Dernière semaine de la phase de groupe de la Libertadores 2015. Si argentins et brésiliens ont montré les crocs, elle fut fatale au Chili et au tenant du titre.

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Le rideau est donc tombé sur la phase de groupe de la Libertadores 2015 et on connait désormais le grand casting final qui luttera pour la quête du titre. Si l’an passé avait vu les clubs brésiliens souffrir pour rapidement disparaître force est de constater que cette saison, les géants du continent ont décidé de montrer les crocs. Cruzeiro, Internacional, Corinthians, São Paulo, Atlético Mineiro qualifiés, le Brésil réussit le sans-faute. Dommages collatéraux, à un mois de sa Copa América, le Chili pleure l’élimination de son dernier espoir Colo Colo pendant que l’Argentine voit partir Huracán et son ennemi de toujours, le tenant du titre San Lorenzo. C’est le sujet de notre dernier inside de la phase de groupe.

Les affiches des huitièmes seront :

Universitario – Tigres

Estudiantes – Santa Fe

Guaraní – Corinthians

São Paulo – Cruzeiro

Atlético Mineiro – Internacional

Montevideo Wanderers – Racing

River Plate – Boca Juniors

Emelec – Atlético Nacional

 

cliquez sur le score pour accéder à la feuille de match et au résumé vidéo correspondants

Cruzeiro 2 – 0 Universitario

Mineros de Guayana 3 – 0 Huracán

Atlético Nacional 4 – 0 Libertad

Barcelona 0 – 2 Estudiantes

Emelec 2 – 0 Universidad Chile

Internacional 1 – 0 The Strongest

Atlético Mineiro 2 – 0 Colo Colo

Santa Fe 3 – 1 Atlas

San Lorenzo 0 – 1 Danubio

São Paulo 2 – 0 Corinthians

par Bastien Poupat à Buenos Aires pour Lucarne Opposée

Hasta luego Campeon

Autant vous le dire tout de suite, cet Inside est particulier car il garde un goût amer, un goût d'inachevé, comme une histoire d'amour qui persistera encore et toujours malgré les épreuves à surmonter. Au diable la neutralité, au diable la partialité. Comme nous le confiait le journaliste et commentateur Alberto Raimundi (voir Alberto Raimundi « La Plata, c'est le Gimnasia ») « Ce qui représente le mieux, pour moi, le football c'est la passion des supporters. Pour moi c'est inconcevable, cela serait mentir d'être impartial ou quoi que ce soit. Le football, je me répète mais c'est avant tout la passion. La partialité ne doit pas devenir mensonge ou faire voir toutes les choses de manière positives, la partialité tu dois l'avoir avec le maillot de ton équipe sur le dos, ça c'est la partialité ». Je suis l'un de ceux-là, de ceux qui pensent que le supporter est un acteur à part entière du football chose que l'on n’a jamais considérée dans mon pays natal qui est la France. Cette semaine, mon équipe, le Club Atlético San Lorenzo de Almagro, le Champion d'Amérique en titre, celui qui a été l'une des causes, voir la plus importante, de mon avenir professionnel en Argentine, disputait un match décisif en Copa Libertadores pour l'accession en huitième de finale. « Le fan de San Lorenzo est unique car il se sent fier de ce qu’il est depuis plus d’un siècle et cela est gratifiant au plus haut point. Je peux affirmer qu’il n’y a rien de plus beau dans la vie que d’être supporter de San Lorenzo », déclarait récemment le vice-président du club Marcelo Tinelli. Dans ces mots de Tinelli, n'importe quel Cuervo (Surnom des supporters de San Lorenzo) se reconnaît. C'est aussi mon cas. San Lorenzo est une famille de quatre millions de sympathisants dans le monde entier mais connectée avec le même sentiment : L'amour des couleurs azulgranas. Oui car comme nombreux clubs argentin, San Lorenzo n'est pas seulement un club de football mais un club omnisports qui propose aussi du Basket, du Handball, du Tennis de Table etc... On se pose souvent la question de savoir pourquoi les argentins ont un tel fanatisme et un tel attachement à leur club, on en a en partie la réponse lorsqu’on s’intéresse aux aspects sociaux. Un club comme San Lorenzo est un cercle social dans le quartier de Boedo où l'on est prêt à tout pour représenter les couleurs du club mais c'est aussi un endroit où les asados (barbecues) sont partagés, où l'on passe les dimanches en famille, tout simplement un endroit où l'on y vit. Mais San Lorenzo a dépassé les frontières de son quartier d'origine avec notamment deux hinchas très connus : Vigo Mortensen et bien sûr le Pape François. En dépassant largement le cadre de Boedo, chaque fois que deux Cuervos se croisent, sans se connaître au préalable, un seul regard suffit. Dans ce regard, ils savent qu'ils partagent le sang, les gênes, la folie pour San Lorenzo. Le supporter de San Lorenzo est unique et l'a encore prouvé cette semaine… C'est pour cela qu’à travers LO je vous emmène vivre ce qui fût le dernier match en Copa Libertadores du Ciclon, du moins pour cette saison, d'une manière assez particulière…

