Petit précis de Bielsismo

bielsa

Tout est parti du quotidien Marca. A partir de 2014/2015, Marcelo Bielsa sera le nouvel entraîneur de l’OM. Si l’arrivée d’el Loco en Ligue 1 devrait en intriguer certains, elle fait déjà saliver les amateurs de football sud-américain dont les héritiers du professeur garnissent les bancs de touche du continent. Le moment est donc venu de rappeler pourquoi Bielsa fascine autant.

Si pour le profane européen Marcelo Bielsa c’est avant tout l’Athletic Bilbao capable de malmener le Barça à San Mames puis de se faire surpasser par un certain Falcao en finale européenne (même si ces deux exemples symbolisent en partie une équipe dirigée par Bielsa), réduire el Loco à ses deux années basques n’est se focaliser que sur la partie visible d’un énorme iceberg. Car Bielsa, dans la lignée des Menotti et autres Bilardo en Argentine, a tout simplement révolutionné le football sud-américain. Mieux, son héritage n’a jamais été aussi vivace et envahit aujourd’hui l’Europe.

Tactique : intensité et transition

Souvent, on définit un entraîneur par son style de jeu, ses préceptes tactiques. Sur ce point, Marcelo Bielsa a laissé une trace indélébile, posant les pierres du football actuel dont Guardiola est l’un des représentants européen mais dont les disciples sont très présents sur le continent sud-américain. Si on doit définir le style Bielsa en un mot, ce sera intensité. Le coach argentin impose à ses joueurs un rythme qui s’avère souvent épuisant sur le long terme mais a aussi pour conséquence d’étouffer ses adversaires. Autre point essentiel : la verticalité et la transition : sous Bielsa, l’élément clé est la rapidité de transition entre organisation défensive et offensive qui a pour objectif d’amener rapidement du nombre sur la défense adverse et qui repose sur un jeu vif et vertical.

« Je dis toujours que le football repose sur le mouvement. Sur le terrain, il n’y a aucune excuse, aucune raison, pour qu’un joueur ne court pas »

Si Bielsa est capable de petites modifications tactiques au cours des matchs (même si el Loco n’est pas un grand fan du plan de rechange), le socle commun, l’élément de base dirons-nous, de ces équipes est une double organisation.

En position défensive, une équipe Bielsiste s'appuie sur un 4-1-4-1 (gauche). Notez le rôle de la ligne de 4 milieux responsable du pressing haut sur l'adversaire (zone jaune et flèches). Dans ce schéma, le milieu défensif est l'élément clé, celui autour duquel tout s'articule. C'est sur lui que la transition entre les deux système s'opère. Il glisse alors en défense centrale pendant que les joueurs de couloir montent d'un cran. L'équipe adopte alors une organisation en 3-3-1-3 avec deux losanges offensifs qui garantissent une remonté rapide et verticale du ballon. C'est alors de milieu offensif central qui devient la plaque tournante du système.
En position défensive, une équipe Bielsiste s’appuie sur un 4-1-4-1 (gauche). Notez le rôle de la ligne de 4 milieux responsable du pressing haut sur l’adversaire (zone jaune et flèches). Dans ce schéma, le milieu défensif (cercle rouge) est l’élément clé, celui autour duquel tout s’articule. C’est sur lui que la transition entre les deux systèmes repose. Il glisse alors en défense centrale (sans pour autant descendre sur le terrain – carré jaune) pendant que les joueurs de couloir montent d’un cran. L’équipe adopte alors une organisation en 3-3-1-3 (à droite) avec deux losanges offensifs qui garantissent une remonté rapide et verticale du ballon. C’est alors de milieu offensif central (cercle rouge) qui devient la plaque tournante du système. Notez l’importance de la colonne centrale qui offre continuellement une troisième solution au porteur du ballon. C’est l’axe de la verticalité selon Bielsa.

En phase défensive, Bielsa offre souvent un 4-1-4-1 (qui peut se muer en 5-4-1 en cas de forte pression adverse) dont l’objectif premier est de minimiser les espaces pour l’adversaire. Grande différence avec les 4-1-4-1 voire 5-4-1 que vous pouvez avoir en Ligue 1, l’organisation défensive bielsista n’est pas le parcage d’un bus aux trente mètres mais repose plutôt sur un pressing très haut sur le terrain. La majeure partie du travail de pressing (et donc élément clé de l’organisation défensive) repose sur les quatre milieux de terrain qui doivent donc abattre un énorme travail de pression en bloc (très important) sur l’adversaire. C’est ce pressing tout terrain, sur tout sa largeur, qui permet aux équipes bielsistes de récupérer rapidement les ballons.

