Il aura fallu être patient au Pérou pour qu’enfin le championnat reprenne son court. Après une intersaison et un départ plus qu’agité, ce week-end devrait être celui du retour à la normale. Ou presque.

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Le Pérou avait déjà eu à digérer la fin d’un rêve mondial au terme d’un barrage totalement raté, il a depuis dû faire face à une vaste reconstruction de ses sélections qui semble être un chemin des plus délicats (la catastrophique performance de ses U20 au Sudamericano n’ayant guère rassuré). Autant dire que le retour de son championnat préféré aurait dû être l’occasion de penser à nouveau au football. Il n’en est rien, la faute à un contexte des plus mouvementé.

En pleine tempête

Nous en parlions dans le 9-10 du 6 février mais il est important de le rappeler. C’est tout d’abord dans un climat social des plus troublés que la reprise du championnat était prévue fin janvier. Depuis plus d’un mois et demi, les mouvements sociaux qui ont éclaté au pays ont fait près d’une cinquantaine de morts. À l’origine de tout, une tentative de l’ancien président Pedro Castillo de dissoudre le parlement début décembre. Celle-ci lui a valu une arrestation, suivie d’un emprisonnement pour ce que certains nommaient une tentative de coup d’État et l’arrivée au pouvoir de Dina Boluarte, l’ancienne vice-présidente. Cette nomination a déclenché de fortes protestations et un violent clivage entre Lima et la province, les manifestants réclamant la démission de la présidente, la dissolution du Parlement, l’organisation de nouvelles élections malgré l’avancée de celles-ci à 2024, et la création d’une Assemblée constituante. Plusieurs zones ont ainsi été bloquées, certains aéroports ont fermé, des lieux touristiques aussi et le pays est depuis totalement paralysé faute d’acheminement des marchandises, notamment au sud. Conséquence, pénurie et hausse des prix s’abattent sur le pays. Dans ce contexte, l’état d’urgence a été déclaré et le retour du football s’annonçait avec des matchs amenés à être disputés à huis clos. Un premier coup dur pour les clubs. Le deuxième est venu s’y superposer.

L’affaire débute durant l’année 2021 lorsque la FPF modifie ses statuts pour gérer plus directement la question des droits TV. N’étant pas enregistrée dans les registres publics au Pérou, elle décide alors de lancer un appel d’offre au Chili ! Celui-ci est alors remporté par l’entreprise 1190 Sports. Cette société se retrouve donc chargée de commercialiser les droits des matchs de Liga 1 sur sa chaine et d’autres câbloopérateurs, l’exclusivité de GolPerú prenant fin. La plupart des clubs ont alors mis fin à leur contrat avec GolPerú, quatre le conservant jusqu’en 2025 (Universitario, Sport Boys, le Deportivo Municipal et Carlos Mannucci). Le plan de la fédération était alors que les droits TV passent entre leurs mains et celles de 1190 Sports. Ne voyant cependant aucun consensus se dégager au sein de la ligue, des équipes comme l’Alianza Lima et Melgar décident alors de finalement renouveler avec GolPerú. La fédération réagit en obtenant une mesure conservatoire auprès du tribunal civil pour suspendre ces contrats. C’est le début et le moment clé du conflit. Le syndicat des joueurs intervient alors, appelant à la grève. Début janvier, douze clubs signent l’accord avec la fédération, reconnaissant le fait qu’elle détient les droits TV du football local. Huit ne signent alors pas : Alianza Lima, Universitario, Cienciano, FBC Melgar, Municipal, Sport Boys, Binacional et Cusco FC. Ils vont plus loin en annonçant leur décision de ne pas participer à la Liga 1 2023 jusqu'à ce que ladite action en justice soit levée. La U, le Muni et Sport Boys parviennent à faire respecter leur contrat (car signé avant celui de la fédération) mais les autres, ceux signés après, ne sont toujours pas reconnus. Les autres institutions veulent négocier leurs droits télévisuels et GolPerú ne se laisse pas faire non plus. D’où un communiqué à sept (sans la U donc) annonçant qu’elles ne se présenteraient pas lors de la troisième journée, devenue journée d’ouverture du championnat. Cette bataille pour les droits TV est centrale pour les clubs, les huis clos annoncés ne laissant que ces droits comme entrée d’argent pour les clubs. C’est ainsi que par exemple Alianza Lima a justifié son forfait du week-end en expliquant que le fait que la FPF ait privé GolPerú de droits de transmission coute 70M de pesos au club qui explique également que le contrat avec 1190 Sports, d’une durée d’un an (quand l’autre entre dans un contrat sur douze ans) ne lui offre aucune garantie de pérennité ni de vision à long terme.

