Combien de fois n’avons-nous pas entendu nombre d’experts et de suiveurs hiérarchiser des championnats, vanter la qualité supérieure de l’un par rapport à l’autre, juger de la régression de certains, des progrès d’autres. On nous explique ainsi que l’on peut hiérarchiser les footballs. Alors poussons le jeu jusqu’au bout.
« C’est le championnat le plus spectaculaire », « c’est celui où les ambiances sont les meilleures », « c’est le championnat le plus relevé avec le plus grand nombre de prétendants au titre ». Nombreux sont les arguments, souvent sans donnée quantitative, utilisés pour classer les divers championnats d’Europe et du Monde. Tout aussi nombreuses sont les fois où l’on vient nous demander ce que vaut l’un de « nos » championnat en comparaison d’une Ligue 1 par exemple. Et toujours, nous avons beau répondre qu’il est impossible de comparer, que certains critères ne sont pas quantifiables et sont pourtant essentiels, que l’intérêt est minime puisque la beauté du football n’a pas besoin de datas pour être appréciée, la question reste ouverte. Alors, jouons à un petit jeu.
Nous allons nous amuser à comparer vingt-neuf championnats correspondants au Top 5 européen ainsi que ceux présents ou passés sur L-O. Entrent donc dans notre étude : Allemagne, Angleterre, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Russie, Turquie et Ukraine, pour l’Europe, Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Paraguay, Pérou, Uruguay et Venezuela pour l’AmSud, Mexique et MLS pour l’AmNord, Australie, Chine, Corée du Sud et Japon pour l’Asie). Comment comparer l’incomparable direz-vous ? En utilisant sept critères souvent utilisés par divers experts mais jamais compilés : les buts, les affluences, les succès continentaux, la capacité à attirer des « stars », le niveau des entraîneurs, le suspense, et enfin le développement des infrastructures. La saison 2019/20 étant au mieux en cours, notre étude, qui rappelons-le n’a pas vocation à délivrer une vérité (on laissera les amateurs de conclusions tirer les leurs), s’appuiera sur les chiffres de la saison précédente, 2018/19 donc. Vingt-neuf championnats et donc pour chaque critère un classement qui donnera vingt-neuf points au premier et décroîtra d’une unité par position. À l’issue du petit jeu, on pourra alors faire le total et découvrir qui est le « meilleur » championnat du monde.
Les buts
Le nombre de but est probablement l’indicateur numéro 1, celui qui juge de l’aspect spectaculaire d’un championnat. C’est simple : pour qu’un championnat soit spectaculaire, il se doit de crouler sous les buts.
Premier constat, six championnats planent à plus de trois buts par match, la Belgique en étant tout proche. Et l’on retrouve le trio habituel : les Pays-Bas devancent la Bolivie et l’Allemagne. Notez que deux championnats dits « émergents » complètent ce top 6 avec parmi eux l’Australie. Notez aussi la mauvaise place de la France, 22e, mais devant deux références sud-américaines en termes de spectacle : le Brésil (25e) et surtout l’Argentine, lanterne rouge. Notez aussi que la Liga espagnole affiche des scores proches de la Ligue 1. La spectaculaire Premier League anglaise est huitième, coincée entre Belgique et Pologne.
Affluences
Autre élément essentiel au spectacle, les tribunes. Il est évident qu’un championnat spectaculaire doit attirer le public et que les ambiances contribuent à ce spectacle dans une sorte de cercle vertueux. Pour mesurer la capacité d’attraction d’un championnat, on regarde ainsi souvent le nombre de spectateurs que ledit championnat attire dans les stades. Il y a généralement deux moyens de mesurer cela : soit en faisant la somme du nombre de spectateurs ayant assisté aux matchs de la saison, soit en mesurant l’affluence moyenne de la ligue. Deux méthodes qui montrent une limite : elles ne tiennent pas compte de la capacité du stade (il est évident qu’on ne pourra pas faire entrer 60 000 spectateurs dans un stade de 40 000). Alors, à ces critères, nous préfèrerons utiliser celui du taux de remplissage, qui prend en compte la capacité d’accueil des enceintes dudit championnat.