Une fois en possession du ballon, s’opère alors la transition rapide vers un 3-3-1-3, sorte d’éloge au diamant. Dans ce système, en même temps qu’un bloc positionné plus haut, les deux latéraux montent d’un cran, poussant les milieux devant eux à également monter en attaque et se retrouver ailiers (on peut aboutir comme à l’époque du Newell’s du début des années 90, à une succession de losanges). Ce jeu permet d’adopter cette fameuse verticalité, dogme d’el Loco. Cette verticalité qui permet une transition rapide entre deux système et surtout de remonter rapidement le ballon dans le camp adverse en même temps que la transition entre les deux systèmes apporte le surnombre offensif. La verticalité selon Bielsa n’est pas un simple kick and rush. Avec son système en diamants, le ballon remonte par des séries de combinaisons de passes et repose sur l’un des grands principes de jeu du maître : « le possesseur du ballon doit, à tout moment, disposer de trois solutions de passes verticales ». Encore et toujours la notion de bloc et de mouvement constant.

Tout ceci repose donc sur une remise en question des principes de jeu des différentes équipes dans lesquelles il passe. Comment changer alors les mentalités ? En répétant les gammes. Conséquence, les entraînements de Bielsa sont uniques en leur genre par leur style Son surnom, el Loco vient d’ailleurs en partie de ses méthodes d’entraînements qui, outre leur intensité, sont basées, sur la répétition des gestes lors d’exercices uniques en leur genre (voir un exemple dans la vidéo qui suit), comme s’il fallait tout réapprendre aux joueurs. Les joueurs devant apprendre le solfège avant de jouer la musique bielsiste. Pour Bielsa, la répétition de ces gammes est aussi une façon de minimiser les erreurs dues au trac pendant les grands matchs, l’acquisition d’une sureté du geste et du collectif donnant une certitude à son équipe (la certitude, le crédo d’el Loco). C’est la dualité du style Bielsa : ce savant mélange entre mécanisation des gestes, des déplacements collectifs et part laissée à la créativité de ses milieux offensifs lorsqu’il s’agit de faire basculer un match.

Un tel système requiert dont des caractéristiques communes en termes de joueurs. L’homme clé du système Bielsa est le 6 qui souvent se retrouve défenseur central lors de la transition vers le 3-3-1-3 et reste le moteur de la transition rapide entre les deux phases (vous retrouvez cette caractéristique dans le Barça de Guardiola et Martino avec le rôle central de Sergio Busquets ou encore avec le replacement de Mascherano en défense centrale – n’oubliez pas que Pep Guardiola a passé plusieurs heures avec le technicien argentin à la veille de sa prise de fonction au Barça et que Martino était la pierre angulaire du Newell’s de Bielsa dans les années 90). Le gardien doit être capable de relancer rapidement et doit disposer d’une bagage technique balle au pied conséquent, les centraux, qui vont glisser sur les côtés en position offensive doivent être rapides, agressifs et capable de jouer au milieu, les latéraux doivent avoir des caractéristiques de milieux offensifs, les milieux doivent être polyvalents et capable d’absorber de grosses tâches défensives et de pressing tout en conservant des capacités d’accélération et d’élimination en phase offensive (point encore plus crucial pour les hommes de couloir se muant souvent en véritables ailiers), l’attaquant central devant être utile en pivot et suffisamment présent dans la surface.

« Pour moi chaque match est identique : vous devez maîtriser et jouer. Rien d’autre. La seule façon dont je comprends le football est d’exercer une pression constante, joueur dans le camp adverse et avoir le contrôle du ballon. »

Reste que le Bielsismo est à double tranchant. S’il change radicalement le jeu d’une équipe en la transfigurant, il a ses limites. La première d’entre elle est l’absence d’alternative. Marcelo Bielsa est un homme de conviction et ne transige pas. Si ses équipes peuvent jouer au caméléon au cours d’un match, leurs caractéristiques restent immuables. Pas de plan B, ce qui peut parfois leur jouer des tours (voir le Barça, héritier le plus connu chez nous du Bielsismo). La deuxième limite, la plus importante, touche les joueurs. Aux séances d’entraînement épuisantes, Bielsa demande à ses joueurs une intensité pendant les matchs qui s’avère le plus souvent épuisante sur une saison, principale raison aux fins de saisons poussives de ses équipes (voir l’Athletic 2012, l’épuisement de Newell’s lors du Torneo Inicial 2013 sous Berti, un autre enfant du Bielsismo).

