C’est un nouveau chapitre de l’histoire du football asiatique qui va s’écrire en fin de semaine. Pour la première fois de son histoire, la Palestine accède à une compétition internationale de premier ordre. Entre racines britanniques et liens sud-américains, découverte d’un football qui cherche à se montrer.

Ashraf Nu’man Al Fawaghra. Ce nom ne vous dit probablement rien mais au mois de mai 2014, le milieu offensif d’Al-Faisaly, entraîné par l’ancien toulousain Stéphane Demol qu’il a rejoint courant 2014, est pourtant entré dans l’histoire du football en inscrivant l’unique but de la finale de l’AFC Challenge Cup d’un magnifique coup-franc.

Ce coup-franc offrait le titre à l’équipe nationale de Palestine qui décrochait ainsi sa première participation à la grande Coupe d’Asie des Nations qui débute cette semaine. Et donne au football l’occasion d’offrir une véritable vitrine internationale à la Palestine.

Une longue tradition de football

Le football arrive sur le territoire palestinien avec le mandat britannique dans les années 20, faisant de la Palestine l’un des pionniers en matière de pratique du football au Moyen-Orient. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la sélection de Palestine Mandataire, première nation asiatique présente à une Coupe du Monde en 1934, devient celle d’Israël, laissant alors un vide pour la Palestine arabe que la guerre de 1948-1949 viendra amplifier. Il faudra alors attendre près de 15 ans pour que la Fédération de Palestine de Football voit le jour, créée en exil en 1962, avant qu’elle intègre l’Union des Associations de football arabe créée en 1974. Elle ne sera pourtant pas reconnue par la FIFA avant la fin du XXe siècle, après en 1993 que l’autorité palestinienne voit le jour suite aux accords de Washington. Quelques semaines plus tard, alors que l’équipe de France allait affronter Israël dans un match resté depuis comme l’un des traumatismes d’une époque pour les supporters des bleus, une sélection de footballeurs palestiniens affrontait une autre équipe de France, le Variété Club de France de Michel Platini, à Jericho. En 1998, la Fédération Palestinienne de football est enfin reconnue par la FIFA, intégrant de fait la confédération asiatique (AFC), la sélection nationale dispute ses premières compétitions à l’orée du XXIe siècle et va s’appuyer sur les héritiers de la diaspora pour franchir rapidement de nouveaux paliers.

Le lien sudamericain

Au début du siècle dernier, de nombreux immigrants venant des pays arabes ont débarqué au Chili, la guerre de 1948 ne fera qu’amplifier le mouvement et leurs descendants seraient aujourd’hui environ 400 000. L’une des conséquences de cette immigration fut la création en 1920 d’un club particulier : Palestino (dont nous reparlerons plus en détails dans les prochains mois). Récent vainqueur d’un billet pour la prochaine Libertadores (voir Chili : Palestino retrouve la Libertadores), Palestino avait fait parlé de lui début 2014 avec son fameux maillot aux numéros 1 formés par le territoire palestinien d’avant la création d’Israël. Indépendamment de cette polémique, cette histoire vient rappeler le lien étroit entre le Chili et la Palestine, lien sur lequel la sélection va s’appuyer. En 2002, Nicola Hadwa Shahwan est nommé à la tête de la sélection. Né à Beit Jala, en territoires occupés, il avait rejoint le Chili avec ses parents alors qu’il n’avait qu’un an. Il entreprend alors une vaste campagne pour attirer vers la sélection plusieurs footballeurs sud-américains aux origines palestiniennes : Roberto Bishara, Francisco Alam, Roberto Kettlun ou encore l’argentin Pablo Abdala vont faire leurs débuts avec la sélection. La sélection progresse alors et les héritiers sud-américains restent présents. Au point qu’ils auraient pu / dû être quatre dans le groupe pour la Coupe d’Asie 2015. Malheureusement pour bien des supporters des Lions de Canaan, Javier Cohene (passé notamment par Paços et le Vitoria Setubal), Daniel Kabir Mustafa (passé par Belenenses) non retenus, Matías Jadue, jeune attaquant d’Antofagasta, non sélectionnable par faute de documents administratifs non remplis à temps, seul Alexis Norambuena, latéral chilien évoluant en Pologne, portera l’héritage des sud-américains en Australie.

De l’oppression à la liberté

« Nous sommes sous occupation. Voyager entre les différentes villes de Cisjordanie reste compliqué avec des retards à chaque checkpoint. Parfois, nous sommes obligés d’annuler nos entraînements car les joueurs ne peuvent nous rejoindre à temps » expliquait Ahmed Al-Hassan au Guardian. Dans ce paysage idyllique d’une sélection en quête de liberté, l’actualité vient régulièrement rappeler la froideur d’une réalité qui dépasse bien souvent le « simple » cas des visas non obtenus et qui empêchent ainsi plusieurs jours à défendre les couleurs de la sélection, freinant également le développement de celle-ci. En mars 2014, l’affaire Jawhar Nasser Jawhar - Adam Abd al-Raouf Halabiya ravive les tensions (voir sur Al Jazira)  En août dernier, Ahed Zaqout, l’une des légendes palestinienne meurt sous les bombardements à Gaza. Jibril al-Rajoub, président de la fédération palestinienne ne cesse de clamer à qui veut l’entendre à quel point la pratique du sport et du football en particulier est une mission quasi-impossible en territoire palestinien.

« Le football est un moyen de montrer au monde que nous sommes humains et que nous aspirons à la liberté » Abdallah Alfaraa

Mais le football palestinien résiste et désormais existe. Après la victoire en finale de l’AFC Challenge Cup, la sélection palestinienne se rend désormais en Australie pour disputer sa première compétition internationale majeure avec toujours cette sélection formée « de palestiniens venant des quatre coins de la Palestine historique et des représentants de sa diaspora » comme le résume parfaitement Bassil Mikdadi, auteur de l’excellent Football Palestine blog, dans un entretien donné au Guardian. « Le sport a le pouvoir de changer le monde, il a le pouvoir d’inspirer, d’unir les peuples comme rien d’autre ne peut le faire ». Dimanche, pour son match d’ouverture face au favori japonais,  la Palestine s’appuiera sur les mots de Mandela pour partir, via son football, à la recherche d’une liberté qu’elle attend depuis si longtemps.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.