Comme le dit le proverbe, s’il y a une solution, c’est peut-être qu’il y a un problème. C’est ce qu’a pensé une bonne partie des Uruguayens pendant les huit jours qui ont composé sa Coupe du Monde 2022 au Qatar. La solution est finalement revenue sur le terrain, mais trop tard.

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L’ère Tabárez s’est terminée fin 2021 avec un sentiment étrange de regrets et de nécessités mêlés. L’Uruguay avait besoin d’autre chose sur les quatre derniers matchs qualificatifs pour pouvoir se qualifier. Le Tornado Alonso est donc arrivé et son équipe a séduit, enthousiasmé, avec des choix de continuité, des choix de ruptures, et surtout une dose de risques avec De Arrascaeta enfin installé et Pellistri ayant sa chance sur le côté. Cela a fonctionné du tonnerre, l’Uruguay a gagné ses quatre derniers matchs des éliminatoires et s’est donc qualifié en beauté pour son quatrième Mondial de rang, prouvant une fois encore son rôle de pilier du football sud-américain au côté des Argentins et des Brésiliens.

Durant les quelques matchs amicaux, l’Uruguay a eu quelques bonnes performances, mais a aussi perdu contre l’Iran, un match qui a peut-être fait naître des doutes dans l’esprit d’Alonso. Le temps passe très vite, Alonso ne passe que quelques jours avec son équipe au complet avant le fatidique premier match… Et change son fusil d’épaule. En l’absence d’Araújo, retour à un latéral vraiment défensif (Cáceres). Au milieu, retour de la triple garantie avec Vecino, Valverde et Bentancur. Côté droit, Pellistri est confirmé, mais sans un latéral capable de monter et sans pendant côté gauche. En attaque, Luis Suárez est titularisé avec Darwin Núñez. Une sélection typique du Maestro, mais sans la vitesse de Cavani ou l’impact de Suárez. La rigueur défensive sans l’impact. Comme lors des matchs à domicile contre la Colombie ou le Paraguay durant les éliminatoires : l’Uruguay n’y arrive pas. Pire, la Corée du Sud joue bien et presse à merveilles sur les trois du milieu. Sans pour autant se procurer de grandes occasions, la Corée domine l’Uruguay, jusqu’à une tête de Godín en fin de première mi-temps qui termine sur le poteau. La deuxième mi-temps voit la Corée fatiguer dans son pressing et l’Uruguay dominer la fin de match, sans réussir à marquer. Grosse déception, mais rien n’est encore perdu, l’Uruguay se prépare à jouer le Portugal.

À un but

Alonso double alors la mise sur les choix défensifs et tente une défense à cinq. Cette défense et ce milieu, double protection, tiennent le coup en première mi-temps avant de lâcher sur un beau ballon en cloche de Fernandes que Cristiano Ronaldo frôle et qui trompe Rochet en début de deuxième période. Dos au mur, Alonso lâche les chevaux et… lance les joueurs qui avaient brillé en éliminatoires. L’Uruguay perd quand même, avec notamment un penalty en toute fin de match sur une main de Giménez, mais la Celeste a enfin fait plaisir pendant une demi-heure. Tout l’Uruguay se résume à une seule remarque : enfin ! Enfin De Arrascaeta (que le Brésil finissait presque par réclamer), enfin un peu de volonté d’aller de l’avant. Il ne reste qu’un match pour s’offrir un joli choc en huitième contre le voisin nordiste. Le scénario est simple si la Corée du Sud ne bat pas le Portugal : dans ce cas, une victoire suffit. En cas de victoire de la Corée du Sud, il faudra minimum gagner par trois buts d’écart contre le Ghana, notamment à cause de ce penalty de toute fin de match contre le Portugal. Le match démarre sur un bon rythme, jusqu’à ce que le Ghana rêve de venger 2010 et obtienne un penalty. Il est très mal tiré par Ayew ou magnifiquement arrêté par Rochet, qui lance son équipe. Dans la foulée, De Arrascaeta marque deux buts dont une magnifique reprise de volée sur une belle louche de Súarez. Au même moment, le Portugal et la Corée du Sud font matchs nul. À la mi-temps, le Portugal se sait premier du groupe : le Ghana ne pourra plus l’emporter, sauf à marquer un triplé improbable. La Celeste devrait savoir que la Corée va tout tenter, va jouer sa peau, face à une équipe n’ayant plus d’objectif. Plutôt que d’enfoncer le clou, l’Uruguay se met dans une position d’attente. Une position dangereuse. À la toute fin du match, la Corée du Sud prend logiquement l’avantage. Il est trop tard pour Alonso qui semble réaliser le problème quand Dario Rodríguez son adjoint le lui fait remarquer, envoyant toute son équipe à l’offensive. Cavani est bousculé dans la surface à la toute fin du match, mais l’arbitre ne siffle pas. L’Uruguay est éliminé piteusement dès la phase de groupes.

Amère victoire

La défaite est amère. Cavani s’en prend à l’écran utilisé par l’arbitre principal pour l’assistance vidéo. Giménez bouscule gentiment un officiel. Étrangement, Alonso est assez peu inquiété, puisque le président de la Fédération (Nacho Alonso) précise rapidement qu’il aimerait que le sélectionneur poursuive. Pourtant, la défaite est pour lui. Il a eu peur lors des deux premiers matchs et n’a pas libéré son équipe. Finalement, les statistiques sont terribles, l’Uruguay n’a marqué que deux buts en trois matchs. Contre le Ghana, il ne s’est pas rendu compte qu’encaisser un but ne changeait rien mais qu’en marquer un de plus pourrait sauver son équipe en cas de but coréen. À ce jour, Alonso hésiterait, souhaitant depuis toujours entraîner en Europe selon « les rumeurs ». Il est à souhaiter qu’il parte en Europe conquérir les plus hauts lauriers et qu’il revienne d’ici quelques années en Uruguay, s’il a réussi en Europe, la panacée selon lui. Avez les joueurs, les débats ont été houleux comme ce fut le cas avec Cavani ou Giménez. Les prochains matchs de l’Uruguay devraient être en mars pour déjà les qualifications à la prochaine Coupe du Monde. On ne sait pas si Alonso en sera, mais il est probable que de nombreux joueurs n’y soient pas.

Une dernière danse avant l’ombre

Car cette Coupe signe sans doute le glas de la carrière internationale de plusieurs joueurs estampillés « Afrique du Sud ». Suárez n’aura pas réussi à battre le record de but en Coupe du Monde de la FIFA pour l’Uruguay, restant derrière le grand Omar Míguez. Il n’aura réussi qu’un bon dernier match, loin de ses standards de 2010 ou 2014. Edinson Cavani a aussi vieilli et n’a fait que des bouts de matchs alors qu’il a aussi du mal en club à avoir de la continuité. Diego Godín a montré beaucoup de cœur et est finalement l’ancien ayant réussi la meilleure compétition, dans une équipe n’ayant pas pris de risques. Martín Cáceres n’a pas dépassé la ligne centrale, laissant seul Facundo Pellistri. Fernando Muslera n’est pas entré en jeu. Ce beau monde qui restera à jamais dans les cœurs méritait une meilleure sortie. Le football (et le sélectionneur uruguayen) en a décidé autrement.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba