Le 1er juin 1919, juste après la deuxième Copa America, qui a vu la victoire de l'hôte brésilien, le stade Laranjeiras de Rio accueille un drôle de match entre le Brésil et l'Argentine. Les brésiliens sont en effet vêtu du maillot jaune et noir de Peñarol, alors que les argentins sont vêtus du bleu ciel uni de l'Uruguay. Ce match est joué en hommage de Roberto Chery, gardien de l'Uruguay décédé la veille dans un hôpital de la ville. Voici son histoire.

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Roberto Chery naît le 16 février 1896, à Montevideo. A l'époque, la ville ne compte que 300 000 habitants, dont une bonne partie (30%) née à l'étranger. L'Uruguay est alors appelé la Suisse de l’Amérique latine, disposant déjà depuis 1877 d'un système éducatif gratuit, d'une économie développée et ouverte vers l'extérieur avec l'exportation de viande et de laine. Roberto grandit dans le quartier de Barrio Sur, exposé aux vents du Rio de La Plata. Enfant, il joue dans un petit club qui prend le nom d’Aniceto Camacho en hommage à une légende du Peñarol, et prend place dans ls buts où son agilité, son courage et sa vision du jeu en font un joueur qui attire l’admiration et le respect de ses coéquipiers. C’est sur ces potreros de Barrio Sur et dans les zones adjacentes que Roberto Catrufo le repère. L’homme qui a aussi découvert Gradín, Campolo, ou encore Bernizone, emmène Chery à Peñarol.

Il intègre alors l'équipe réserve de Peñarol. A 19 ans, il est sacré champion avec son équipe et obtient le poste titulaire de l'équipe première, une équipe qui comprend d'autres légendes uruguayennes, comme Isabelino Gradín ou encore José Piendibene (après avoir joué avec la réserve aux côtés de Gradín et Campolo). Il acquiert son surnom, el Poeta, car il aurait créé une poésie débutant par “Oh Peñarol, yo te saludo…” Roberto joue son premier clásico le 29 juin 1917, pour la Copa Albion. Peñarol gagne 2-1. Il est dit que, le but de Carlos Scarone sera le seul encaissé par Chery durant ses 9 clásicos. Mais l'histoire du football du début du XXème siècle est remplie de brumes et de vides, et il est difficile de l'affirmer. Au total, Chery jouera deux ans pour Peñarol et sera sacré champion en 1918.  Il reste dans les mémoires comme un gardien habile, bon sur sa ligne, ayant apporté de la sécurité à une défense qui en manquait les années précédentes.

Le drame de Rio

Suite à ses bonnes performances, il est appelé par Severino Catillo pour jouer la troisième Copa America, qui se déroule du 11 au 29 mai à Rio de Janeiro, au Brésil. L'Uruguay a gagné les deux premières éditions, en Argentine et à domicile et Chery retrouve de nombreux collègues de Peñarol comme Gradín, des joueurs du Nacional comme Hector Scarone, mais également Cayetano Saporiti, gardien de la Celeste depuis 1905. Ce dernier est un pilier des Montevideo Wanderers, avec lesquels il jouera toute sa carrière, cumulant plus de 340 matchs pour les Bohemios. Saporiti est le titulaire indiscutable, mais déjà sur le fin de sa carrière. Il joue le premier match tandis que Chery regarde depuis le banc l'Uruguay gagner 3-2 contre l'Argentine, le 17 mai. Malgré la victoire, Saporiti est décrit comme fébrile, il semblerait qu'il souffre du climat de Rio. Pour le deuxième match, face au Chili, Chery est donc titularisé dans les cages. C'est sa première cape, et, tragiquement, sa dernière.

Le 19 mai, dans cette compétition au système de « ligue » où chacun des quatre adversaires s'affronte, l'Uruguay affronte le Chili avec donc un changement de gardien. L'Uruguay est bien supérieur à son adversaire et domine rapidement 2 à 0 grâce à des buts de Ladislao Perez et Carlos Scarone. Roberto Chery est malgré tout contraint à de nombreuses parades. Sur l’une d’elles, il ressent la violence de l’impact et s’écroule. Les chroniques de l’époque décrivent la scène : « Les tribunes ont applaudi l’arrêt spectaculaire du portier uruguayen mais Chery ne pouvait se relever. Il a été évacué du terrain, un ombre planait sur lui. » Chery souffre d’une hernie inguinale au niveau du pubis, il est immédiatement hospitalisé. L'opération, qui serait bénigne de nos jours, tourne mal et, deux semaines après le match du Chili, au lendemain de la finale ayant vu le Brésil battre l'Uruguay, Roberto Chery décède des suites des complications, à l’âge de 23 ans.

Copa Roberto Chery

Rapidement, les organisateurs de la Copa America souhaitent organiser une coupe caritative à destination de la famille de la victime, le football étant encore un sport amateur. Devant l'impossibilité pour l'Uruguay de jouer ce match, c'est l'Argentine que va affronter le Brésil. Le 1er juin, s'affronte donc dans ce stade Laranjeiras, qui a accueilli tous les matchs de la Copa America, l'Argentine et le Brésil. Les uruguayens n'ont malheureusement pas eu le courage de jouer, et, pour les remplacer, l'Argentine joue en arborant la couleur bleu ciel de l'Uruguay. Le Brésil, en hommage au joueur, joue en jaune et noir, les couleurs de son club de Peñarol. Le score final sera de 3 à 3, la Coupe est offerte au club. Elle reste toujours visible aujourd'hui au musée Peñarol.

Le plus beau résumé de la courte vie de Roberto Chery est l’œuvre de Margariños Pittaluga dans “El fútbol heroico” : « El Poeta, dont la seule poésie était sa vie exemplaire, pleine d'ingéniosité et de simplicité, existait pour le football et a été tué par le football. Il était un de ces êtres qui viennent en ce monde avec un destin prédéfini. Quand est venu le temps pour lui de se placer entre les poteaux des buts, quand il voyait dix maillots jaunes et noirs, Chery était heureux. Il voulait vivre pour Peñarol et son vœu a été exaucé. »

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba