Encore toute jeune, la nouvelle Copa América continue de voyager aux quatre coins du continent. Pour sa deuxième année sous son nouveau format, elle marque l’avènement d’une génération paraguayenne qui règne sans partage sur les compétitions sud-américaines.

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Olimpia montre la voie

A la fin des années 70, le Paraguay n’est pas encore considéré comme un pays majeur sur le continent, ne serait-ce par l’absence de résultats. Si la sélection est parvenue à décrocher un Campeonato Sudamericano au début des années 50, les clubs guaraníes sont totalement absents du palmarès continental, la Libertadores qui approche de ses 20 ans d’existence étant largement dominée par Argentins (12 titres), Uruguayens (4 titres) et Brésiliens (3 titres).

En 1978, Osvaldo Domínguez Dibb prend la présidence du club d’Olimpia et décide d’attirer sur le banc de touche du Decano, Luis Cubilla. Ancien joueur de Peñarol, el Negro avait été du groupe Carbonero qui avait battu Olimpia lors de la première finale de la Libertadores 19 ans plus tôt et, après une carrière qui l’avait conduit du FC Barcelone au Defensor en passant par River Plate et par le Nacional (avec qui il remportait une troisième Libertadores), l’ancien attaquant débutait ainsi sa carrière d’entraîneur. Au moment de sa présentation au groupe, pour son premier entraînement, il annonce alors à ses joueurs que l’objectif est d’aller chercher la Libertadores. Après une préparation en Uruguay, le Decano va donc se lancer à l’assaut d’une compétition au cours de laquelle il court depuis 19 ans et sa première finale en s’appuyant sur un groupe champion national en 1978 et depuis peu modifié.

Le premier tour lui offre un compatriote, Sol de América et deux boliviens, Bolívar et Jorge Wilstermann. Si Olimpia tombe face à Bolívar lors de la troisième journée du groupe, le Decano survole cette première phase en remportant les cinq autres matchs. C’est donc suffisant pour accéder au deuxième tour, une nouvelle phase de groupe que le champion paraguayen partage avec le champion brésilien Guarani et le champion chilien, le Palestino de la légende Elías Figueroa. Là encore, le Decano s’en sort sans dommages, termine invaincu et se retrouve en finale, une première depuis 19 ans, les paroles de Cubilla à son arrivée prennent une dimension prophétique, les joueurs sont alors persuadés qu’ils vont décrocher leur rêve continental. Reste que l’adversaire n’est autre que Boca Juniors, le grand Boca double tenant du titre.

Le 22 juillet, à Asunción un but d’Osvaldo Aquino et un autre de l’uruguayen Miguel Ángel Piazza permettent au champion du Paraguay de prendre une avance de deux buts qui finalement n’affole pas véritablement des Xeneizes sûrs de leur fait. Mais au retour, Boca va buter sur un Ever Almeida infranchissable, terminer à neuf, Rubén Suñé et el Chino Benítez voyant rouge. Olimpia décroche alors la première Libertadores de l’histoire du Paraguay, le complexe paraguayen est désormais oublié, ce dépucelage continental va rejaillir sur la sélection.

Maracanazo sauce paraguayenne

A peine le temps de digérer l’exploit, plusieurs joueurs du club se tournent vers un autre défi de taille, la Copa América. Revenue à la vie 4 ans plus tôt et se voyant désormais imposé ce rythme d’une édition tous les quatre ans, l’édition 1979 débute à la fin du mois d’août pour une Albirroja placée dans le groupe de l’Equateur et de l’Uruguay et qui s’appuie ainsi sur une colonne vertébrale entièrement Decano : Alicio Solalinde, Hugo Talavera, Roberto Paredes, Evaristo Isasi et Carlos Kiese. A leurs côtés, le gardien Roberto Gato Fernández, Juan Bautista Torales, le buteur Eugenio Morel, ancien du Racing et la jeune promesse locale Julio César Romero, 19 ans. Lors de ce premier tour, le Paraguay réussit à s’imposer à Quito, en altitude, succès essentiel qui lui permettra d’affronter l’Uruguay en pouvant se contenter de matchs nuls. Avec leur style propre, fait de lutte et de physique, les Guaraníes accrochent à deux reprises la Celeste, une fois sans aucun joueur d’Olimpia, et décrochent ainsi une place en demi-finale qui va les opposer à un géant, le Brésil.

Sous la houlette de Claudio Coutinho, la Seleção n’est plus celle qui a fait rêver des générations par son joga bonito. Dans la ligne directrice de la junte militaire, Coutinho n’est pas un footballeur, il est un soldat. Chantre de la culture physique et du culte de l’organisation passant au-dessus de l’individu, Coutinho préfigure le Brésil actuel capable de s’appuyer sur des joueurs géniaux, à l’époque le duo Sócrates – Falcão et se montre d’une redoutable efficacité, l’Argentine du jeune Maradona en payant le prix fort en phase de groupe. A l’aller, le joga bonito a changé de camp, à l’image de l’ouverture du score d’Eugenio Morel, un retourné acrobatique qui crucifie Leão. Le Paraguay s’impose 2-1 et se prépare à remplacer le jeu par sa garra, défendre ou mourir, au Maracanã. Une semaine plus tard, le Brésil accule l’Albirroja, prend deux fois l’avantage, par ses deux stars Falcão et Sócrates mais ne peut rien face aux contres Guaraníes dont le dernier conclu par le gamin Romero, la sensation est immense, le Paraguay vient d’éteindre le Maracanã et décroche sa première finale depuis celle perdue 16 ans plus tôt en Bolivie.

Alors que la préparation est minée par des conflits en interne, notamment des histoires de négociation de primes, la réception du Chili du duo de légendes Figueroa – Caszely tourne à la démonstration au Defensores, le duo Milcíades Morel – Julio César Romero, essentiel au Maracanã, rééditant sa performance, Romero s’offrant un doublé pour une victoire 3-0. Au retour à Santiago, le Chili prend sa revanche et s’impose sur un but de Rivas. Le règlement de l’époque ne tient alors pas compte des scores : chacun ayant remporté une manche, il faut un dernier match pour décider du vainqueur de la Copa América 1979.

Le match a lieu le 11 décembre 1979 à Buenos Aires, dans un Estadio José Amalfitani peu garni. Le nul suffit au Paraguay pour décrocher un titre qui le fuit depuis 26 ans. Défendre ou mourir, la devise Guaraníe prend toute sa dimension. Les Rojas et autres Caszely vont passer 120 minutes à buter sur un Gato Fernández infranchissable. Défendre ou mourir. Le Paraguay tient le 0-0, Romero passe deux fois à un rien d’ouvrir le score en contre, qu’importe, l’Albirroja décroche son deuxième titre, la première Copa América en tant que telle. Les héros de Buenos Aires ne le savent pas encore, il faudra attendre 32 ans pour que leurs descendants retrouvent une finale, leurs héritiers se faisant encore attendre au palmarès continental.

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.