L’héritage bielsista

Vanter Bielsa signifie donc que nous avons affaire à l’un des techniciens les plus titrés de l’histoire, seul paramètre aujourd’hui pris en compte par les experts. Il n’en est rien. Si Bielsa a connu quelques heures de gloire au pays (à Newell’s au début de la mise en place de sa philosophie de jeu puis à Vélez), il reste ce beautiful loser, celui qui passe toujours à deux doigts d’un titre (voir son dernier passage à l’Athletic). Mais Marcelo Bielsa n’est pas un entraîneur comme un autre, son système, sa philosophie a laissé des traces dans le football moderne et se répand avec ses disciples qui, eux, ont su l’adapter avec succès. Javier Sampaoli, bielsista convaincu, a révolutionné l’Universidad de Chile pour en faire l’une des équipes les plus exceptionnelle du continent ces dernières années (3 titres nationaux, une Sudamericana) et reproduit ce schéma avec la sélection chilienne (pour laquelle el Loco avait posé les fondements modernes), Eduardo Berizzo, ancien de l’OM, Bielsista convaincu, a emmené O’Higgins au premier titre de son histoire au Chili, Gerardo Martino, aujourd’hui au Barça, a conduit Newell’s, qui luttait pour la relégation, au titre en Argentine et en demi-finale de la Libertadores après avoir emmené le Paraguay en finale de la Copa América 2011, et donc, le plus connu de tous, Pep Guardiola a connu le succès que l’on connait au Barça et désormais au Bayern. Tous ont appliqué les méthodes et le style de jeu Bielsa, apportant parfois quelques retouches, tous ont connu le succès. Car le génie de Bielsa se mesure à son influence sur le football du XXIe siècle. S’il n’a pas inventé le football, il a créé un style, déposé des bases, qui sont aujourd’hui appliquées de par le monde par ses disciples directs (dont certains sont listés ici), ses disciples indirects (Villas Boas et surtout Klop qui, sans être des Bielsista affirmés, partagent quelques caractéristiques communes à l’argentin) et ceux qui copient désormais les stratégies payantes des clubs à succès.

Un bon choix pour l’OM ?

La grande question est donc de savoir si un tel entraîneur trouverait sa place à Marseille, club connu pour sa grande capacité à ne pas savoir être patient (il parait que c’est l’apanage des grands clubs). Autant il est difficile de prédire ce que sera l’OM sous Bielsa (ne serait-ce que parce qu’il est inutile de dresser des schémas de jeu potentiels avec l’effectif actuel qui ne sera probablement pas celui de la saison prochaine), il faut cependant saluer le courage des dirigeants marseillais tout autant que leur projet sportif (pariez sur la Ligue 1 avec le code avantage Betclic).

Je sais que cela peut paraître bizarre écrit ainsi, Vincent Labrune ayant été l’objet de moqueries lorsqu’il a déclaré vouloir faire de Marseille le Dortmund français, mais force est de constater qu’un an après avoir fait le pari de se positionner sur le marché des joueurs français en devenir, le club olympien passerait une étape supplémentaire en enrôlant un bâtisseur chantre d’un nouveau football et d’une nouvelle philosophie qui ont désormais conquis toute la planète qui pourra s’appuyer sur ces jeunes internationaux. S’il serait inconscient de prédire de nouvelles lignes au palmarès de l’OM avec l’arrivée d’el Loco, une certitude, l’héritage que Bielsa laisserait à Marseille serait bien immense. Il devrait changer toute une philosophie de jeu. Aux supporters d’être patients (je sais, c’est toujours compliqué) mais le jeu en vaut la chandelle et les conséquences pourraient se voir même (surtout ?) après le passage de l’argentin (imaginez voir ensuite débarquer un Berizzo par exemple) et pourraient également rejaillir sur l’ensemble de la Ligue 1, faisant de l’OM un modèle. Car, après avoir changé le football sud-américain, disséminé son message en Espagne, el Loco vient en personne planter sa graine en France. Pour cela, Marseille, s’il venait à l’engager, devrait en être remercié.

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