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Amateurs de revue de presse, vous avez sans doute noté la place infime accordée au football dans les journaux vénézuéliens. Pourtant, dans l’ombre du base-ball, la culture foot reste fortement implantée et son clásico reste un moment unique. A l’occasion de la dernière journée du tournoi qui offre un duel Táchira – Caracas, nous sommes allés à la rencontre des leaders des barras des deux camps qui vont ainsi vous le présenter.

Chaque pays d’Amérique du Sud a son clásico, celui dont la rivalité est si forte qu’elle dépasse souvent le simple cadre du foot. Au Venezuela, le grand clásico oppose le Caracas FC, club de la capitale, au Deportivo Táchira de San Cristobal. Moins anciens que les autres clásico du continent, il oppose les deux clubs les plus titrés du pays (7 titres pour Táchira, 11 pour Caracas) et depuis le premier affrontement en 1985, le bilan est des plus serrés : 32 victoires pour Táchira, 31 nuls et 31 victoire pour Caracas. Ce dimanche, pour la dernière journée de l’Apertura 2014, Táchira accueillera Caracas pour un 95e affrontement qui peut encore laisser entrevoir une chance de titre aux visiteurs (voir Venezuela : Trujillanos sur le fil). Si l’espoir de titre de Caracas est mince, il n’en demeure pas moins que l’enjeu de ce clásico dépasse le simple cadre de l’affrontement entre deux puissants. Pour bien s’en rendre compte, nous sommes allés voir Victor Velasquez (responsable logistique des Los Demonios Rojos de Caracas) et José Quiroz (leader de l’Avalancha Sur du Deportivo Táchira).

Au sportif s’ajoute la rivalité historique et politique entre les deux villes. Ce match est aussi l’emblème d’une lutte sociale entre les habitants de la province et ceux de la capitale

Táchira – Caracas est devenu un incontournable au Venezuela. Comment voyez-vous cette rivalité ?

Victor Velasquez : C’est une rivalité récente, la première finale de la Coupe du Venezuela entre les deux clubs a été disputée en 2000. Au début des années 2000, le Caracas FC a joué beaucoup de finales, gagnant la plupart d’entre-elles face à l’Union Atletico Maracaibo. Après la disparition de ce dernier, une rivalité sportive est née avec le Deportivo Táchira. Nous avons beaucoup de rivalités dans le pays, mais la presse catalogue Caracas FC vs Deportivo Táchira comme le clásico dans le sens où sportivement cela génère toujours un intérêt au vu des bons résultats des deux clubs ces dernières années et de l’animosité qui règne entre supporters des deux camps.

José Quiroz : Pour nous la rivalité existe depuis 1985, année de la première rencontre entre les deux clubs. Elle est montée en puissance dès la première décennie du XXIe siècle grâce à la croissance du football vénézuélien, une couverture médiatique plus importante et un match qui oppose les deux meilleures équipes de ces dernières années, qui possèdent le plus de supporters dans le pays. Au sportif s’ajoute la rivalité historique et politique entre les deux villes : l’héritage du centralisme et des luttes révolutionnaires comme la « Restauradora » qui a abouti à la prise de Caracas de la part des troupes de Cipriano Castro (voir Revolución Liberal Restauradora (page en espagnol)). Ce match est aussi l’emblème d’une lutte sociale entre les habitants de la province et ceux de la capitale. L’État Táchira  se trouve dans une zone frontalière avec la Colombie, alors que Caracas est la capitale du pays. La rencontre est appelée «clásico moderno » par les médias, puisque le Deportivo Táchira, tout comme le Caracas FC, possède d’autres rivalités historiques avec des rivaux comme l’Estudiantes de Merida. La finale de la coupe de 2000 a vraiment marqué les esprits : un mauvais comportement d’un joueur de la capitale surnommé le « petit Rondón », qui a frappé dans des ballons pour les envoyer dans les tribunes,  les supporters du Deportivo Táchira  qui ont alors envahi le terrain en traquant les joueurs du Caracas FC qui se sont réfugiés dans les vestiaires puis l’incendie de leur bus.

Depuis ce moment fort de l’affrontement, il y a eu d’autres incidents ?

VV : Ici il n’y a pas de grands affrontements comme en Égypte, en Argentine, en Colombie ou en Europe de l’Est. Au Venezuela lors des matchs à hauts risques le niveau de sécurité est très élevé que ce soit à Caracas ou à San Cristobal. Nous, on va avant tout au stade dans le but de faire ce qui nous plait le plus : encourager notre équipe à domicile comme à l’extérieur. Après quand il y a des incidents avec d’autres barras, on sait répondre présents.

JQ : L’Avalancha Sur qui est la pionnière du « barrismo » au Venezuela se caractérise en suivant partout et en nombre le Deportivo Táchira contrairement à ceux de Caracas… Les affrontements tant à San Cristobal qu’à Caracas sont très limités, dus à la forte présence policière. Donc au final, les incidents sont plus souvent avec la police. Cependant en 2009 lors de la Copa Libertadores, notre équipe jouait à Buenos Aires en Argentine pour affronter Boca Juniors en même temps que Caracas qui affrontait Lanus. Quand les deux groupes de supporters se sont retrouvés face à face dans le centre de Buenos Aires, les incidents ont été inéluctables. Il y a d’abord eu la charge des barras bravas de Táchira  qui a fait que les supporters de Caracas FC ont été contraints de trouver refuge dans une station-service après le chaos semé dans une zone commerciale. Puis, plus tard, dans la même journée, un deuxième affrontement a été orchestré par l’Avalancha Sur qui a décidé de se diriger vers le stade de Lanus dans lequel les supporters du Caracas FC étaient présents pour la rencontre. À la sortie des supporters visiteurs, ces derniers sont surpris de voir une centaine de membres de l’Avalancha Sur et de nouveaux incidents éclatent avec la faible présence policière à ce moment-là. Une fois de plus complètement dépassés, les fans du Caracas FC font demi-tour pour rentrer à nouveau dans leurs tribunes se réfugier ! La police est ensuite arrivée sur les lieux, éloignant l’Avalancha Sur et facilitant la sortie des fans de Caracas.

Puis il y a l’épisode du maillot rose en solidarité avec la lutte contre le cancer du sein…

VV : Leur comité directeur a pensé bien faire en utilisant un maillot rose pour la lutte contre le cancer du sein. Question d’orgueil je suppose, ils ont préféré lancer des chants nous insultant alors qu’à la base c’était une mesure prise par le comité directeur du Deportivo Táchira, pensant que ça plairait aux supporters. Mais ce fut tout l’opposé. Encore une fois, je suppose que ces choses arrivent que lorsqu’il y a un conflit entre la barra et le club. En tout cas, c’est ce qu’il en ressort de l’extérieur. Peut-être qu’en proposant d’utiliser un bracelet ou des ballons roses pour ne pas que leurs joueurs portent ces couleurs aurait été plus judicieux. Mais personnellement, les voir dans cette situation m’a beaucoup amusé.

JQ : Le Caracas est connu pour la couleur rouge de son maillot. Mais depuis peu de temps, son deuxième maillot a dérivé sur le rose. Après les incidents de ce match ne s’expliquent pas seulement par cette histoire. Cela va plus loin que la rivalité contre le Caracas FC et sa couleur de maillot. Le Deportivo Táchira a choisi de jouer avec un maillot rose soutenant ainsi le cancer du sein laissant place au maillot traditionnel Aurinegra, couleurs qui lui donnent son histoire, sa tradition. Les couleurs pour lesquelles les membres de l’Avalancha Sur sont prêts à laisser leur vie. De porter le rose pour cette cause ne nous dérangeait pas à la base. Mais après avoir fait les photos devant la presse, ils ont gardé ce maillot pour jouer. Là cela a posé de gros problèmes. L’Avalancha Sur a ensuite envahi le terrain pacifiquement demandant aux joueurs de revêtir nos couleurs traditionnelles pour disputer le match. Le comité directeur du club n’a pas accepté et cela s’est conclu avec la suspension de la rencontre et la perte de trois points.

Pour conclure, s’il ne devait rester qu’un Caracas FC - Deportivo Táchira pour vous, ce serait lequel ?

VV : J’ai beaucoup de bons souvenirs, mais s’il faut n’en garder qu’un ce serait la finale de 2010 en raison des circonstances. Porté par plus de 1.000 supporters après un long déplacement d’environ mille kilomètres avec des conditions climatiques très difficiles, notre Caracas FC menait déjà 0-2 au bout de 15 minutes de jeu dans leur stade ! Les fans de Táchira commençaient à quitter leur propre stade. Sur les 37.000 personnes présentes au début de la rencontre, il n’en restait qu’à peine la moitié à la fin du match pour voir notre équipe glaner le titre en l’emportant 1-4. Un souvenir inoubliable.

JQ : Sans aucun doute, la finale aller de 2008. Alors que notre équipe est menée 1-0 sur le terrain de Caracas, c’est Javier Villafraz une des idoles du club qui d’un magnifique coup-franc, égalise. Il est venu le fêter en pleurant devant nous qui étions plus de 3.000 fans ce jour-là. C’était de la folie, et dire que ce but nous donne le titre vu que la semaine d’après nous avons fait 0-0 à la maison…  Ce déplacement était exceptionnel quand j’y repense, nous avions voyagé plus de douze heures pour rallier San Cristobal à la capitale, plus de 60 bus avaient été affrétés, certains ont pris l’avion, d’autres leurs voitures. Ça valait le coup, vraiment.

 

Propos recueillis par Bastien Poupat pour Lucarne-Opposée