C’est l’histoire d'une série de matchs qui va changer à tout jamais l’histoire du football moderne. Coupe du Monde 1966, les géants sud-américains se rendent chez les inventeurs du football. De cette rencontre entre deux mondes nait une rivalité éternelle, une division définitive entre deux footballs.
1966, l’Angleterre accueille la huitième édition de la Coupe du Monde. Les inventeurs du football se voient ainsi donner l’occasion de redorer un blason déjà terni par l’incapacité de franchir les quarts de finale de l’épreuve et encore marqué par l'humiliation de la Coupe du Monde 1950 au Brésil. Pour cette édition européenne, ils sont quatre sud-américains à se présenter : le Chili, troisième de sa Coupe du Monde, le Brésil, double tenant du titre et son Roi Pelé, l’Argentine et l’Uruguay, les habitués.
Le Brésil, première victime
Si le Chili se retrouve dans un groupe hors de portée pour lui, la présence de l’Italie et de l’URSS ajoutée à la sensation de l’année, la Corée du Nord, faisant sortir la Roja dès le premier tour, le double champion en titre peut largement entrevoir une qualification. Malheureusement pour lui, une mauvaise préparation de l’épreuve contribue à une douloureuse élimination accentuée par des décisions arbitrales qui font alors planer quelques doutes déjà évoqués quelques semaines auparavant.
Avant le coup d’envoi de la huitième édition, chaque pays participant doit envoyer deux arbitres pour l’épreuve. La surprise est de taille lorsqu’on apprend que le Royaume-Uni, représenté sur le terrain par les seuls Anglais, comptera six arbitres : les Anglais Jim Finney, Ken Dagnall, George McCabe, le Nord-Irlandais John Adair, le Gallois Leo Callaghan et l’Ecossais Hugh Phillips. Trois mois avant la compétition, le journal argentin Clarin annonce déjà que tout est fait pour favoriser le pays hôte. Le premier à en faire les frais est le Brésil et Pelé. Objet de tous les coups en ouverture face à la Bulgarie, quittant ses coéquipiers blessés, le Roi de 58 et 62 n’est pas de la défaite face à la Hongrie, match arbitré par Ken Dagnall, et fait son retour pour subir les coups des Portugais lors du troisième match, George McCabe laissant alors faire. Sans son astre, le Brésil est donc éliminé dès le premier tour, Pelé déclare alors ne plus vouloir jouer la moindre Coupe du Monde, martyrisé par les défenses adverses avec lesquelles les arbitres semblent si complaisants.
C’est dans ce contexte particulier, surtout côté sud-américains, que le quart de finale du 23 juillet va se jouer. Sur le terrain, l’Angleterre affronte l’Argentine pendant qu’au même moment l’Uruguay doit jouer l’Allemagne. À quelques jours des deux matchs, Stanley Rous réussit un nouveau tour de force, il parvient à imposer de choisir les arbitres. Antonio Rattín, capitaine de l’Argentine, raconte que les arbitres argentins et uruguayens arrivèrent à Londres ensemble pour le tirage, découvrant sur place alors que l’heure qui leur avait été donnée pour celui-ci n’était pas bonne. Lorsqu’ils arrivent, le tirage a déjà été effectué. Alors que la FIFA avait stipulé qu’à partir des quarts les arbitres ne pourraient pas être issus de nations encore qualifiées, son président parvient à passer outre et nomme l’Allemand Rudolf Kreitlein pour Angleterre – Argentine et l’Anglais James Finney pour Allemagne – Uruguay. Leo Hom, arbitre hollandais, déclare alors quelques temps plus tard : « La FIFA est contrôlée par trois personnes : Sir – Stanley – Rous. » Un mauvais pressentiment monte chez les Sud-américains. Les Argentins se voient refuser leur entraînement de la veille à Wembley, qui leur servait à reconnaître le terrain au motif qu’une course de lévrier doit s’y tenir. Le jour J, les deux voisins du Rio de La Plata voient leurs pressentiments se vérifier.
Angleterre - Argentine : la graine
Wembley, 35e minute. Le match est déjà quelque peu tendu, mais la tension monte d’un cran après une faute de Perfumo sur Roger Hunt. Antonio Rattín ne parle ni allemand, ni anglais. Rudolf Kreitlein ne comprend pas un mot d’espagnol. Alors que le capitaine argentin demande à l’arbitre de trouver un interprète pour calmer le match, celui-ci décide d’arrêter le jeu pour l’exclure. Il aurait été insulté. Incompréhension totale. Le capitaine albiceleste refuse alors de sortir, pendant huit minutes, le match est arrêté. Les images font le tour du monde, Rattín est escorté hors du terrain, prend le drapeau britannique du poteau de corner et insulte le public qui l’insulte en retour. Le match a changé de dimension, est sorti du simple cadre du football. L’Argentine résistera malgré tout, à dix contre onze pendant près d’une heure (rappelons que les remplacements ne sont pas permis à l’époque), avant de tomber sur une tête décroisée de Hurst, le héros controversé de la finale de Wembley quelques jours plus tard. La fin de match grimpe en intensité. Les Argentins sont furieux, demandent des explications à un arbitre qui pour eux a volé le match. Pendant ce temps, Alf Ramsey, le sélectionneur anglais entre sur le terrain pour empêcher ses joueurs d’échanger leur maillot avec les « animaux » argentins. Ces propos sont ainsi rapportés en Argentine, sans pour autant qu’il n’y ait aucune certitude quant à leur réalité (dans sa biographie, Jimmy Greaves écrit qu’il n’a jamais entendu son sélectionneur tenir de tels propos sur le terrain). Dans sa chronique du match, el Grafico revient sur le terme « animaux » rappellent chiffres à l’appui que la notion de dureté des Argentins est usurpée, l’Angleterre ayant commis près de deux fois plus de fautes dans ce match (trente-trois contre dix-neuf pour l’Albiceleste). Qu’importe. Angleterre et Argentine sont irréconciliables, ces évènements contribuent à planter la graine d’une rivalité naissante qui sera plus tard alimentée par les évènements géopolitiques et qui atteindra son apogée footballistique vingt ans plus tard lorsque Maradona viendra « venger » l'Argentine.
Allemagne – Uruguay : l’autre vol
Pendant ce temps, à Hillsborough, l’Uruguay affronte l’Allemagne sous les ordres de l'Anglais Jim Finney. La Celeste domine le début de match, Silva touche le poteau sur un tir longue distance et semble contrôler. Mais les décisions de Jim Finney changent tout. À commencer par cette énorme main de Schnellinger sur sa ligne pour sortir une tête de Rocha qui devait offrir un avantage logique aux hommes d’Ondino Viera. Jim Finney, pourtant bien placé, ne bouge pas. Quatre minutes plus tard, une frappe déviée de Haller donne l’avantage aux Allemands. Malgré la frustration naissante côté Celeste, le match reste équilibré. Puis les décisions arbitrales commencent à faire sortir les hommes de Viera d’un match qu’ils semblaient alors pourtant contrôler, l’Uruguay ayant mérité de basculer en tête à la pause. En début de seconde période, Troche et Emmerich se cherchent, l’Allemand frappe l’Uruguayen qui répond, seul Troche est exclu. C’en est trop, les Celestes dégoupillent à l’image de Silva, exclu pour une agression sur Haller. Les « off, off » criés par les tribunes d’Hillsborough ne viennent que renforcer ce sentiment anti sud-américain. Les amateurs de théorie du complot sont servis. Jorge Manicera résumera ce match, un brin philosophe par « dès le départ tout était contre nous. » Alors l’Allemagne déroule, Beckenbauer, Haller et Seeler enfoncent le clou, les neuf Uruguayens s’inclinent 4-0, laissant définitivement la Coupe du Monde 1966 entre les mains des Européens.
Le vol pour la couronne
De la polémique Pelé au double scandale argentin et uruguayen, la Coupe du Monde 1966 marque à jamais l’histoire du football. En Amérique du Sud, cette édition reste celle du « robo para la Corona », le vol pour la couronne. De ces sentiments partagés par tout un continent nait une rivalité exacerbée que les futures rencontres de Coupe Intercontinentale entre les meilleurs clubs des deux confédérations finissent par ancrer. Quelques mois après la Coupe du Monde, la victoire du Racing sur le Celtic, disputé dans un Centenario hostile aux Écossais et dans des conditions délétères sur le terrain (lire Quand le Racing apporte le football total en Argentine) confirme cette nouvelle tendance. L’année suivante, Estudiantes croise le Manchester United de Bobby Charlton et de Nobby Stiles, deux des héros anglais de la Coupe du Monde. Stiles est décrit la veille du match comme un « assassin, » réplique aux « animaux » de Wembley. Il est l’objet de tous les coups bas en Argentine (au sens propre comme au figuré), les joueurs pinchas ayant décidé de régler les comptes avec le passé récent. Bobby Charlton, martyrisé par Carlos Bilardo, déclare en fin de rencontre que « garder le ballon revenait à mettre sa vie en danger. » Estudiantes s’impose à l’aller, va ensuite aller chercher un nul synonyme de victoire à Old Trafford sous les huées et les projectiles de la foule. Déjà rivaux, les deux continents sont désormais irréconciliables. L’Intercontinentale n’en finit plus de virer à la farce, parfois tragique, vacille à la fin des années soixante-dix avant de trouver son salut en migrant en Asie. Depuis ces deux matchs du 23 juillet 1966, les deux footballs ne se parlent plus, voire ne se comprennent plus.
Article initiallement publié le 23/07/2016, dernière mise à jour le 23/07/2022. Photo une : Keystone/Getty Images