On peut ainsi s’apercevoir que le trio de tête est européen (Allemagne, Pays-Bas, Angleterre), suivi de près par une MLS qui a justement compris qu’en diminuant la capacité de ses stades, elle se rendrait plus attractive en offrant des images de tribunes mieux remplies (allez expliquer cela aux visionnaires à l’origine du Matmut Atlantique de Bordeaux qui envisagent aujourd’hui de diminuer le nombre de places devant l’échec que sont les premières saisons du club dans sa nouvelle enceinte). Avec la J.League, la MLS est ainsi le seul championnat non-Européen à figurer dans le top 10, Mexique et Argentine complétant la liste de ceux qui remplissent plus de la moitié de leurs stades chaque semaine.
Notons tout de même que six championnats sont exclus de ce classement, ne livrant aucune donnée sur la saison 2018/19. On soulignera tout de même que la première division équatorienne le faisait jusqu’ici par le biais de sa fédération. Mais devant un résultat qui s’annonçait catastrophique la saison passée, elle n’a divulgué aucun chiffre officiel.
Développement des infrastructures
Associé aux affluences, on retrouve souvent celle de confort dans les stades. Et donc à leur modernité. Pour évaluer cela, nous avons donc compté le nombre de nouveaux stades construits (sur de nouveaux sites) ainsi que les rénovations intervenues dans les enceintes déjà existantes au cours des vingt dernières années. Pour établir notre classement, nous attribuerons deux points par nouveau stade, un point par rénovation/reconstruction.
Il n’est ainsi pas véritablement étonnant que des pays ayant accueillis de grandes compétitions internationales se hissent au sommet du classement. On trouve ainsi la Russie (Coupe du Monde 2018), l’Allemagne (Coupe du Monde 2006), le duo asiatique de la Coupe du Monde 2002 ou encore le Brésil (Coupe du Monde 2014). Mais cela n’est pas forcément un critère suffisant (voir France et Ukraine par exemple). D’autant que les deux premières places sont occupées par la MLS, solide leader, et la Turquie. Les amoureux de la Ligue 1 noteront que la France est aux portes du top 10.
Stars
Reste que pour rendre un championnat spectaculaire, il faut un dernier élément : les stars internationales. Si une ligue parvient à attirer les meilleurs joueurs du monde (et donc les meilleurs dans leurs pays), c’est forcément un gage de qualité. Reste à définir ce qu’est une star internationale. Le critère souvent utilisé est de dire qu’une star est un joueur ayant participé à une Coupe du Monde. Seul souci, s’arrêter uniquement aux Coupes du Monde va inévitablement faire pencher la balance en faveur des joueurs européens eu égard au fait que l’Europe a envoyé quatorze équipes en Russie, quand l’AmSud n’en a envoyé que cinq, l’Asie cinq et l’AmNord trois. Aussi allons-nous donc intégrer également les joueurs participants aux compétitions continentales (Copa América, EURO, AFC Asian Cup, Gold Cup ou CAN), qui sont également les grandes vitrines de chaque confédération. On attribuera ainsi deux points à chaque joueur participant à une Coupe du Monde, un point à chaque joueur disputant une épreuve continentale. Pour ces calculs, a été pris en compte uniquement la dernière édition de chaque épreuve et l’on n’intègre uniquement les joueurs évoluant en première division.
Premier constat, sept ligues ont réussi à décrocher les cinq points de bonus accordés à ceux qui placent au moins un joueur dans chaque épreuve. Ce sont les trois géants européens, Angleterre, Allemagne et Espagne, mais aussi Turquie, Portugal, Pays-Bas, Belgique et… la MLS. Notez que la Ligue 1 passe à une Gold Cup près de décrocher ce bonus, comme l’Italie et la Chine, même si cela n’aurait pas changé leur classement respectif. Sinon, sans surprise, le top 5 européen prend les cinq premières places. Il est suivi par la MLS.
Entraîneurs
Pour diriger les stars, rien de mieux que des entraîneurs de renom. Afin de mesurer le poids des coaches évoluant dans les différents championnats, nous avons ainsi quantifié les titres cumulés par les techniciens ayant évolué dans la ligue au cours de la saison (à l’exception évidemment du/des trophée(s) décroché(s) lors de la saison 2018/19). En intégrant trois paramètres : les victoires en compétition nationale (un point par victoire en championnat ou en coupe), les victoires continentales (deux points par victoire) et enfin, les victoires à la tête de sélections nationales (trois points par victoire).
Sans surprise non plus, la Premier League anglaise occupe la première place. Elle est talonnée par le grand dévoreur d’entraîneurs, le Brésil, et le duo Mexique – Chine, parmi les plus puissants de leur zone respective.
Suspense
Reste la vérité du terrain, celle qui donne à un championnat son « intérêt », résumé par la compétitivité locale et donc la grande difficulté à affronter pour décrocher le titre. Autant le dire tout de suite : il est impossible de mesurer les écarts moyens de points entre champions et poursuivants, relégués et sauvés et qualifiés pour les compétitions continentales des autres pour l’ensemble des championnats. Car les modes de fonctionnement et d’attribution des accessits ou places dans la charrette sont trop différents (certaines ligues fonctionnent en tournois, d’autres ont une phase de play-offs, certains relèguent sur trois saisons, d’autres ne relèguent tout simplement pas). Alors, le seul indicateur que nous pouvons utiliser est de comptabiliser le nombre de champions différents au cours des dix dernières années. Un souci cependant : avec deux tournois par saison, certains sud-américains seraient avantagés en sacrant deux champions chaque saison. Par souci d’équité, nous avons donc pris le vainqueur de la temporada (la saison – somme des deux tournois), ne tenant ainsi pas compte des champions à l’issus de la phase de play-offs. Un critère qui est souvent utilisé pour définir les accessits continentaux.
Si vous voulez de l’incertitude, trois championnats s’offrent à vous : la MLS, la Liga 1 péruvienne et la J.League japonaise. Elles précèdent le trio Mexique / Colombie / Argentine, France, Pologne et Russie étant les trois seuls Européens du top 10.
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Succès continentaux
Reste enfin un dernier critère : la capacité d’un championnat à fournir des vainqueurs continentaux. Là encore, nous avons dû tenir compte du fait que seul Europe et Amérique du Sud disposent de deux compétitions continentales de clubs avec Europa League et Copa Sudamericana qui s’adjoignent respectivement à la Ligue des Champions et à la Libertadores. Rien de cela en Amérique du Nord ni en Asie. Alors, nous avons choisi de ne regarder que les résultats acquis en Ligue des Champions de chaque zone, histoire d’éviter d’avantager Europe et AmSud. Le tout au cours des dix dernières années. Deux points sont attribués par victoire, un point par finale.
Sans surprise pour les habitués, le Mexique se promène, lui qui écrase totalement la zone CONCACAF (dix-neuf finalistes sur vingt possibles au cours des dix dernières années) et qui s’offrait le luxe de briller au Sud lorsqu’invité. Et l’on retrouve les photographies continentales avec les géants qui se dégagent (Espagne et Angleterre en Europe, Brésil et Argentine en AmSud, Corée du Sud et Japon en Asie).
Et le meilleur championnat du monde est...
Nous voilà arrivé au bout de notre petit exercice. On vous imagine déjà avec cette question : mais qui est donc le meilleur de tous ? Alors pas de suspense, le total est sans appel : le meilleur championnat du monde est… la MLS !
Cinquième en 2014, la Ligue nord-américaine prend donc désormais la première place, coiffant sur le fil la Premier League anglaise qui résiste de son côté à l’autre géant nord-américain : la Liga MX. Derrière, la J.League devant la Bundesliga allemande et la Liga espagnole, cette dernière étant talonnée par le duo Brésil/Chine. Et la Ligue 1 dans tout ça ? Treizième, juste derrière l’Italie.
Remarques conclusives
On vous laissera libre de vos conclusions en précisant tout de même une chose : le présent exercice n’est qu’un jeu. Si l'on ne pourra éviter qu'il soit pris au premier degrés, il n’a cependant pas vocation à délivrer une vérité et ne vise qu’à illustrer qu’au final, il est inutile de vouloir comparer les différents championnats d’une zone ou du monde (paradoxal non ?). D’autant que vous noterez surtout qu’en fonction du critère choisi, le classement diffère parfois grandement. Nous n’utilisons ici que sept critères, – on pourrait en trouver d’autres –, et sur ces sept critères, personne ne parvient à faire sept podium, la Premier League anglaise et la Bundesliga allemande ne s’y hissant qu’à trois reprises, quand le vainqueur final, la MLS n’en décroche que deux.
Alors s’il fallait tirer une conclusion à ce petit jeu, ce serait sans doute que le football se vit, il n’a pas besoin de comparaisons pour être apprécié. Et ce n’est finalement pas une surprise : il est toujours impossible d’expliquer pourquoi on aime.