En 1917, dans une ville portuaire uruguayenne où le football est arrivé depuis longtemps dans les valises des Anglais, un groupe de joueurs crée un nouveau club autour de la place des sports, places mises en place par l'état Uruguayen pour inciter la population à l'activité physique. Le Club Plaza de Deportes – Colonia était né, et il sera suivi de plus d'un siècle de gloire régionale puis nationale.

banutip

Colonia del Sacramento est l'une des plus anciennes villes fondées par les Européens en Uruguay puisqu'elle a été fondée par les Portugais fin janvier 1680. La ville dispose ainsi d'un centre-ville ancien, avec ses rues pavées atypiques dans un pays disposant d'assez peu de vieilles pierres. Colonia est avant tout un port, qui fait face à Buenos Aires, et qui a de tout temps vu défiler les bateaux remontants le Rio de La Plata. Il est donc tout naturel que le football s'y soit développé rapidement, le premier match de football remontant à l'année 1901, quand des Anglais descendaient de leur bateau pour se divertir. Un premier jeune homme, Lucas Ponce, vient les rejoindre quand il manque un joueur pour former deux onze. Rapidement, le football s'installe comme une coutume locale avec ses premières équipes. En 1916 est créée la première ligue de football locale, seize ans après celle de Montevideo. Elle est composée de trois équipes : Independiente FC, Oxford FC et Coloniense FCV. Mais rapidement deux joueurs d'Independiente font scission, Juan Lussona et Antonio Cucucovich, rejoints par de nombreux jeunes comme Julio Prandi, et ils souhaitent ensemble fonder un nouveau club. Dans leur quête, ils rencontrent l'aide d'un jeune étudiant de vingt ans, footballeur né à Colonia mais jouant à Montevideo au Nacional, Alberto Suppici. Ce dernier a en effet déjà fondé une équipe de boy-scouts « Aceite Castor » et se joint au projet de Juan Lussona. Le 22 avril 1917, au sein de l'Almacén del Puerto le Club Plaza De Deportes – Colonia est fondé par dix-huit joueurs. Le club a pour objectif le développement du beau sport, et choisi les couleurs de la Commission National d’Éducation Physique, le vert et le blanc. Le premier président est Juan Lussona, son secrétaire Julio Prandi.

Le club commence ses premiers matchs avec des amicaux contre les équipes de la ligue, avant de rejoindre cette dernière dès 1918 au sein d'un championnat comprenant aussi Independiente, Nacional de Colonia et Central Foot-ball Club. Alberto Suppici, pourtant parmi les fondateurs, suit tout cela à mi-temps, étant en charge de la Place des Sports de Colonia une partie de l'année tout en jouant l'autre partie de l'année au Nacional, ayant une carrière dans ce que l'on peut appeler le plus haut niveau uruguayen de 1915 à 1923. En 1918, Plaza est disqualifié pour ne pas avoir laissé ses joueurs rejoindre l'équipe de la ligue départementale. En 1919 puis 1920, Plaza est sacré champion devant Central, Independiente, Nacional et Defensor (il est courant que des équipes locales aient le nom d'autres clubs de Montevideo ou Buenos Aires, même si ceux-ci n'ont rien à voir entre eux). Cette ligue ne comprend que les équipes de la ville de Colonia, la ville ne comprenant alors que quelques milliers de personnes. Mais déjà, malgré les difficultés de l'époque, l'équipe commence à voyager un petit peu, à Real San Carlos par exemple, juste à côté, puis à Nueva Helvecia, à soixante kilomètres à l'est, pour jouer des coupes amicales. Il faut rappeler qu'à l'époque, le voyage Colonia - Montevideo durait quatorze heures en train, pour deux cents kilomètres. Le football uruguayen de l'intérieur est petit à petit en train de se former, de s'organiser, loin de Montevideo. Dans l'intérieur, il y a tout d'abord une ligue par ville, avec quatre ou cinq clubs, puis des matchs amicaux avec une sélection de la ville, avant que ne soit créé quelques années plus tard les ligues départementales.

