Ce jour d’avril 2001, l’Australie accueille les Samoa américaines dans le petit International Sports Stadium de Coffs Harbour pour sa deuxième sortie en phase de qualification de la Coupe du Monde 2002. Ce dont on ne se doute pas encore, c’est que les Socceroos vont non seulement établir un record, ils vont surtout radicalement changer le visage de la confédération d’Océanie.

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Pour la Coupe du Monde 1966, la phase de qualification change. En décidant de fusionner Afrique, Asie et Océanie, la FIFA se met à dos l’ensemble des pays de la zone africaine qui décident de déclarer forfait. Il ne reste alors plus qu’Asiatiques et Océaniens pour se disputer un ticket pour la Coupe du Monde. L’Afrique du Sud disqualifiée, la Corée du Sud déclarant forfait pour des raisons logistiques, la place se joue alors entre la Corée du Nord et l’Australie. C’est alors la première tentative d’une équipe représentant l’Océanie d’accéder à la Coupe du Monde. Si l’échec est cuisant (1-6 et 1-3 face à des Nord-Coréens sous-estimés), la graine est plantée. L’Océanie entre donc alors en qualification et croise le fer avec les Asiatiques. Quatre ans plus tard, Israël élimine l’Australie aux portes du Mexique après que les Océaniens ont sorti Corée du Sud et Japon. Il faut alors attendre 1974 pour voir un représentant de l’OFC disputer une première phase finale de Coupe du Monde, là encore, ce représentant est l’Australie. La Nouvelle-Zélande emboite le pas en 1982, toujours en passant par la zone Asie, avant que l’OFC ait droit à ses propres qualifications qui découlent sur un barrage. Reste qu’en 2001, cela fait donc près de vingt ans que la confédération n’a plus droit aux lumières d’une phase finale de Coupe du Monde alors que sa campagne de qualification débute. Placée dans le groupe 1, l’Australie doit alors batailler avec les Tonga, les Fidji et les Samoa américaines, chaque équipe s’affronte une fois, le vainqueur du groupe se qualifie pour la finale pour ensuite accéder au barrage intercontinental.

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31 ou 32 ?

Ce 11 avril 2001, l’Australie se présente au modeste International Sports Stadium et ses mille places assises (20 000 au total) pour y affronter les Samoa américaines. Deux-cent-troisième et dernière nation au classement FIFA, les Samoa américaines découvrent alors la compétition. Balayés 13-0 par les Fidji en ouverture puis 8-0 chez eux par les Samoa, les hommes de Tony Langkilde et Tunoa Lui ne partent pas favoris pour leur troisième match en quatre jours face à l’ogre australien. Les Socceroos de Frank Farina n’ont qu’un match dans les pattes, une victoire 22-0 face aux Tonga deux jours plus tôt.

Et il n’y a clairement pas de match. L’Australie a laissé au repos ses stars Kewell, Viduka et Aloisi mais elle ne met que dix minutes avant d’enclencher. Boutisanis ouvre le score sur corner, la machine est lancée. Archie Thompson à la douzième, Zdrillic dans la minute suivante, Vidmar dans la foulée, Popovic aux dix-septième et dix-neuvième minutes, on joue alors depuis vingt minutes, le score est de 6-0. L’Australie ne s’arrête pas. 9-0 à la vingt-cinquième, 16-0 à la pause, Archie Thompson inscrit six des sept buts suivants. La messe est loin d’être dite. Dès le retour des vestiaires, Boutsianis, encore lui, joue le rôle du détonateur en rajoutant un but. L’affaire reprend. Thompson ajoute cinq buts à son total, Zdrillic quatre, ils terminent respectivement avec treize buts, égalant le record du monde de John Petrie établi en 1885 lors d’un 36-0 de Coupe d’Ecosse, et huit buts. À la 86e minute, Pati Feagiai décoche la seule frappe du match pour les Samoa américaines. Le match se termine sur un score aussi flou que fou, 32-0 ramené ensuite à 31, les statistiques officielles enlevant donc un but, à Archie Thompson (qui aurait donc pu porter son total à quatorze). Le score est fleuve, il fait le tour du monde, alimente les bêtisiers foot. Ce match aura pourtant bien plus de conséquences que de simplement amuser la galerie. Ce 11 avril 2001 va définitivement changer l’OFC.

La fin de l’Australie océanienne

À la fin du match, par le biais de son sélectionneur Frank Farina mais aussi de son recordman de buteur Archie Thompson, l’Australie pointe l’incongruité d’un tel résultat et les dommages considérable que cela va créer en termes de crédibilité pour une zone de laquelle l’Australie se bat pour sortir. L’attaquant des ‘Roos déclare alors : « Battre le record du monde est un rêve qui se réalise, mais il faut aussi regarder les équipes que nous affrontons et se poser des questions. Nous n’avons pas besoin de jouer ce genre de matchs, c’est une perte de temps ». L’OFC organise alors un premier tour éliminatoire dès les qualifications 2006, mais ce match sert surtout un autre prétexte pour l’Australie : quitter la zone.

L’histoire n’est pas nouvelle. En août 1960, l’Australie se porte déjà candidate pour rejoindre l’AFC (Asian Football Confederation). Dans les années soixante-dix, la fédération australienne poursuit alors son ambition, son obsession, rejoindre l’Asie jugée plus compétitive, n’hésitant par exemple pas à tenter quelques coups de poker (perdus alors) comme celui de 1972 où elle décide de se retirer de l’OFC. afc1960Ne parvenant alors pas à rejoindre l’Asie, elle revient dans le giron de l’OFC en 1978. L’occasion donnée par ce match est idéale, d’autant qu’elle fait suite à un 22-0. Qu’importe les circonstances. Car ce qu’il faut savoir, c’est que les Samoa américaines ont fait face aux plus grands des obstacles. Pour des raisons de passeport, la FIFA a exclu dix-neuf des vingt joueurs éligibles de l’équipe, ne laissant que le gardien, Nicky Salapu, seul ayant un passeport US, qualifié pour ce match. Tunoa Lui, le sélectionneur ne peut alors même pas se tourner vers les U20, la plupart étant en période d’examens à l’école et dans un pays composé d’îles volcaniques et ne comptant que 60 000 habitants, le réservoir n’est pas démesuré. Alors, le 11 avril 2001, les joueurs alignés sont des gamins, trois d’entre eux ont quinze ans comme le bien nommé Baby Mulipola, la moyenne d’âge de l’équipe est alors de dix-huit ans, certains n’ont jamais joué des matchs de quatre-ving-dix minutes ! La rumeur se propage, invérifiable comme bien des rumeurs, l’Australie aurait manigancé le tout pour s’assurer un écart tellement considérable au score qu’elle serait alors enfin écoutée dans ses désirs migratoires.

En 2003, alors que l’Australie est absente de la Coupe du Monde 2002, éliminée lors du barrage intercontinental par l’Uruguay, ce désir est un temps mis à mal par un rapport parlementaire, le rapport Crawford, qui ordonne une série de réforme après quelques scandales médiatiques pointant notamment des erreurs de management et une possible corruption au sein de l’ASA (Australian Soccer Association). La conséquence est grande : le football australien se réorganise. Adieu l’ASA, le mot Soccer (qui n’est aujourd’hui employé que par les détracteurs du sport roi) est remplacé par Football, la FFA (Football Federation of Australia) voit le jour le 1er janvier 2005. Elle organise un nouveau championnat, la A-League, attire de nouveau sponsors, bâtit de solides franchises. Le football local redevient crédible, il a perdu deux ans mais c’est pour son bien et surtout pour sa mission première, toujours la même rejoindre l’Asie. Deux mois plus tard, le 11 mars, la FFA annonce que l'Australie peut de nouveau quitter l’OFC pour rejoindre l’AFC. L’Océanie y voit alors officiellement un moyen d’offrir du rêve aux îles qui la composent, dans le fait, on ne lui a pas demandé son avis. Pire, deux semaines plus tard, la Nouvelle-Zélande, alors laissée à l’abandon, envisage d’en faire de même. Graham Seatter, le président de sa fédération qui déclare alors : « Je ne pense pas que l’Océanie sert nos intérêts. Il n’y a qu’une nation de meilleur rang que nous. Je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt du football qu’il y ait une confédération extrêmement faible. Actuellement, l’Océanie est très faible et ne peut même pas demander un spot à la Coupe du Monde. Si l’Australie s’en va, la confédération sera encore davantage affaiblie. » Le 29 juin, sans même qu’il y ait débat au congrès, la FIFA approuve la migration de l’Australie vers l’AFC. Les théoriciens du complot peuvent alors se rappeler que le détonateur a été un 31-0 face à des U18.

Depuis, l’Australie a remporté la Coupe d’Asie et disputé toutes les phases finales de Coupe du Monde. La Nouvelle-Zélande une, celle de 2010 après un barrage remporté face… à un membre de l’AFC. Pendant ce temps, les Samoa américaines n’ont cessé de progresser. Après les cinquante-sept buts reçus en campagne 2002, les Boys en encaissent trente-quatreen 2006, marquant au passage leur premier but de l’histoire, signé Natia Natia, puis vingt-huiten 2010 avant de décrocher leur premier succès en 2014 face aux Tonga et de passer à un but d’une qualification pour le second tour dans la campagne 2018, une campagne conclue sur deux victoires et une défaite. Le tout, dans l’indifférence générale dans laquelle l’OFC est désormais plongée.

 

Article initialement publié le 11 avril 2018, mis à jour le 11 avril 2021

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.