L’Australie se présente au Qatar avec le sentiment du devoir accompli. Du saut dans l’inconnu à la qualification épique face au Pérou, les Socceroos en qui le pays ne croyait plus ont déjà renversé des montagnes. Et espèrent poursuivre sur cette lancée.

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« Je vous l’avais dit » célèbres mots de Johnny Warren, le Captain Socceroos qui a promu le football en Australie et dont le nom est devenu légende. Un slogan scandé dans les tribunes lorsque les Socceroos éliminaient l’Uruguay et décrochait une place au Mondial allemand en 2006. Ces mots ont trouvé un écho face au Pérou. Mathew Ryan avait laissé sa place à Andrew Redmayne lors d’un coup de poker qui s’est avéré payant tenté par John Crawley, entraîneur des gardiens. Andrew Redmayne décidait de danser sur sa ligne, faire la chorégraphie du programme pour enfant The Wiggle dont sa jeune fille raffole. Avantage mental, déconcentration de l’adversaire puis le Pérou a plié. Redmayne est devenu un nouveau héros national, le Wiggle gris. La conclusion d’une longue période de doute.

Avant Graham Arnold, la sélection a suivi plusieurs années mouvementées. Il y a eu le départ d’Ange Postecoglou à a veille de l’épopée russe, remplacé par le pompier-pigiste néerlandais Bert van Marwijk puis Graham Arnold s’est installé. Très peu connu au-delà des frontières nationales, Arnold est réputé pour son passage au Central Coast Mariners et au Sydney FC (trois couronnes de champions de saison régulière, deux titres de A-League) et aux caractéristiques communes à toutes ses équipes : une défense de fer, un attaquant robuste. Tout ce qu’il manquait en sélection nationale. Et si Arnold affiche des résultats en club, pour l’instant, avec la nation, rien de brillant, l’élimination précoce en quarts de finale de la Coupe d’Asie 2019, face aux Émirats arabes unis et cette campagne de qualification placé sous le signe des hésitations.

Forts avec les faibles

Au lendemain de la campagne russe, Graham Arnold a appliqué son autre spécialité : donner sa chance aux plus jeunes. Ainsi, il n’a jamais hésité à promouvoir de nouvelles têtes en sélection, s’appuyant notamment sur les moins de vingt-trois ans qui ont participé aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Cette génération post-Russie a impulsé la campagne éliminatoire de la meilleure des manières, les ‘Roos signant une série record de onze victoires consécutives lors du deuxième tour de qualification pour Qatar 2022. On pensait alors que l’Australie revenait forte et revigorée, la génération des Cahill, Miligan ou Jedinak semblait avoir trouvé des remplaçants. Et puis, les choses sérieuses ont commencé lors du dernier tour et les espoirs d’une qualification directe se sont rapidement envolés.

arnoldPhoto : PAUL ELLIS/AFP via Getty Images

Car si l’Australie est la cinquième meilleure nation asiatique, si elle sait être forte avec les faibles, s’appuyant sur ses individualités, elle a rapidement montré ses limites face aux meilleures nations, en grande partie par manque d’idée de jeu. Ainsi voit-on ces mêmes garçons essayer de jouer au sol avec l’attaquant Mitchell Duke ou abuser de longs ballons lorsqu’elle aligne Jamie Maclaren. Deux idées à l’opposé des profils des joueurs nommés. Conséquence, l’Australie n’a pas rivalisé avec Japon et Arabie saoudite et s’est ainsi retrouvée barragiste, finalement à sa place dans la confédération. À sa décharge, Arnold n’a pas été aidé par une pandémie mondiale et des conséquences au pays qui n’ont pas favorisé un véritable travail de fond, la sélection devant bricoler en fonction des possibilités des joueurs à quitter les pays confinés, jouer seize matchs à l’extérieur – deux ans hors du pays – puis faire avec les blessures ou le coronavirus. Si d’un côté cela a permis un apport de sang neuf avec des joueurs tels que Harry Souttar, le milieu Ajdin Hrustic, ou encore les Olympiques Denis Genreau, Connor Metcalfe, Marco Tilio et Nathaniel Atkinson, la construction d’un onze fixe n’a jamais eu lieu.

