Le 14 octobre 1989, l'Envigado FC voyait le jour. Longtemps placé sous contrôle des narcos, il a su faire en partie oublier ce passé en se transformant en centre de formation de la sélection colombienne.

Si vous êtes amateurs de faits divers, Envigado est forcément un nom qui est venu imprimer un jour vos rétines. Situé sur la route de Rionegro à Medellín, souvent l’un des premiers paysages que vous découvrez lorsque vous atterrissez en Colombie pour vous rendre dans la deuxième plus grande ville du pays, Envigado est d’abord resté célèbre d’une part pour La Oficina de Envigado, le bras armé du plus grand trafiquant du pays, Pablo Escobar et aussi (surtout) pour sa prison/résidence de Don Pablo, la célèbre Catedral. C’est ici, en 1989 que Gustavo Upegui López, ami d’enfance du Patrón créé son club de foot, Envigado FC. Reprenant les couleurs de la municipalité, orange et vert, les Naranjas grimpent rapidement les échelons du pays et s’établit surtout comme la plus belle école de football colombienne.

Deux ans après sa fondation, Envigado est le premier club issu de la nouvelle Primera B à découvrir l’élite, étant sacré champion dès sa première saison dans l’antichambre de l’élite colombienne. Le premier cycle des Naranjas en Primera A dure quinze ans, faisant du club le promu le plus régulier de l’histoire du football colombien. Le club navigue cependant dans le ventre mou du championnat et ne parvient pas à se hisser dans le tour final avant le XXIe siècle. C’est lors de l’Apertura 2005 et les Naranjas au sein desquels évolue un certain Fredy Guarín, l’un des plus beaux produits de sa cantera, bousculent la hiérarchie. Quatrième de la phase régulière, Envigado accède aux cuandragulares et rate la finale pour un point, un nul concédé face à Once Caldas lors de la dernière journée. L’ascenseur émotionnel est en marche. Car la saison suivante, bon dernier du Finalización, le club est relégué. Il ne met pas longtemps à rebondir. Champion de nouveau de Primera B, Envigado retrouve presqu’immédiatement l’élite et n’en descendra plus. Deux fois quart de finaliste du tournoi colombien, les Naranjas découvrent une compétition continentale, la Copa Sudamericana. Après avoir sorti Unión Comercio, les Colombiens s’inclinent au deuxième tour de barrages face à Liverpool.

Narcos et héroes

Sur le papier, le club a tout de la success story sauce colombienne. Mais elle se pare de son voile d’ombre, celui des narcos que Martha Soto raconte avec talent dans son livre Los goles de la cocaína. Dès sa fondation, les liens avec la Oficina sont étroits, ils perdurent. Car faute de pouvoir compter sur un soutien populaire phagocyté par les deux géants de Medellín, le DIM et l’Atlético Nacional, Envigado se tourne vers la formation des jeunes talents. Avec un succès qui éclipserait presque tout le reste : James Rodríguez. Selon Martha Soto, James est recruté par Gustavo Urpegui en 2004 qui parvient à le subtiliser aux concurrents en s’engageant à lui financer son traitement hormonal et à transférer sa famille depuis Ibagué jusqu’à Envigado, leur facilitant la recherche d’emploi. Gustavo Upegui fait les frais d'un règlement de compte au sein de la Oficina de Envigado deux ans plus tard et est assassiné. Mais le club reste dans la famille, dirigé alors par le fils, Juan Pablo et, malgré les efforts de la nouvelle direction pour essayer d'assainir la gestion du club, il se retrouve dans le viseur de la DEA et, en novembre 2014, finit par être inscrit sur la liste Clinton qui interdit les relations commerciales avec des citoyens et des compagnies étatsuniennes et induit notamment un gel des actifs du club. Celui-ci est sauvé de la liquidation par le transfert de James entre Monaco et le Real Madrid la même année, les dirigeants puisant dans la contribution de solidarité alors touchée. Envigado attend 2018 et l’arrivée de nouveaux propriétaires pour sortir de cette liste, l’OFAC indiquant alors que « le gouvernement colombien et le club de football ont entrepris des efforts considérables pour rompre leurs liens de longue date avec l'influence criminelle de "La Oficina de Envigado" ».

cantera

Mais, il n’a jamais renié ce qui aujourd’hui fait sa force et sa légende : sa politique de formation. En 2013, Felipe Paniangua, son président, en donne la clé. Le club dispose d’un réservoir de 5 000 enfants de sept à douze ans dont la moitié dispute des championnats organisés par le club (l’autre moitié jouant dans des compétitions organisées par des clubs affiliés). Ces compétitions permettent à Envigado de suivre la progression de ces enfants qui, à douze ans, sont alors engagés dans des compétitions plus sélectives et intenses et directement conduites par les meilleurs coachs du club. La sélection débute réellement et mènera aux premiers contrats pros offerts aux jeunes de quinze-seize ans. Les résultats sont impressionnants. James Rodríguez en est évidemment le chef de file mais la liste donne le vertige : Fredy Guarín, Mauricio Molina, Giovanni Moreno, Dorlan Pabón, Víctor Cortés, Edigson Velasquez, Juan Fernando Quintero, Jonathan Estrada, Mateus Uribe, Andrés Tello, Frank Fabra, Duván Vergara, Cristian Arango, Yeison Guzmán, Jhon Córdoba. Tous sont sortis de cette école, la Cantera de Héroes comme elle aime à se faire appeler, dont les deux derniers joyaux se nomment Yaser Asprilla et Jhon Jáder Durán. Sur les vingt-huit footballeurs pré-convoqués par Néstor Lorenzo en vue de la Copa América 2024, six sont issus du club. Sur le papier, le petit club de la banlieue de Medellín n’a pas encore décroché le moindre titre dans l’élite du football colombien, dont il n’est plus redescendu depuis 2008. Il n’en reste pas moins que le club orange a définitivement transformé le football local, étant l’un des symboles de l’héritage laissé par les narcos.

 

Initialement publié le 18/10/2015, dernière mise à jour le 14/10/24

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.