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Voilà comment un championnat, qui devait débuter le 21 janvier et avait été reporté au week-end dernier, a donné lieu à une pluie de forfaits (six sur les neuf matchs prévus). Restait à savoir jusqu’où irait ce mouvement des opposants. Car selon les règles de la Liga 1, une équipe qui déclare forfait à deux rencontres est automatiquement reléguée en Liga 2 et ne peut accéder à l’élite pour trois saisons. L’affaire n’est pas résolue mais le championnat devrait revenir à une sorte de normale ce week-end. Car si un accord n’a pas été trouvé, Alianza Lima, Melgar, Cienciano, Cusco, Binacional et Deportivo Municipal ont accepté de se présenter sur les terrains ce week-end. Selon le média RPP, les matchs devraient également accueillir du public (Alianza Lima l’a depuis confirmé), même si certaines rencontres ne seront pas diffusées (comme par exemple celle opposant Alianza Lima à Sport Boys).

Place au jeu ?

Sur le terrain, le championnat 2023 reprend en rétablissant cependant une forme de logique après les événements ayant animé l’intersaison précédent (lire le guide 2022) : l’Universidad San Martín, qui aurait déjà dû être reléguée l’an passé l’a été et a été accompagnée en Liga 2 par le promu Carlos Stein qui avait refusé de rejouer le barrage. On aurait alors pu penser que la Liga 1 reviendrait à dix-huit, il n’en fut rien, 2023 se fera encore à dix-neuf, elle devrait être la dernière de la sorte, la promotion via la Copa Perú étant annulée cette saison pour donc un retour à dix-huit en 2024. Autre point qui pourrait avoir des conséquences négatives à long terme : la fin de la « bourse aux minutes », qui imposait un quota de minutes jouées pour des U20 sous peine de sanctions et qui avait été mise en place en 2008. Une nouveauté ? L’introduction du VAR annoncée par la fédération avant le tournoi, avant finalement d’annoncer que le VAR devrait arriver pour le Clausura…

Bref, le football peut tout de même reprendre et on devrait retrouver le même groupe de favoris et prétendants. Double champion en titre après deux victoires en finale face au Sporting Cristal en 2021 puis à Melgar en 2022, l’Alianza Lima vise un tricampeonato, performance que seuls Sporting Cristal (1994, 1995 et 1996) et Universitario (1998, 1999 et 2000) ont réalisée dans l’histoire du football professionnel péruvien. Pour cela, il faudra se passer de Jefferson Farfán, parti à la retraite sur un dernier titre, ou encore des joueurs comme Christian Ramos. Mais les Blanquiazules ont musclé leur recrutement, rapatriant Carlos Zambrano pour apporter son expérience en défense, ramenant au pays un ancien de la maison et bien connu au Pérou, Gabriel Costa, auteur d’une bonne saison avec le champion 2022 chilien Colo-Colo et lui adjoignant quelques recrues intéressantes : Andrés Andrade, ancien de l’América mexicain et de l’Atlético Nacional avec qui il a décroché l’Apertura l’an passé ; Bryan Reyna, ailier gauche post-formé en Espagne et qui restait sur deux saisons intéressantes avec Cantolao : Santiago García, qui devrait former la charnière centrale avec Zambrano après une carrière européenne plutôt réussie entre Palerme et surtout le Werder, deux saisons au Mexique et trois au Chili. Autant dire que sur le papier, Guillermo Salas aura l’embarras du choix, disposant d’un groupe plutôt riche.

Du côté du rival, les choses ont également bougé. Universitario a, entre autres, laissé partir Hernán Novick, Alberto Quintero et Federico Alonso mais ont tout de même tenté des coups intéressants comme Williams Riveros, l’un des hommes clés du titre surprise décroché par Delfín en 2019, retrouvent un Horacio Calcaterra passé une saison au club il y a une décennie avant de vivre une histoire à plus de trois cents matchs, six tournois courts et quatre titres de champion avec le Sporting Cristal, retrouvent Alex Valera après sa (très courte) pige saoudienne et attirent le Pitbull Rodrigo Ureña, multi-titré au Chili et en Colombie. Les Cremas s’offrent aussi un pari fou : celui de faire revivre un Emanuel Herrera dont la carrière péruvienne, que ce soit à Melgar en 2017 ou lors des trois saisons passées au Sporting Cristal, reste son sommet (soixante-dix-huit buts en cent cinq matchs de championnat, deux titres de champion, deux titres de meilleur buteur du championnat). Reste deux autres candidats sérieux : Sporting Cristal et Melgar. Du côté des Celestes, meilleure équipe 2022 en termes de points décrochés sur l’année, le premier gros coup s’est passé sur le banc de touche avec la nomination de Tiago Nunes, l’homme clé des premiers titres continentaux de l’Athletico Paranaense. Il s’accompagne d’une résistance face aux avances de la Católica chilienne qui tente de lui arracher Yoshimar Yotún, d’un retour du meilleur passeur du championnat 2020, Washington Corozo, après son passage aux Pumas mexicain et le peu de temps obtenu à Austin, de l’arrivée du neveu de Carlos, Adrián Ascues, auteur d’une belle saison 2022 avec le Muni. Pour sa part, le Dominó mise sur deux recrues argentines pour assouvir sa quête de titre : un ancien de River Plate, passé ensuite par l’Europe et la MLS, Tomás Martínez, et un homme deux fois meilleur buteur de deuxième division argentine, Pablo Magnín.

Derrière les quatre fantastiques, on devrait retrouver quelques empêcheurs de tourner en rond. Sport Huancayo va notamment tenter de relancer un Donald Millán dont le passage à Universitario après une immense saison avec le Deportivo Binacional, a été un échec. La UCV s’offre une légende sur son banc, Sebastián Abreu qui ramène un ancien de Peñarol, Ángel Rodríguez, lui adjoint un buteur qu’il a connu à Boston River, Facundo Rodríguez, conserve Beto da Silva et rêve d’une recrue supplémentaire qui pourrait être Kevin Quevedo (même si désormais les rumeurs l’envoient du côté de Sport Boys) ou pourquoi pas Christian Cueva, qui s’entraîne avec le club en attendant de savoir s’il pourra rejouer rapidement au football. Attention cependant au Cienciano de Leonel Álvarez et son recrutement des plus solides : José Leguizamón et Iván Santillán en défense, Paolo Hurtado au milieu, Alberto Quintero et Carlos Garcès devant, n’étant que quelques exemples (les supporters de Montpellier seront sans doute ravi de suivre la suite des aventures de Jean Deza…). Un Cienciano qui va retrouver pour la première fois dans l’élite un vieux rival, le Deportivo Garcilaso et donc nous offrir le plus grand derby de la cité impériale, le Clásico Cusqueño, choc opposant les représentants des deux colegios les plus emblématiques de la ville. Un promu au sein duquel on va retrouver quelques têtes connues du football péruvien, comme Diego Penny ou Alexi Gómez, et qui s’offre un joli coup en signant Danny Cabezas, tout récent vainqueur de la Sudamericana avec IdV.

À suivre aussi le troisième club de la ville et également promu : Cusco FC. Le club s’appuiera sur quelques réussites de la saison passée, notamment le duo Felipe Rodríguez – José Fajardo (que les habitués de LO ont découvert lors de son éclosion au Panamá) et l’apport d’un expérimenté Federico Alonso qui a décroché l’Apertura 2020 au pays avec Universitario. D’autres équipes mériteront évidemment le coup d’œil, on pense au Sport Boys de Christian Ramos ou au Binacional de Jacobo Kouffati qui rêve de retrouver la gloire de 2019 après deux années plus compliquées.

Programme du week-end

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Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.