Depuis le fracas d’une élimination mondiale, il était resté discret, totalement muet, laissant l’Argentine régler ses comptes, rester à creuser davantage le gouffre dans lequelle elle est. Pour la première fois depuis l’été dernier, Jorga Sampaoli est sorti du silence. Morceaux choisis.

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C’est dans un entretien avec Marca que le Calsidense est donc réapparu, affirmant notamment que s’il ne parlait plus, il ne s’était pas non plus reclus parce qu’ostracisé au pays. Ce silence, Sampa l’explique par « la volonté de prendre le temps d’analyser mon passage en sélection, d’analyser l’après Mondial ». Que reste-t-il donc de ce passage à la tête de l’Albiceleste ? Une longue souffrance : « Ce fut une année avec de nombreuses tempêtes, d’exigences, d’obligations, d’immédiateté. Une année au cours de laquelle nous, avec les joueurs, étions seulement obligés de gagner et de fait, c’était difficile de trouver de la fluidité. Le fardeau que portait ce groupe était démesurément lourd, nous étions poussés dans une voie d’obligation qui rend difficile l’émergence du talent. Pour nous et les joueurs, ce n’était plus un jeu. Nous avons voyagé pour voir les joueurs, on a beaucoup parlé avec eux. Ce fut un travail très dur, il n’y avait qu’une option : être champions du monde. Avec cette obligation, quelle que soit l’adversité, tout est plus compliqué. Nous nous pouvions profiter de rien. L’objectif était toujours trop élevé ».

Sampa explique qu’il pensait avoir « très bien préparé le Mondial », que son Argentine devait « garder un équilibre pour que l’obligation de gagner que tenait chaque joueur ne génère pas d’anxiété », que « chaque match était une souffrance ». Sampa aborde évidemment le jeu, son essence, affirme qu’il a rapidement compris que la sélection ne pourrait se fondre dans son style et que cela lui « servira à l’avenir », avant de se montrer critique envers l’évolution du football moderne : « Regardez le champion du monde, c’est une équipe qui joue le contre. Mon favori était l’Espagne, il a rapidement été éliminé. Le champion a gagné sur la base de récupération et longues courses. Ceux qui aiment le jeu sont en retard. Aujourd’hui, il est plus facile de refuser de jouer et profiter de la moindre occasion que de proposer du jeu ».

Mais s’il est une chose à retenir, c’est que le Calsidense ne regrette rien. Les réunions entre joueurs qui « pouvaient apporter, aider à s’améliorer », même s’il regrette surtout que celles-ci « ont été rendues publiques. Les joueurs de 86 se réunissaient constamment mais nous ne l’avons appris que vingt ans plus tard. Je crois en l’engagement et la participation. Nous nous réunissons pour trouver des solutions, mais si cela se termine dans les médias, l’inverse se produit ». Avoir mêlé Mascherano aux décisions « j’ai cherché tous les moyens pour impliquer le groupe, de faire en sorte que les joueurs oublient le fardeau qu’était l’absence de victoire, cette anxiété qui les empêchait de progresser individuellement et collectivement ». Les fortes critiques qu’il a reçues, n’en gardant aucune rancœur.

Mais alors qu’il exprime à quel point la pression sur l’Argentine est néfaste pour son développement, à la question « l’Argentine de Messi pourrait-elle être championne du monde en 2022 ? », la réponse est claire « évidemment que oui ». Mais pour cela, Sampa appelle à la continuité, à un projet qui ne dépend du résultat à la prochaine Copa América : « oubliez cette folie que si on ne gagne pas c’est qu’on est un loser. Si vous y croyez, alors vous pourrez gagner plus tard. Mais il faut y croire ». La foi en le proceso donc, rappel de son bielsisme, qui permet à Sampa de rappeler la force des projets, de l’apprentissage des erreurs, de la construction sur le long terme et lui fait appeler à un changement de valeur, refuser cette politique de l’immédiateté propre aux sociétés moderne et en particulier à la société argentine. Un proceso qu’il regrette finalement de ne pas avoir eu le temps de mettre en place, notamment à l’évocation de certains cas particuliers comme la gestion des gardiens, celle d’Icardi et Dybala : « Le Mondial est arrivé trop vite, nous n’avons pas eu le temps pour grand-chose, ne serait-ce pour incorporer les joueurs. On était dans la nécessité immédiate de gagner et il y avait des joueurs qui arrivaient avec l’expérience du processus du Brésil, avec une finale disputée. J’ai fait le pari du court terme avec ces joueurs. Nous avions un réservoir de cent joueurs pour le court, le moyen et le long terme. Mais notre processus a été coupé par la Russie ». N’allez cependant pas lui demander de pointer quelconque responsabilité à la fédération. Pour Sampa, le problème est ailleurs : « Je les remercie de m’avoir donné cette possibilité, le président de l’AFA vit également dans ce monde de l’obligation, de l’immédiateté. Que puis-je reprocher à Chiqui Tapia s’il est lui aussi victime de la société argentine ? ».

Un proceso qui est encore bien loin d’être envisagé alors que l’Argentine va disputer ses derniers amicaux de l’année avec Lionel Scaloni comme sélectionneur intérimaire, ne trouve pas la moindre piste pour trouver un successeur à Sampaoli, et n’aura finalement que quelques matchs en début d’année 2019 pour préparer une Copa América dont elle fut finaliste des deux dernières épreuves. De là à demander au peuple argentin d’imaginer ne pas mettre la pression du résultat sur les joueurs, le rêve de Sampa semble pieu…

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.