police que le coup porté par l’ailier était « involontaire ».

À River, il joue une finale de Libertadores, celle de 1966. River Plate participe à cette compétition grâce au changement de règle qui veut que le deuxième de chaque pays participe désormais également. Le club est conduit par deux Uruguayens qui ont déjà gagné la coupe, Roberto Matosas et donc Cubilla, en plus de quelques grands comme le gardien Carrizo ou Daniel Onega, attaquant de l’Argentine lors de la Coupe du Monde 1966. En plus de la présence des deux Uruguayens dans l’équipe, les deux clubs Peñarol et River sont amis depuis les temps de l’amateurisme (lire Boca - Nacional, River - Peñarol : Les frères du Rio de la Plata). Au premier tour, River se qualifie en compagnie de Boca Juniors, éliminant au passage Universitario, Deportivo Italia, l’Alianza Lima et le Lara. Vient ensuite la deuxième phase de groupes, où River et Independiente terminent à égalité devant Boca et Guaraní. Un match de départage est organisé entre les deux au Viejo Gasómetro. Avec un score vierge après quatre-vingt-dix minutes, la prolongation voit l’ouverture du score d’Onega, avant qu’Artime n’égalise pour Independiente. C’est Cubilla qui donne l’avantage définitif au Millonarios et qui qualifie le club pour sa première finale.

Peñarol et River derniers retrouvent donc en finale (la troisième de Cubilla), un Peñarol qui s’est qualifié plus facilement contre la Universidad Católica et Nacional. Peñarol gagne le match aller contre River dans le dernier quart d’heure (2-0) et est reçu comme il se doit à Buenos Aires, avec près de cent mille spectateurs au Monumental. Peñarol prend l’avantage deux fois mais se fait reprendre et Ermindo Onega marque le but de la victoire. Un match d’appui doit être organisé. Peñarol préférerait Rio, River préfère quant à lui Santiago. Ce sont les Argentins qui l’emportent, le match est fixé quarante-huit heures plus tard. C’est ainsi que Santiago de Chile entre dans la légende du football uruguayen, devant une centaine d’uruguayens et cinq-cents argentins (le délai d’organisation n’ayant pas permis le voyage de supporters), dans un stade malgré tout rempli de supporters locaux. Les Argentins ouvrent le score à la vingt-septième sur un bon débordement de Cubilla, qui passe en retrait pour Solari qui lui-même effectue la passe décisive à Daniel Onega. Solari double la maque juste avant la mi-temps, et River commence à entrevoir sa première Libertadores… Mais Peñarol égalise avant la fin du temps réglementaire et en marque encore deux en prolongation. Peñarol remporte sa troisième coupe, la première de trois Libertadores gagnés à Santiago et River hérite du surnom de Gallinas (lire 20 mai 1966 : la naissance des Gallinas de River). Cubilla, qui dit toujours que le deuxième est le premier des perdants, ne gagne aucun titre avec River. C’est le seul club avec lequel ce sera le cas. Même à Barcelone, il avait gagné la coupe nationale.

Jouant en Argentine à une époque où la sélection n’accepte pas les expatriés, Cubilla ne participe à la Coupe du Monde quelques mois après la finale de la Libertadores 1966. Il a vingt-six ans, il va encore passer deux saisons avec River avant de revenir au pays pour retrouver les titres et la gloire.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba