Les incidents au Stade Mohammed V qui ont coûté la vie en mars dernier à deux jeunes supporters du Raja ont incité les autorités à dissoudre les Ultras. Les groupes sont désormais privés de la possibilité d’afficher leur appartenance et de toute activité collective. Déterminés à lutter pour la sauvegarde de leur identité, toutes les associations se sont mobilisées dès la reprise de la saison 2016-2017 de la Botola.

Quatre journées de boycott qui ont vidé les stades, puis une deuxième phase de deux journées pour redonner un aperçu de la ferveur. Au menu : du noir de la tête aux pieds, et des actions symboliques pour affirmer que l’esprit qui anime les tribunes du Royaume depuis 2005 ne s’éteindra pas de sitôt.

Pour illustrer l’ampleur d’un phénomène, rien ne vaut les chiffres. Le samedi 8 octobre, le Maroc a calé comme à son habitude un de ces matchs de championnat programmé à des jours et des heures incongrues dont seule la Botola a le secret. Un lendemain d’élections législatives, jour de date FIFA, et deux heures après le match des Lions de l’Atlas au Gabon, le Moghreb de Tétouan affrontait le Chabab Atlas Khenifra devant 761 spectateurs payants. Le vide quasi-absolu. Soit un déficit pour le club de près de 800 euros. La recette du match était tellement basse qu’elle n’a généré aucun profit, et n’a même pas suffi pour couvrir les frais d’exploitation du stade.

Cette scène de quasi huis-clos a été vécue dans tous les stades marocains depuis la reprise du championnat. L’opération « stades vides » lancée par les Ultras a trouvé un écho extrêmement favorable auprès du public, qui a largement suivi le mouvement et déserté les tribunes durant les quatre premières journées. Et force est de constater, au vu des images, qu’ils n’ont pas fait les choses à moitié.

IRT-DHJ, 1ère journée

OCK-WAC, 1ère journée

OCS-CRA, 1ère journée

Une identité annihilée par la dissolution

Le 19 mars, en marge du match qui opposait le Raja Casablanca au Chabab Rif Al Hoceima, des affrontements ont opposé deux groupes de supporters du Raja : les Eagles 06 et les Green Boys 05. Deux jeunes adolescents y ont laissé la vie, dans des conditions qui ont suscité la polémique : le maintien des matchs à domicile du Raja et du Wydad dans un stade Mohammed V en travaux, la délocalisation des groupes de supporters dans une tribune latérale exigüe, et des dysfonctionnements (plus de supporters que de tickets, une tribune bourrée jusqu’à l’étouffement). Les autorités ont considéré ce drame comme étant la goutte d’eau qui fait déborder le vase de longs mois de violences en marge des matchs de la Botola. Le 22 mars, la dissolution des groupes Ultras des clubs de la région de Casablanca-Settat est décidée. Peu de temps après, le 7 avril, l’interdiction de toute activité des groupes est étendue à tout le pays.

Face à cette décision, la révolte s’est rapidement organisée. Le tag « les Ultras ne seront pas dissous » a fleuri sur les murs de toutes les villes. Un communiqué commun de tous les Groupes Ultras a annoncé fin juillet l’intention de boycotter le début de championnat et les tours de Coupe. La revendication est simple, selon le communiqué : « l’ouverture d’un débat constructif et la révision des lois qui font l’amalgame entre celui qui encourage son équipe et celui qui tue des personnes ».

Dans les faits, contrairement aux exemples d’interdiction vus en Europe dans le passé, la dissolution des Ultras ne change que très peu de choses pour l’accès au stade et l’identité des gens qui y vont. Il suffit de voir les matchs de fin de saison 2015-2016 et les rencontres du Wydad en Ligue des Champions Africaine cet été : hormis quelques membres des noyaux durs qui ne sont plus là, ce sont les mêmes jeunes de la même tranche d’âge qui chantent les mêmes chants. Mais ce paradoxe renforce la portée symbolique d’une dissolution dont l’efficacité sur la lutte contre la délinquance pose question. Les Ultras n’ont pas été chassés des stades, mais on leur a retiré leur identité comme s’ils n’avaient jamais existé.

« Les Ultras ne seront pas dissous » Ultras Pirates 07 (AS Salé)

Un statut de bouc émissaire dans une problématique très complexe dans laquelle ils ne sont pas les seuls fautifs. Certes, les Ultras ont exercé une pression par moment négative sur les clubs dans les mois récents, se sont enfermés dans leur monde du fait d’une paranoïa grandissante, et ont sans aucun doute leur part de responsabilité dans les nombreuses violences urbaines enregistrées ces dernières années au Maroc. Mais d’autres éléments sont à prendre en compte : le désœuvrement des grappes d’adolescents de 10-18 ans qui gravitent autour de cet univers sans encadrement et à très grande échelle, les stades vétustes et pas aux normes, les dysfonctionnements au niveau organisationnel et sécuritaire, l’impunité des jeunes délaissés par leurs familles, pour ne citer que ces éléments-là.

Habit noir, solidarité et amour de l’honneur

La situation n’ayant pas évolué au terme des quatre premières journées, un deuxième communiqué commun tombe le 12 octobre, annonçant un retour provisoire des Ultras pour les 5ème et 6ème journées, « non pas pour faire machine arrière ou lancer un ballon d’essai, mais pour prouver notre détermination à ceux qui ont fait fausse route en écoutant la mascarade des médias publics, qui colportent des mensonges et de la désinformation ». La dernière partie du communiqué est lapidaire, dont voici la traduction (approximative) de certains passages : « De Tanger à Lagouira, nous ne nous présenterons pas avec nos signes distinctifs ou avec les bâches officielles, mais en noir pour afficher un front uni. Nous voulons montrer cette solidarité historique et sans précédent, et c’est dans ce but que la suspension temporaire du boycott a été décidée, jusqu’à une prochaine étape ».

Deux exceptions : Les Green Boys du Raja, qui n’ont pas suivi le mouvement du retour temporaire au stade, et l’extension de la suspension du boycott aux groupes de supporters des équipes concernées par les derniers tours de la Coupe du Trône car « [nous] connaissons l’importance de ces matchs pour les joueurs, et il est important que le lien soit entretenu jusqu’à une reprise, éventuellement plus longue du boycott ».

Le retour en force des Ultras, tous vêtus de noir, n’est pas passé inaperçu. Quelques moments forts survenus ce week-end ont marqué les esprits. Le choc à Rabat entre l’AS FAR et le Wydad a vu les parcages des deux équipes scander « Les Ultras ne seront pas dissous », se répondant l’un l’autre.

 

A signaler également l’impressionnante chorégraphie des Helala Boys 07 à Kénitra qui ont formé des lettres immenses pour que le mot « Philotimo » (amour de l’honneur en grec) soit visible sur toute la tribune.

« Philotimo » (amour de l’honneur) KAC-KACM, 6ème journée

Dans un football marocain ou la qualité s’est délitée au fil des années, le spectacle dans les tribunes a pris le relais du piètre spectacle proposé sur le pré. L’ampleur du boycott des quatre premières journées révèle qu’une frange non négligeable du paysage footballistique du Royaume ne venait au stade que pour voir les Ultras, et que la contribution de ces derniers à l’attractivité du « produit » Botola Pro ne peut être jetée aux oubliettes.

Les deux journées qui ont suivi ont permis aux spectateurs et téléspectateurs de goûter à nouveau à une vraie ambiance de stade, sans débordement. Difficile de savoir si ces actions mèneront à l’ouverture d’un dialogue sur le long terme, mais les Ultras ont montré leur volonté et nul doute qu’ils poursuivront le combat jusqu’au bout pour la sauvegarde de leur identité.

Deuxième partie du slogan « les Ultras ne seront pas dissous, WAC-CAK, 5ème journée

Parcage du Raja à Agadir, HUSA-RCA, 5ème journée. Lancement de la phase «  retour au stade et tous en noir »

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee