Ce samedi, tous les regards seront dirigés vers São Paulo où le Brésil jouera sa qualification face au Pérou (21h00). Dans le même temps, les deux nations les plus effacées de l’histoire du football sud-américain s’affronteront dans un stade qui sonnera creux. Bien qu’au même niveau il y a encore quelques années, le Venezuela s’est façonné une crédibilité laissant les Boliviens endosser seuls le rôle de mauvais élève continental.
Habitués à terminer les éliminatoires sud-américains aux dernières places, la Bolivie et le Venezuela se sont taillés une solide réputation de mauvais élèves du continent. L’histoire récente le prouve : lors des cinq derniers éliminatoires à la Coupe du Monde la Vinotinto a terminé dernière, avant-dernière, antépénultième, sixième puis de nouveau dernière lors des qualifs au Mondial russe. Des performances qui n’ont rien à envier à celle des Boliviens respectivement avant-dernier, septième, dernier avant de se caler avec une belle régularité trois fois à l’avant-dernière place. Pourtant, décidé à se débarrasser de son bonnet d’âne une bonne fois pour toute, le Venezuela s’est mis au travail mettant en péril l’immanquable chassé-croisé opéré depuis vingt ans par les deux sélections.
Désireuse de bousculer une hiérarchie continentale trop figée, la Vinotinto a mis sur pied un projet qui laisse apparaître aujourd’hui ses premiers résultats. Déjà surprenante lors des Copa América 2011 et 2015 (demi et quart de finalistes), la sélection vénézuélienne est en train de confirmer le potentiel qu’on lui avait prédit. À l’image d’un bon vin, la Vinotinto est en phase de maturation et les bonnes vendanges devraient commencer à se faire de plus en plus nombreuses. Les adversaires sont prévenus : fini les trois points assurés lorsqu’on affronte le Venezuela. En témoigne son bon début de Copa América qui, malgré une inefficacité offensive totale, s’est montrée disciplinée défensivement et solide mentalement, tout le contraire de ce qu’elle pouvait proposer par le passé. Rafael Dudamel, ancien technicien des catégories U17 et U20, est le chef de file d’un processus entamé au début des années 2000 (nous en parlons dans l’émission LO na Copa)
À cette époque, les dirigeants du foot vénézuélien se sont retroussé les manches dans plusieurs secteurs essentiels, notamment en obligeant la titularisation d’un joueur U20 sur le terrain pour chaque match de championnat. Cette nouvelle règle a permis à plusieurs générations de jeunes joueurs de terminer une saison avec 30/35 matchs dans les jambes. En Bolivie cette réglementation vient d’être expérimentée lors du tournoi Apertura 2019 et certains clubs ont décidé de ne jouer le jeu qu’à moitié en sortant systématiquement leur jeune joueur à la mi-temps. Côté vénézuélien, les jeunes pousses ont bénéficié de plus de visibilité ce qui leur a permis de s’engager avec des clubs étrangers et aujourd’hui vingt-et-un joueurs sur vingt-trois présents à la Copa América évoluent à l’extérieur, contre seulement trois des vingt-trois Boliviens. Désormais la jeune génération emmenée par le portier Wuilker Faríñez s’est fait sa place parmi la sélection majeure. Quatre joueurs présents en finale du championnat du monde U20 face à l’Angleterre en 2017 ont participé au dernier match face au Brésil (Fariñez, Hernández, Herrera et Soteldo). Si l’avenir semble se dessiner sous de meilleurs auspices, il ne faut pas sous-estimer les dommages que pourrait causer la situation politique actuelle du pays sur l’ensemble des sélections vénézuéliennes. D’ailleurs, sans glisser sur le terrain politique, le président bolivien Evo Morales fait partie des fervents soutiens à Nicolás Maduro.
De son côté la Bolivie faisait partie des meilleures nations sud-américaines dans les années 90, époque où son Académie Tahuichi s’était forgée une solide réputation sur tout le continent (nous en parlions il y a quatre ans avec Ricardo Román). Malheureusement, la formation bolivienne était trop dépendante d’une académie qui n’aura jamais pu se remettre du départ de ses formateurs expérimentés. Aujourd’hui dans le pays andin, les clubs qui possèdent un vrai projet consacré à la formation des jeunes se comptent sur les doigts de la main et, une fois lancé en pro, ces joueurs sont peu nombreux à tenter l’aventure à l’étranger. La plupart reviennent rapidement au pays sans avoir réussi à s’imposer dans d’autres contrées, du fait de certaines lacunes physiques et tactiques. En ayant fait l’erreur de délaisser la formation de ses jeunes, la Bolivie s’est faite doubler par tous ses concurrents et aujourd’hui même le Venezuela, son acolyte de toujours, est en train de la lâcher. Un peu comme votre meilleur pote au collège qui avait brillé en maths sans vous avoir prévenu qu’il avait bossé sa leçon.
Le sélectionneur Eduardo Villegas est conscient du niveau de sa Verde « nous sommes deux marches sous le Pérou et une sous le Venezuela » avait-il prévenu dans la foulée du tirage au sort de cette Copa América. Un aveu difficile à admettre mais réaliste pour une sélection qui s’est pour le moment montrée peu inspirée et n’a qui pas été capable de générer la moindre combinaison offensive. Nommé en janvier, Villegas passe ses conférences de presse à expliquer qu’un processus prend du temps mais il lui est difficile de prôner la patience dans un pays à la culture foot resultadista. Dans le championnat bolivien, au moindre accroc, un entraîneur va être remercié, ce qui anéanti la possibilité de développer un plan de jeu et met sans cesse les joueurs sous pression. Contraints à réussir immédiatement, les clubs préfèrent aller chercher un trentenaire aguerri dans les divisions inférieures argentines plutôt que de mettre en place un vrai projet de formation, jugé trop long. Il ne faut donc pas s’y méprendre : pourtant en première ligne, les joueurs boliviens ne sont pas les responsables des mauvaises performances de la Verde. Pour trouver des coupables, c’est du côté des hautes instances des fédérations qu’il faut chercher (lire notre entretien avec Agustín Suárez Doreski). Un match nul ce soir pourrait suffire au Venezuela pour se qualifier. De quoi prouver à son compagnon bolivien qu’à force de travail on peut s’en tirer avec une belle mention.