Avec pas moins de six titres décernés, la saison 2023 au pays des champions du monde a été pour le moins particulière. L’heure est donc venue d’en faire le bilan.

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Pluie de titres

Cette année 2023 qui s'achève a tout d'abord commencé par une hérésie. Alors que l'AFA avait signé en grande pompe un accord pour délocaliser la Supercoupe d'Argentine à Abu Dhabi, le petit poucet Patronato était parvenu à remporter la Copa Argentina aux dépens de Talleres. Ce ne faisait évidemment pas les affaires de la fédération qui se voyait mal envoyer Boca au Moyen-Orient pour affronter un club qui venait de descendre en deuxième division. Une nouvelle compétition a donc été inventée : la Supercopa Internacional. Celle-ci opposerait le champion de la table annuelle (Racing) au champion de la Ligue (Boca). Au terme d'un match sous haute tension, Racing s'est finalement imposé au bout du temps additionnel grâce à un penalty généreux. Le second club à avoir été titré a été Boca. Lors de la Supercopa (originale), opposant donc le champion de la Liga contre celui de la Copa Argentina, les Xeneizes affrontaient un Patronato bien mal en point dans son groupe de deuxième division. Les Bosteros ont donc logiquement fait qu'une bouchée du club de Paraná grâce à un triplé de Dario Benedetto. L’ancien Marseillais ne le savait pas, mais c'était son dernier coup d'éclat sous le maillot bleu et or.

Le troisième titre de l’année a été remis au terme d'un championnat dominé de la tête et des épaules par River, non pas par un niveau foudroyant, mais plutôt grâce à l'irrégularité et la faiblesse de ses concurrents. Le Millo s'est adjugé tranquillement la Liga Professional 2023, seul Talleres faisant illusion, mais sans jamais réellement menacer les hommes de Demichelis.

Trois titres distribués à mi-année, après un mercato mouvementé et quelques péripéties sur la scène continentale (nous y reviendrons plus bas), la très discutée Copa de la Liga pouvait alors débuter. Très peu considérée par les clubs, cette dernière devrait d'ici peu être de nouveau considérée comme un championnat et non plus comme une simple coupe (reste à attendre la publication officielle de l'AFA à ce sujet). Comme si le peu de prestige ne suffisait pas, les groupes tirés au sort étaient plutôt déséquilibrés. Dans le groupe A, se retrouvaient la plupart des clubs en lice pour le maintien, seul véritable intérêt de la compétition. Après une dernière journée à l’incroyable scénario, c'est finalement Colón qui s’esdt retrouvé relégué en deuxième division, accompagnant Arsenal, le destin du club des Grondona était scellé depuis longtemps, et il n'y a pas eu de miracle. La phase à élimination directe a été plus intéressante puisque beaucoup de clubs ont profité du désintérêt (et du niveau catastrophique de certains) des « gros » pour s’offrir une fin d’année animée et notamment une finale aussi improbable qu’inédite entre Platense et Central, qui a vu les Canallas s’imposer sans vraiment convaincre. Mais seul le résultat compte en Argentine, et la moitié de Rosario a célébré ce titre tant attendu.

Pendant ce temps, la Copa Argentina a vu Estudiantes célébrer ses futurs retraités en s’offrant le titre. Les Pinchas ont successivement écarté Independiente de Chivilcoy, All Boys, Independiente, Huracán, Boca Juniors dans une demi-finale qui avait déjà des allures de finale pour l'obtention d'une place en Copa Libertadores 2024, puis finalement Defensa et Justicia en finale. Si elle n’a guère brillé, l'équipe d'Eduardo Dominguez a tout de même concrétisé la métamorphose opérée par l’ancien entraîneur de Colón devenu par l'occasion la première personne à remporter la Copa Argentina comme entraîneur et joueur.

Restait enfin un dernier titre à décerner, le Trophée des champions, opposant le vainqueur de la Liga Profesional (River) a celui de la Copa de la Liga (Central). Il a été brillamment remporté par les Millonarios dans ce qui s'apparentait à une revanche de la demi-finale de la Copa de la Liga perdue aux tirs aux buts par la Banda Roja qui a ainsi décroché son deuxième titre de l'année, mais dont la seule chose qui en a été retenu furent non pas les soixante minutes du Diablito Etcheverry mais sa déclaration de fin de rencontre qui ne fait qu’alimenter depuis les pages transfert du pays. Signe aussi de l’importance de ce sixième trophée décerné au pays des champions du monde.

L’échec continental

Comme un symbole de cette étrange saison qui a vu ses clubs passer les semaines locales sans grandes ambitions, sur le plan continental, les clubs argentins n'ont pas franchement été à la hauteur, même si certaines éliminations ont été cruelles. Commençons par la Copa Sudamericana : Gimnasia et Huracán ont été éliminés dès la phase de groupes, le Globo terminant dernier d’un groupe composé de Guaraní, Emelec et Danubio, le Lobo, dernier du sien, ne décrochant qu’une victoire en six matchs face à Goiás, Universitario et Santa Fe. De leur côté, Tigre et San Lorenzo sortaient péniblement des leurs avant de tomber en barrages, respectivement face à Libertad et São Paulo. En phase finale, Newell’s, auteur d’une phase de groupes parfaite (six victoires), est tombé face à un Corinthians loin d’être génial et largement dominé, un Timão qui s’est ensuite offert Estudiantes, là aussi après avoir été largement dominé au retour. Ne reste ainsi que Defensa y Justicia, sorti leader d’un groupe loin d’être délicat et qui est tombé en demi-finale face au futur vainqueur après avoir notamment sorti un Botafogo qui commençait alors sa lente chute.

En Copa Libertadores, si aucun club n'a terminé dernier de son groupe, Patronato réussissant même à décrocher le barrage de la Sudamericana, où il tombait face à Botafogo, les principales catastrophes sont arrivées d’entrée de phase finale. Si Racing et Boca ont réussi à valider leur ticket – non sans mal – Argentinos et River sont restés sur la touche. Le Bicho a été très digne et a même souffert de décisions extrêmement défavorables lors du match retour face au futur vainqueur, Fluminense. Du côté Millonarios, la pilule a été plus dure à avaler. Comme l'an passé, les recrues sont arrivées trop tard et River n'a pas été à la hauteur de son rival (qui lui s'était renforcé correctement et à temps), l’Internacional. Éliminé à la suite d'une séance de tirs au but marquée de quelques polémiques – notamment le penalty victorieux donné à retirer après intervention du VAR, puis le changement de côté de terrain en pleine séance, la sensation est que River pouvait, devait faire mieux. Les deux derniers rescapés se retrouvaient donc en quarts de finale Boca et Racing se livrant à un duel où personne ne voulait prendre le moindre risque en déplacement et, à ce petit jeu, c'est toujours Racing qui perd. Boca fût donc le seul rescapé et a signé un exploit face au favori de l’épreuve, le géant Palmeiras. Boca a contrôlé trois des quatre mi-temps, la dernière étant bien plus difficile, Palmeiras étant bien aidé par l'expulsion idiote de Marcos Rojo et le choix d’Abel Ferreira d’enfin lancer son facteur X, Endrick, mais Boca s’est offert une finale. En ayant abandonné depuis longtemps les compétitions nationales, comme Vélez l’avait fait la saison dernière et s’était retrouvé à prier pour sa survie en Argentine, Boca a donc fait all-in sur la Libertadores. Et comme Vélez, Boca a tout perdu. Face à Fluminense, au Maracanã, le match fut pauvre et équilibré, mais deux éclairs du Dinizmo ont eu raison des Xeneizes dans le temps additionnel. Boca n’a donc pas décroché la septième, il n’a été qu’un temps l’arbre cachant la forêt du désastre continental albiceleste et pire, ne jouera même pas la prochaine édition de la Libertadores.

Tel est donc le résumé d’une nouvelle saison bien étrange en Argentine. Car si 2023 est la saison durant laquelle les médias locaux n’auront eu de cesse à rappeler que leur football était celui des champions du monde, elle ne déroge finalement pas à une tendance qui ne cesse d’inquiéter les suiveurs qui ont traversé deux tournois nationaux disputés sans grande envie par des géants n’ayant que des ambitions continentales comme pour mieux s’échapper d’un quotidien à partager avec bien trop d’équipes pour disputer des compétitions dont on ne sait finalement plus si elles sont des championnats ou des coupes et dont on finit par douter de l’héritage qu’elles laisseront dans l’histoire. Des géants qui, une fois ses ambitions enterrées, cherchent à faire courir le temps le plus rapidement possible pour se projeter sur l’année suivante, tout en devant résister à une fuite des talents toujours plus précoce et assembler une équipes « compétitive » qui devrait briller sur le continent, le tout sans grands moyens. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser la saison prochaine. Gageons que River Plate, Rosario Central, Estudiantes, Talleres, San Lorenzo et Godoy Cruz en Libertadores, Boca Juniors, Racing Club, Defensa y Justicia, Lanús, Belgrano et Argentinos Juniors en Sudamericana, viendront continuer de cultiver cet étrange paradoxe argentin : celui d’un football bien trop occupé à chercher à briller aux yeux du monde, qu’il en oublie d’illuminer le quotidien de ceux qui le font battre.

 

Avec Nicolas Cougot

 

Photo une : Joaquín Camiletti/Getty Images

Vincent Dupont
Vincent Dupont
Éperdument amoureux d'une région où fútbol est synonyme de religion, sur les rives du Rio de la Plata j'assouvis ma passion.