Boedo

C'est quatre heures avant le match que nous décidons de nous diriger à Boedo pour prendre la température. Ne cherchez pas, à tort pour certains, à raison pour d'autres, Boedo n'apparaît en règle générale jamais sur les cartes touristiques de Buenos Aires. Et pourtant… Bars de caractère, épiceries anciennes, vieilles façades et rues pavées font le charme de ce quartier compris entre les avenues Independencia, Sánchez de Loria, Caseros et La Plata, c’est à dire entre Almagro (au nord), San Cristóbal et Parque Patricios (à l’est), Nueva Pompeya (au sud) et Caballito (à l’ouest). Mais Boedo est avant tout un quartier dont la vie est rythmée par la culture populaire : il respire à la fois le tango, le théâtre, la littérature et bien sûr le football qui ont fait et continuent de faire sa gloire. Pour exemple, cette terrasse bien sympa : celle de Zidane, un café ouvert par un fan de la légende des Bleus ! Bref, la culture football qui existe aujourd’hui à Boedo est liée à son histoire. De nombreux chants de la hinchada de San Lorenzo, souvent considérée même par Diego Armando Maradona comme « La plus créative du Pays », comme « Gitanas hermosas », ou encore « Locos que siempre estaran a tu lado », viennent tous des esprits musicaux de José Betinoti, Homero Manzi (La légende prétend que le tanguero Homero Manzi aurait composé le fameux morceau “Sur” dans l’ancien “Café del Aeroplano”, situé à l’angle de San Juan et de l’avenue Boedo), Jose Gonzalez, Castillo, Catulo mais aussi de Piana. On trouve aussi dans les paroles la touche poétique de nombreux littéraires du « Grupo de Boedo » (entre politique et littérature sociale, le Groupe Boedo était composé de jeunes écrivains prolétaires dirigés par Antonio Zamora dans les années 1920). Une inspiration que tous ces artistes, ont été chercher dans les rues de ce quartier si typique. L’écrivain et journaliste Cesar Tiempo déclarait « À l’époque, le méridien de la littérature argentine passait par Boedo ». A croire que ce méridien aura traversé le temps, pour que tous ces amoureux de San Lorenzo trouvent l’inspiration au sein de ce quartier meurtri à l'époque par la dictature au moment où l'on lui a retiré son stade comme nous vous le comptions déjà sur LO (voir L’héroïque combat de San Lorenzo contre Carrefour et la dictature).

En marchant dans les rues de Boedo, nous pouvons déjà apercevoir une multitude de maillot de San Lorenzo, on sent que ce rendez-vous à une saveur particulière. « Regarde River Plate, ils l'ont bien fait la semaine dernière. Nous aussi l'année dernière en battant Botafogo 3-0, alors pourquoi pas encore une fois un miracle cette année ? » nous explique Nacho, la cinquantaine. Un miracle, c'est effectivement ce que doit espérer le Ciclon ce soir. Avec 7 points au compteur, San Lorenzo est troisième de ce Groupe 2 derrière le Corinthians premier avec 13 points et São Paulo 9 points. Trois cas de figures étaient possibles avant la rencontre du soir face à la lanterne rouge du Groupe Danubio. Le premier, une victoire face aux uruguayens et une victoire du Corinthians dans le Majestuoso face à São Paulo envoyait San Lorenzo en huitième. En cas de de match nul dans le derby de São Paulo, le Ciclon devait s'imposer par au moins quatre buts d'écarts. Pour finir, si São Paulo s'imposait, San Lorenzo, le tenant du titre, serait éliminé même en cas de victoire. La tâche ne s'annonce donc pas simple et les supporters azulgranas en sont conscients. L'heure du match commence à approcher, nous nous dirigeons donc Avenida La Plata où se trouvait à l'époque le Viejo Gasometro, après un passage devant la Sede du club où de nombreux dessins appelant les hinchas à se mobiliser pour acheter leur mètre carré pour le retour à Boedo recouvrent les murs, nous arrivons dans le quartier très difficile de Bajo Flores pour rejoindre le Nuevo Gasometro.

De l'espoir…

La Ciudad Deportiva est déjà pleine à craquer. Les supporters de San Lorenzo préparent le match à leur manière, Fernet-Coca pour certains, bières pour d'autres, les chants résonnent déjà et l'attente est immense. Tickets déjà en main, nous pénétrons dans le temple de San Lorenzo une demi-heure avant le coup d'envoi. Pendant que le Nuevo Gasometro se remplit tranquillement, les joueurs uruguayens entrent à l'échauffement sous une terrible bronca alors que de son côté, Torrico, San Torrico comme il l'est surnommé ici, lui entre sous une superbe ovation. Dix minutes avant la rencontre la Butteler, Barra-Brava de San Lorenzo, fait son entrée accompagnée comme à l'accoutumé de drapeaux, parapluie aux couleurs du club mais aussi avec une chaîne de tambours représentant les lettres de Boedo. L'ambiance monte et les joueurs font leur entrée sur le terrain sous un tifo ayant pour inscription « La + Fiel » (La plus fidèle) et un chant détonnant racontant le combat mené par les hinchas de San Lorenzo pour virer Carrefour et reconstruire le nouveau stade Avenida La Plata à Boedo.

San Lorenzo le sait il faut mettre le plus de buts possible ce soir pour s'éviter tout regrets en attendant l'autre score du côté du Brésil. Edgardo Bauza a choisi de démarrer la rencontre avec deux attaquants en pointe, Matos-Cauteruccio avec Romagnoli et Villalba en soutien. Formation offensive donc, et dès les premières secondes cela aurait pu être payant quand Cauteruccio fût trop court après une mésentente dans la défense uruguayenne. Le match est lancé, mais durant les minutes suivantes l'on sent les Azulgranas nerveux et beaucoup trop imprécis. Arrive alors la 32ème minute et le premier coup de massue où l'on apprend que São Paulo vient d'ouvrir le score par l'intermédiaire de Luis Fabiano et que le Corinthians est réduit à dix. Un coup dur qui ne décourage pas la hinchada de San Lorenzo qui continue à y croire en récitant son superbe répertoire quand Matos est à deux doigts d'ouvrir le score mais le ballon est sauver sur sa ligne par un défenseur du Danubio.

Mais, huit minutes plus tard, une autre nouvelles du Brésil assommera tout le peuple de Boedo, l'ancien Lyonnais Michel Bastos double la mise pour São Paulo. 2-0 à 11 contre 10 c'est plus qu'un miracle désormais sachant que San Lorenzo butte toujours sur la défense uruguayenne… L'arbitre de la rencontre siffle la pause dans un silence qui en dit long, certains visages sont déjà marqués par les larmes qui leurs coulent dessus, d'autres déversent leur colère sur le Corinthians qui pour eux ne jouent pas le jeu mais la finalité douloureuse risque bel et bien d'être la même : Le tenant du titre va passer à la trappe dès le premier tour.

…à la désillusion

La deuxième mi-temps reprend sur les mêmes bases, San Lorenzo pousse mais ne parvient toujours pas à faire sauter le verrou. Au Brésil l'on apprend à nouveau une terrible nouvelle, le Corinthians est réduit à neuf, la dernière petite lueur d'espoir vient de disparaître et San Lorenzo n’accédera pas aux huitièmes de finales de la plus prestigieuse des compétitions Sud-Américaine. C'est le moment choisi par la hinchada de San Lorenzo de prouver qu'elle est unique. Le « Vengo del barrio de Boedo », qui a accompagné en 2011 l’équipe qui luttait pour ne pas descendre en seconde division est entonné par tout le stade dans une ambiance assourdissante. Ce chant est devenu mythique un soir d’été 2011 à Buenos Aires, où la hinchada est restée plus d’une heure à chanter malgré la défaite face à Independiente « Même dans les mauvais moments, je t’accompagnerai toujours ».Vous l’avez sûrement reconnu, ce chant a aussi inspiré le tube de l’été par les fans de l’Albiceleste lors du Mondial « Brasil decime que se siente » et est aussi énormément repris dans les stades du pays comme à Quilmes, Nuevo Chicago ou encore Boca Juniors quand il s’agit de rappeler au plus grand rival River Plate qu’il est un jour descendu en Primera B Nacional. Cet air s’est aussi propagé aux stades du monde entier jusqu’à Gerland (voir Brasil, decime que se siente).

La fierté, l'orgueil, l'amour, la passion tous ces mots ne sont même plus assez fort dans ce genre de moment quand tout le stade reprend cette fois en cœur le « Siempre te voy a seguir en las buenas y en las malas hasta el fin » en VF : « Je te suivrais toujours dans les bonnes ou mauvaises périodes jusqu'à la fin ».

La fin du match approche et on le sait, ces dernières minutes en Copa Libertadores sont nos dernières de l’année. Les deux mains sur le visage, le regard vide et humide, nous ne lâcherons rien même quand Mathias De Los Santos viendra offrir la victoire au Danubio à la 89ème minute. Non bien au contraire, c'est désormais le « Desde el cielo te voy a seguir cuando me muera » (Depuis le ciel je te suivrais quand je mourrais) qui est entonné, un moment unique.

L'arbitre de la rencontre siffle la fin du match, les joueurs de San Lorenzo sont ovationnés mais éliminés. Comme avec la LDU Quito, Edgardo Bauza n'a pas réussi à passer le premier tour l'année suivante en étant Champion en titre.

Nous, il nous reste une seule chose à te dire. Tu nous as rendus dingue, fais pleurer, fais souffrir et fais embrasser l'écusson CASLA près du cœur comme jamais… A l'année prochaine Belleza Copa Libertadores de America…

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.