suppiciAlberto Suppici

En attendant, sur la fameuse place des sports duquel le club tire son nom, un homme est revenu à Colonia à partir de 1924, Alberto Suppici. Il a vingt-six ans, et après huit années à Nacional et à l'université à Montevideo, il est revenu au sein de sa ville natale en tant que professeur. Suppici prend également en main ce qui est appelé alors le football des mineurs, sorte de formation au football avant l'heure. Suppici crée une petite ligue de football pour les plus jeunes, six contre six, avec des buts formés de ce qu'il trouve, allant des arbres aux éléments de saut en hauteur (l'athlétisme étant alors très à la mode). Les jeunes écoutent ces mots de l'entraîneur « Bats toi pour ton équipe mais sois un homme » ou encore « L'essentiel n'est pas de gagner mais la façon de gagner ». Il développe leur physique et leur sens tactique, avant éventuellement de les laisser jouer avec les grands. Son équipe se nomme Plaza Juniors et de nombreux parents viennent admirer le travailler fait par le jeune professeur, diplômé à Montevideo. Il faut dire que le métier d'entraîneur n'existe pas vraiment à l'époque. Le capitaine est nommé par le bureau de l'association, et le capitaine met en place l'équipe sur le terrain. Il n'y a pas de remplacement en cours de match. En 1924, l'Uruguay s'en va à Paris jouer les Jeux Olympiques avec une seule personne d'encadrement technique, Ernesto Fígoli, qui a beaucoup moins de responsabilité que le Capitaine, le Maréchal José Nasazzi. En 1928, l'entraîneur de l'équipe championne du monde est Primo Giannotti, qui était en fait préparateur physique de l'équipe. Durant les années vingt, Alberto Suppici change le paradigme dans sa petite ville et permet à son club, Plaza, de grandement se développer, terminant champion quatre années de suite de 1924 à 1927. Ce temps d'apprentissage va grandement servir à Suppici qui est ensuite nommé à la tête de la sélection en 1929, à seulement trente et un ans, et à un an de la Coupe du Monde 1930. En 1929, il mène la Celeste lors du Sudamericano en Argentine et n'obtient que la troisième place, derrière l'Argentine et surtout le Paraguay. L'Uruguay est battu trois à zéro par le Paraguay le 1er novembre 1929, pour le premier match officiel de Suppici sur le banc. Avant la Coupe du Monde, l'année suivante, Suppici voit que l'équipe déjà deux fois championne du monde a besoin d'être reprise en main. Il prend des décisions polémiques, comme l'expulsion d'Andrés Mazali, gardien à Paris et Amsterdam, exclu pour avoir reçu la compagnie d'une demoiselle à l'hôtel. Il bannit également la cigarette, sous peine d'exclusion du groupe. Même les joueurs le critiquent, mais l'entraîneur de Colonia est sûr de ce qu'il fait. Le 30 juillet 1930, à seulement trente-et-un ans, Alberto Suppici devient champion du monde, restant à ce jour le plus jeune entraîneur à avoir obtenu le titre suprême. José Naszzi dira « nous avons eu un homme extraordinaire avec nous, qui a tout donné et qui a tout préparé consciencieusement, de façon très savante. Cet homme est Alberto Suppici, et c'est le meilleur « coach » qui m'a préparé de ma vie ». Il reste comme un grand stratège, il fera débuter Obdulio Varela à Wanderers en 1938, avant de rejoindre Peñarol en 1941. Obdulio Varela dira en 1970 : « je connais peu les entraîneurs d'aujourd'hui, mais ils me semblent être des charlatans. Ce serait injuste que je ne mentionne pas ici Alberto Suppici, qui était un extraordinaire entraîneur. Il parlait peu, mais toujours pour dire quelque chose d'important. Il ne m'a pas appris à jouer, mais il m'a beaucoup aidé, moi et mes collègues ». Alberto Suppici décède le vingt juin 1981, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Colonia restera comme le pays du premier entraîneur champion du monde.

La graine plantée

Pendant soixante-ans, Plaza Colonia continue de développer son football au sein de la ligue de Colonia. À mesure que les progrès techniques s'étendent l'horizon des clubs de l'intérieur s'étend aussi puisqu'est créé en 1946 une ligue du football de l'intérieur, l'OFI, regroupant tous les clubs de l'intérieur. L'OFI organise des compétitions de sélections régionales, la Coupe Nationale des Sélections, qui existe depuis 1951, mais aussi la Coupe Nationale des Clubs, depuis 1965. Plaza Colonia n'y fait que de la figuration, un autre club ayant pris le devant de la scène du football régional, le Club Atlético Juventud. Ce dernier détient le record du nombre de titres en ligue de Colonia avec 32 titres, devant Plaza et ses 24 titres acquis avant 2000. Il ne faut malgré tout pas minimiser la gloire que représente chacun de ces titres, le football local étant très suivi en Uruguay, malgré son statut amateur. À la fin des années quatre-vingt-dix, la fédération uruguayenne de football (à laquelle ni Plaza Colonia, ni aucun des clubs de l'OFI ne sont affiliés) souhaite structurer le championnat national sur tout le territoire et non plus seulement sur Montevideo. À ce titre, ils lancent un appel aux ligues départementales de l'OFI pour se regrouper autour d'un club qui représenterait le département au sein de l'AUF, à un niveau professionnel. Plusieurs clubs naissent ainsi comme Cerro Largo FC ou Tacuarembó FC. À Colonia, Plaza Colonia rejoint Nueva Helvecia et cherche également à faire venir le CA Juventud pour créer un grand club professionnel représentant Colonia mais Juventud refuse et c'est donc Plaza Colonia qui dépose son dossier directement pour s'inscrire auprès de l'AUF en deuxième division professionnelle. Cela déclenche également la désaffiliation de la ligue de Colonia de Plaza Colonia, après quatre-vingt-trois ans passés en son sein. Pour la saison 2000, Plaza Colonia est pour la première fois un club professionnel affilié à l'AUF. Les choses se passent plutôt bien puisque le club monte en première division à la fin de la saison 2001, et arrive donc en 2002 au plus haut niveau du football uruguayen. Diego Aguirre y fait ses armes en tant qu'entraîneur, entraînant un effectif de très bon calibre avec un certain Diego Alfredo Lugano en défense, ou Mariano Bogliacino au milieu de terrain. L'équipe termine à une très belle cinquième place au classement général mais est pour la première fois confrontée à l'un des grands problèmes du professionnalisme : ayant montré leur talent, les joueurs s'en vont. L'équipe souffre grandement en 2003, ne se maintenant que grâce à un système de relégation protégeant les équipes de l'intérieur (une seule peut descendre et ce sera cette année-là Juventud de las Piedras). L'équipe finit par descendre en 2005 et ne participe pas aux saisons 2006 et 2007 à cause de difficultés financières. L'équipe est relancée petit à petit en deuxième division et il faudra attendre la saison 2014-2015 pour que l'équipe gagne à nouveau le droit de participer à l'élite.