Une liste difficile à composer

Graham Arnold n’a ainsi jamais trouvé son système, a changé de plan à plusieurs reprises et a continuellement tenté de faire venir des joueurs en forme sur une brève période. Sa sélection s’est ainsi apparentée à un bricolage à court terme plutôt qu’une construction pour l’avenir. Bruno Fornaroli a été naturalisé, Jason Cummings et Garang Kuol ont disputé leur premier match sans parler d’autres essais à l’image de Nick D’Agostino ou Jake Brimmer. Arnold a tenté plusieurs compositions avec quatre placements distincts : 4-5-1, 4-2-3-1, 4-4-2, 4-3-3. Le moment de faire sa sélection définitive a été difficile, à l’image des deux dernières années. Quinze à seize joueurs décidés sur les deux derniers mois puis cinq à six à joueurs sur les deux dernières semaines. Parmi les vingt-six, dix-sept joueurs n’ont aucune expérience mondiale. Sept joueurs disputent le championnat national, comme en 2014, quatre de plus qu’en 2018. Et surtout, il est toujours aussi difficile d’élaborer à l’avance le premier onze de départ. Arnold a vu ses titulaires tomber les uns après les autres à la suite de blessures ou en manque de temps de jeu (citons Harry Souttar, Kye Rowles, Nathaniel Atkinson, Ajdin Hrustic, Martin Boyle, Maty Ryan ou encore Awer Mabil et Tom Rogić). L’Australie est donc toujours en chantier. Alors à quoi s’attendre face à la France, au Danemark ou à la Tunisie ? À un bloc médian et une équipe dans laquelle le ballon brûle les pieds. Une formation qui ne cherchera pas à jouer, n’ayant ni l’expérience, ni les joueurs en pleine capacité, et qui va s’appuyer avant tout sur son physique et sa puissance, même si Graham Arnold a souhaité apporter casser le mythe d’une équipe dure. Si le souhait est d’avoir « onze kangourous boxeurs », créer des étincelles serait appréciable.

kuolPhoto : Hannah Peters/Getty Images

Garang Kuol facteur X

Pour cela, le sélectionneur pourrait s’appuyer sur de nouveaux profils. Des joueurs tels que Craig Goodwin, Awer Mabil sinon Matthew Leckie dont son début de saison est porteur d’espérance, sont autant de facteurs intéressants. Mais évidemment, un nom se détache Garang Kuol. Le nouveau phénomène australien de tout juste dix-huit ans – second joueur le plus jeune de la compétition –, n’arrive qu’avec un seul match comme titulaire en Coupe, sans avoir joué quatre-vingt-dix minutes complètes en championnat, mais en ayant déjà assuré un transfert en Premier League à Newcastle. Il est la sensation du All Star Game face au FC Barcelone, a déjà fait se lever le public du Central Coast Stadium en championnat, et il n’est pas impossible que sa capacité à dynamiter les lignes adverses puisse être utilisé sur les fins de partie. Il est en tout cas celui qui pourrait générer l’étincelle désirée par son sélectionneur. Une étincelle dont l’Australie aura besoin pour assouvir un rêve vieux de douze ans : décrocher une nouvelle victoire en Coupe du Monde. Car depuis les buts de Tim Cahill et Brett Holman contre le Serbie (2-1) en Afrique du Sud, les Socceroos attendent. Avec un groupe frais, qui n’a pas accumulé les matchs en club, ceux que personne n’attend pourraient bien rééditer l’exploit du Pérou. S’ils ont déjà gagné sur le plan politique et social avec leurs prises de position clairement affichée en faveur de la défense des droits aux LGBTQA+, à eux d’en faire de même sur le rectangle vert.

 

 

Photo une : Robert Cianflone/Getty Images

Antoine Blanchet-Quérin
Antoine Blanchet-Quérin
Spécialiste du football australien, néozélandais et océanien pour Lucarne Opposée.