Forte de son mercato qui bouscule l’Europe, la Saudi Pro League attire désormais les regards du monde. Présentation de l’un des championnats majeurs d’Asie dont la quarante-huitième édition vient de débuter.

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En 2023 et plus que jamais, le football est, pour certains, une arme géopolitique. Un sport idéal pour développer le softpower d’un pays dont l’image est ternie. C’est dans cette optique que les pays du Golfe investissent massivement depuis quelques décennies. Et cet été, l’un de ces pays est en train de complètement changer la face du football mondial : l’Arabie saoudite. Avec un recrutement massif de joueurs stars et très performants en provenance de l’Europe, l’objectif du prince héritier Mohammed Ben Salmane est de placer la Saudi Pro League parmi les meilleurs championnats du Monde. L’Arabie saoudite devenant ainsi une place forte du football planétaire. Ces stars permettront aussi de déclencher une vague de vocations chez les futures générations. Car bien que la formation soit aussi au cœur du projet saoudien, le pays ne compte que 90 000 licenciés. C’est peu pour un pays de trente-six millions d’habitants.

Cette arrivée massive de joueurs très talentueux a en tout cas changé la face du championnat. Elle va aussi attirer de nombreux regards, partout dans le monde, y compris en France. Un championnat qui se dispute à dix-huit, dont la conclusion est prévue en mai 2024 et qui devrait envoyer ses deux premiers en phase de groupes de l’Asian Champions League – même si rien n’est encore décidé après la refonte de la compétition – et relègue ses trois derniers. Place désormais au guide de la Saudi Pro League 2023/24, pour tout savoir sur les équipes de ce championnat qui fera couler beaucoup d’encre.

Le « big four » et son invraisemblable mercato

Quatre clubs historiques accaparent la quasi-totalité de l’espace médiatique du football saoudien : Al-Hilal, Al-Nassr, Al-Ittihad et Al-Ahli. Ces quatre clubs historiques sont subventionnés par le PIF, c’est à dire le fond public d’investissement, et dépendent donc fortement de l’état. C’est donc le gouvernement saoudien qui s’est occupé de recruter les stars comme Karim Benzema ou Roberto Firmino, puis de les répartir dans les clubs en fonction des demandes.

Parmi les membres de ce « big four », le club le plus attendu est sûrement Al-Nassr. Les jaunes et bleus ont été les premiers à voir arriver une star planétaire, avec la signature du quintuple Ballon d’Or Cristiano Ronaldo en janvier 2023. Avec des joueurs talentueux comme le brésilien Talisca et le latéral saoudien Sultan Al-Ghannam, Al-Nassr a bataillé jusqu’au bout pour le titre 2022/23, remporté finalement par Al-Ittihad. Les coéquipiers de CR7 auront donc à cœur de remporter le championnat cette saison, un championnat qu’ils n’ont plus soulevé depuis 2018/19. Ils seront bien aidés par un changement total du milieu de terrain, où l’ancien marseillais Luis Gustavo a cédé sa place au croate Marcelo Brozović, ainsi qu’à l’Ivoirien Seko Fofana, arrivé en provenance de Lens. Sur le front offensif, Sadio Mané rejoint le duo CR7-Talisca. Attention cependant, malgré l’arrivée probable d’Aymeric Laporte, Al-Nassr reste relativement fragile derrière. Ce problème défensif persistant depuis plusieurs saisons doit impérativement être corrigé si le club de la capitale, emmené par le tacticien Luis Castro, veut espérer dominer la Saudi Pro League.

Et cette domination sera plus compliquée que jamais à obtenir, car un autre club de Riyad a fait un mercato colossal. Al-Hilal est le club le plus titré d’Arabie saoudite (dix-huit titres), les bleus et blancs détenant également le record de victoire en Ligue des Champions asiatique (quatre). Une grande partie des joueurs de la sélection nationale saoudienne y évoluent et son centre de formation est l’un des meilleurs d’Arabie. Pourtant, la saison dernière, la « vague bleue » ressemblait plus à une vaguelette qu’à un tsunami. Al-Hilal a enchaîné les désillusions, avec une troisième place en championnat, une défaite en finale de Coupe du Monde des clubs, et une défaite en finale d’Asian Champions League. Revenchard, Al- Hilal va pouvoir compter sur un effectif très renouvelé. En défense, le Sénégalais Kalidou Koulibaly devra tenir la baraque avec le coréen Jang Hyun-soo. Au milieu, le Portugais Ruben Neves et le Serbe Sergej Milinković-Savić seront associé à l’italien Marco Verratti. L’excellent Mohammed Kanno, qui avait brillé à la dernière Coupe du Monde, est aussi une belle arme à ce poste. Enfin, sur le front de l’attaque, le coach portugais Jorge Jesus attend encore quelques renforts, malgré la présence du virevoltant Salem Al-Dawsari et l’arrivée des brésiliens Malcom et surtout Neymar. Toutes ces stars accompagneront la jeunesse du club, notamment les prometteurs Musab Al-Juwayr, Saad Al-Nasser ou encore Abdullah Radif.

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Une jeunesse que n’aura pas à encadrer Karim Benzema à Al-Ittihad. Ancien club formateur assez important, le club de la ville portuaire de Djeddah, la seconde plus peuplée du pays, a laissé de côté cette identité depuis l’arrivée du coach portugais Nuno Espirito Santo, un coach qui laisse très peu de temps de jeu aux jeunes joueurs. Le coach portugais a aussi fait de son équipe une forteresse quasiment imprenable. La saison dernière, les Tigres ont encaissé treize petits buts en trente matchs. Une solidité qui leur a permis de décrocher le championnat, qu’ils n’avaient plus gagné depuis la saison 2008/09. Cependant, avec la folie des grandeurs ambiante dans le championnat, la colonne vertébrale qui a fait le succès des jaunes et noirs a été fracturée. Le gardien brésilien Marcelo Grohe est encore là, mais les Égyptiens Ahmed Hegazy et Tarek Hamed sont en instance de départ, tout comme le milieu offensif Igor Coronado. Ils sont remplacés par le Brésilien Fabinho, et le Français Ngolo Kanté. Un autre Français a rejoint le club sur le front offensif, le Ballon d’Or 2022 Karim Benzema. Il sera accompagné entre autres du Brésilien Romarinho, du Marocain Abderrazak Hamdallah, et du Portugais Jota, arrivé en provenance du Celtic. Le plus ancien club sportif encore en activité du pays espèrera donc enchaîner un second titre consécutif, sous les yeux de son public bouillant.

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Mais un club espère plus que n’importe qui empêcher les Tigres de remporter la SPL : Al-Ahli. Bien que les verts et blancs viennent de remonter en première division, ils n’ont rien d’un promu ordinaire. Le club, basé comme Ittihad dans la ville de Djeddah, est le cinquième plus titré du football saoudien. Promu mais avec beaucoup d’ambition, une très grande partie de l’effectif a été renouvelé. Un recrutement très impressionnant a été effectué, avec notamment le Sénégalais Edouard Mendy, le défenseur brésilien Roger Ibañez et le milieu ivoirien Franck Kessié. Le trio offensif sera composé du Français Allan Saint-Maximin, associé à l’Algérien Riyad Mahrez et au Brésilien Roberto Firmino. Derrière ce trio, on retrouve l’Algérien Riad Boudebouz, bien connu en Ligue 1 et déjà présent l’an dernier. Cet effectif est enrichi de plusieurs jeunes prometteurs, et sera coaché par le jeune allemand Matthias Jaissle, trente-cinq ans et qui arrive en provenance de la filière Red Bull. Même s’il ne part pas favori pour le titre, Al-Ahli pourrait surprendre tout le monde, et sera donc un club particulièrement scruté.

Al-Shabab, la cinquième roue du carrosse

Le PIF a donc créé quatre clubs vitrines de sa puissance financière. Mais le championnat ne se résume pas qu’à eux, et un autre club pourrait venir tout chambouler. Avant cette saison, cinq clubs étaient censés dominer le championnat. Parmi ces cadors, Al-Shabab peut se sentir lésé. Ce club n’étant pas soutenu par le PIF, il ne peut presque pas attirer de stars.

Pourtant, le club de Riyad est le quatrième plus titré du pays. Cependant, même si jouer le titre semble compliqué, les Lions Blancs peuvent encore rêver d’un podium. L’effectif a pour l’instant peu bougé par rapport à la saison dernière. Aux cages, Kim Seung-gyu, international coréen, est l’un des meilleurs gardiens du continent. Le milieu est également intéressant, avec le capitaine argentin Ever Banega, toujours aussi bon malgré son âge avec le Colombien Gustavo Cuellar venu renforcer un secteur, qui compte aussi le rugueux Riad Sharahili et le très prometteur Mohammed Al-Yami. Mais en dépit de ces espoirs, Al-Shabab va devoir faire face à deux gros chantiers. Tout d’abord le départ de Hassan Tombakti, le taulier de la défense. Et ensuite, un secteur offensif assez léger, même si l’arrivée du Sénégalais Habib Diallo est très pertinente. Malgré ces faiblesses, la pression sur le coach néerlandais Marcel Keizer sera forte et le troisième club de Riyad pourra compter sur un public fidèle.

Les outsiders

Al-Shabab n’est pas le seul club qui pourra embêter le « big four ». Trois outsiders se dessinent, pouvant arbitrer la course au titre et pourquoi pas viser le top 4.

Le premier est Al-Taawoun. Les Loups, qui ont longtemps végété dans les divisions inférieures, montent en puissance ces dernières années. Même si le budget est moindre que les clubs précédents, le recrutement estival a été très pertinent et a compensé les départs de certains joueurs, notamment en direction de Al-Ahli. Ainsi, trois brésiliens intéressants ont signé. Tout d’abord, l’ancien Nantais Andrei Girotto, puis le milieu Flavio, prêté par Trabzonspor, et enfin l’ailier Mateus, arrivé du club japonais de Nagoya Grampus, et qui s’est imposé comme l’une des références à son poste dans le championnat japonais.

Mais parmi les outsiders, un club a fait bien plus de bruit. Bien que n’étant pas soutenu par le PIF, le club d’Ettifaq est un ancien beau nom du foot saoudien. Même s’ils tournent au ralenti depuis plus de dix ans, les Chevaliers d’Ad-Dahna affichent de nouvelles belles ambitions. Elles sont matérialisées par l’arrivée sur le banc de l’Anglais Steven Gerrard, légende de Liverpool. La présence de ce dernier a permis la signature du milieu anglais Jordan Henderson, qui sera la seule grande star hors du « big four ». Des noms comme l’Écossais Jack Hendry et le Français Moussa Dembélé se sont ajoutés à un effectif déjà intéressant. Ettifaq pourra aussi compter sur sa jeunesse, puisque le club est devenu une petite référence dans la formation et la post-formation.

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Enfin, même s’il a peu fait de bruit, Al-Fateh sera, comme la saison dernière, redoutable à jouer. Le club d’Al-Hasa, coaché par le croate Slaven Bilić, a fait un solide mercato, avec l’arrivée de l’Argentino-arménien Lucas Zelarayán, et du Belge Jason Denayer. Al-Fateh a réussi à conserver le jeune et très prometteur Firas Al-Buraikan, seul Saoudien dans le top 10 des meilleurs buteurs de Saudi Pro League l’an passé. Bon club post-formateur également, Al-Fateh devra cependant améliorer sa régularité.

Ces trois outsiders seront donc passionnants à suivre, notamment lors de leurs affrontements contre les grosses équipes. Attention cependant, car des clubs plus modestes pourraient leur poser problème.

Les clubs plus modestes

Même si huit clubs sortent du lot en termes de qualité de jeu et d’ambitions, les clubs dits du « ventre mou » sont plus compétitifs que jamais. Que ce soit le promu Al-Hazem, avec ses jeunes joueurs prometteurs et son gardien tunisien Aymen Dahmen, Al-Tai, qui monte en puissance chaque saison, ou Al-Fayha, vainqueur surprise de la dernière Saudi Super Cup, ils seront capables d’embêter les cadors. Le club de La Mecque, Al-Wehda, possède des jeunes joueurs assez intéressants et a fait un mercato tardif mais efficace avec le Nigérian Odion Ighalo et le Marocain Jawad El Yamiq. Abha, qui a vécu une saison compliquée, s’est bien renforcé, avec l’arrivée du Guinéen François Kamano et du Polonais Grzegorz Krychowiak. Enfin, même si l’effectif paraît un peu limité, Al-Raed sera aussi un club à suivre, puisque son ambiance très familiale dénote beaucoup avec la bataille du haut de tableau. Les rouges et noirs, emmenés par le Capverdien Julio Tavares, savent d’ailleurs produire du bon football. Avec uniquement trois descentes, la lutte pour le maintien sera acharnée. Et avec la médiatisation colossale de la SPL, les clubs voudront à tout prix y rester, ce qui devrait donner des luttes tout aussi passionnantes qu’en haut de tableau. La bataille du milieu de tableau sera sûrement très disputée, certains seront proches de la zone de relégation et pourraient vite chuter en seconde division.

Photo : Baptiste Fernandez/Icon Sport

Cependant, quatre clubs semblent en dessous. Damac tout d’abord, qui a fait une très belle saison 2022/23, mais qui ressort du mercato amoindri. Le promu Al-Okhdood semble aussi un peu faible, malgré l’arrivée de l’ancien ailier de la Masia Álex Collado. Enfin, sur ces quatre, deux clubs paraissent encore un peu plus faibles. Al-Khaleej tout d’abord, qui est passé très proche de la relégation l’an dernier malgré la présence du Gabonais André Poko et qui est très limité offensivement, et le promu Al-Riyadh, ancien club de la capitale très ancré dans le football saoudien du XXe siècle, mais qui a totalement sombré il y a une vingtaine d’année.

Plus que jamais sous le feu des critiques, la Saudi Pro League sera scrutée par le monde entier. Dans sa quête d’être un jour parmi les cinq grands championnats, elle devra déjà prouver qu’elle peut atteindre le prestige et la qualité de la J.League, qui reste pour l’instant le championnat le plus relevé d’Asie. Cette saison charnière est aussi celle de tous les excès. Car avec le temps, ce championnat sera de plus en plus prestigieux, et aura donc de moins en moins besoin d’argent pour progresser. La saison 2023/24 est ainsi la genèse de l’un des projets les plus colossaux de l’histoire du football.

 

Killian Besson
Killian Besson
Défenseur et amoureux du foot asiatique (et océanien)