Le Leicester Uruguayen

L'Apertura de 2015 est dur côté Colonia, l'équipe doit lutter pour sa survie et donc emmagasiner des points. L'équipe d'Eduardo Espinel met du temps à se mettre en route et l'on craint longtemps le pire pour ce promu de l'intérieur. L'équipe termine sur deux matchs nuls, dont un très prometteur au Centenario contre Peñarol, qui sera la base de la suite. Car après la pause des fêtes, Colonia revient en pleine forme et est inarrêtable durant le Clausura. Plaza commence par battre Nacional au stade Alberto Suppici deux buts à rien, avec un très grand Nicolas Dibble. L'exploit est en marche, avec une équipe très jeune, de joueurs locaux, formés au club, comme Facundo Waller, Nicolas Milesi ou ce même Dibble. Quelques journées plus tard, Plaza Colonia peut déjà jouer le titre à une journée de la fin si le club arrive à battre Peñarol au Campeón del Siglo. C'est chose faite après un match plein de maîtrise de l'équipe d'Espinel sur le Peñarol de Forlán et autre Valverde. Plaza Colonia prend un surnom, l'équipe devient le Leicester uruguayen. Peu importe que l'équipe perde la finale du championnat annuel deux semaines après, l'équipe est entrée dans l'histoire à nouveau en devenant la première équipe de l'intérieur de l'Uruguay à remporter une coupe de l'AUF.

L'année suivante, et comme en 2003, tous les joueurs s'en vont, entre Milesi qui s'en va dans le Golfe persique, Carlos Rodríguez qui s'en va du côté d'Olimpo ou Germán Rivero qui disparaît en Argentine (rassurez-vous, il sera retrouvé, il joue désormais en deuxième division argentine après un passage en Grèce). L'équipe tombe rapidement, et après deux mauvais tournois, redescend en deuxième division à la fin 2017. Heureusement, le président Carlos Manta a été plus prévoyant que dix ans plus tôt et l'équipe remonte immédiatement fin 2018. Plaza réussi une saison 2019 bigarrée, entre un très mauvais Apertura (avec les signatures de Jorge Fucile ou Luis Aguiar qui quittent le club après seulement quelques journées) et un très bon Clausura à l’issue duquel l'équipe termine quatrième, grâce notamment aux retours de Facundo Waller et Matías Caseras, ainsi qu'à l'attaquant panaméen Cecilio Waterman.

Du Suppici à l'Amérique du Sud

L'équipe joue dans deux stades, préférant son petit stade Prandi, magnifique petit stade de campagne au plus grand campus départemental, l'Alberto Suppici. Il faut dire que le Suppici est un stade multisport, répondant à la volonté de Suppici, et qu'il n'est pas idéal pour regarder un match de football. C'est malgré tout ce stade qui est choisi pour les gros chocs contre Peñarol ou Nacional, pouvant accueillir beaucoup plus de publiques dans des conditions sécurisées. Le campus Suppici a aussi servi à accueillir les deux adversaires qu'a pu avoir Colonia dans les joutes continentales. En 2016, suite au titre du Clausura, l'équipe avait perdu au premier tour de Sudamericana contre les Boliviens de Blooming, défaite avec les honneurs aux tirs au but. Suite au bon Clausura 2019, l'équipe rejoue cette année la Sudamericana, et l'équipe a passé pour la première fois de son histoire un tour en battant Zamora trois buts à zéro au Campus, après une défaite un but à zéro à l'aller. On ne sait pas de quoi sera fait l'avenir, mais les petits footballeurs de Colonia qui s'entraînent sur la place des sports ont encore un grand futur devant eux.

stadesuppici

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba