Beaucoup de visages sont les mêmes et pourtant beaucoup de choses ont changé en quatre ans et demi. Après un mondial russe plutôt positif, l’Uruguay a traversé une période trouble avec beaucoup d’échecs en Copa América et en éliminatoires, jusqu’à changer d’entraîneur et de tourner la page de l’ère Tábarez. Au Qatar, l’Uruguay écrira la dernière page d’un livre qui n’est pas terminé.

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Avant toute chose, il convient de clarifier un élément. L’Uruguay est revenu dans le langage courant du football en 2010 pour ne plus quitter ensuite les premiers rôles. On parle souvent de garra charrúa, ce qui est comique car les Guaraníes étaient majoritaires en Uruguay avant l’arrivée des ibériques et l’Uruguay n’est pas un pays avec une grande tradition de population amérindienne, cette dernière ayant été éliminée dans les grandes largeurs au XIXe siècle. On utilise ce terme de garra charrúa pour parler d’une équipe roublarde et parfois violente. Il est vrai que l’’Uruguay des années 1980-90 a été marqué un de grandes difficultés footballistiques et par une certaine violence sur le terrain, disons une certaine rugosité. Une équipe qui donnait tout, dans le mauvais sens du terme. Pourtant, le terme Garra était déjà utilisé dans les années trente à cinquante pour qualifier une équipe qui n’abandonne jamais, une équipe qui joue, tout le temps, à l’époque ou l’Uruguay était un ballet footballistique, une équipe ayant révolutionné le football de son temps. L’Uruguay de Valverde et Bentancur aura ce même état d’esprit, cette même Garra, mais avec, comme durant l’ère Tábarez, de vraies qualités footballistiques. C’est ça au final la vrai Garra, celle qui gagne. Celle de Varela, celle du Manchot Castro, celle de Diego Forlán.

LA GARRA CHARRÚA : DERNIER HÉRITAGE DE LA RÉSISTANCE INDIENNE

Après quinze années de Tábarez à la tête de la sélection, le Maestro a été remplacé par Diego Alonso. Il faut dire que l’Uruguay a eu un parcours chaotique depuis la Russie avec deux éliminations en quarts de finale de Copa América et une septième place dans le championnat éliminatoire de la CONMEBOL à quatre matchs de la fin. On peut débattre de la responsabilité du Maestro, l’équipe sortant alors d’une triple confrontation meurtrière pour n’importe qu’elle équipe contre l’Argentine deux fois et le Brésil, à cause du calendrier bousculé par le fameux virus. Il n’en reste pas moins qu’une certaine lassitude avait pris le groupe, une lassitude qui n’était pas liée à un changement générationnel qui se passe plutôt sans trouble mais dû à une fatigue sur le chemin et les méthodes.

Deux pompiers de service sont donc arrivés, avec Diego Alonso comme sélectionneur et le Profe Ortega comme préparateur. Diego Alonso était un peu la surprise du chef, alors que Diego Aguirre avait longtemps été pressenti. Les principaux succès de la carrière d’entraîneur d’Alonso ont eu lieu au Mexique, notamment avec Pachuca. Alonso avait trouvé avant sa nomination un accord avec Ortega pour un ticket qui a beaucoup joué dans la balance. Ce dernier est le préparateur physique de toujours du Cholo Simeone à Madrid, dans un club ayant brillé par la capacité physique de ses joueurs ces dernières années. Uruguayen, il est immensément respecté et connaît bien Godín, Giménez, Suárez, Torreira qu’il a eu en club. L’arrivée du nouveau staff a été remarquée, avec quatre victoires en quatre matchs et une qualification obtenue finalement « facilement » à une journée de la fin.


alonsoPhoto : PABLO PORCIUNCULA/AFP via Getty Images

Revue d’effectif

On parle depuis longtemps, depuis presque avant la campagne de Russie en fait, du difficile renouvellement générationnel avec quelques joueurs comme Diego Godín (trente-six ans) ou Fernando Muslera (trente-six ans également), ces deux derniers étant les joueurs uruguayens les plus capés de l’histoire. Mais aussi et surtout les deux meilleurs buteurs de l’histoire de la Celeste, Edinson Cavani et Luis Suárez, trente-cinq ans chacun. Dans cette liste, pas de milieu, la main ayant déjà été prise par Rodrigo Bentencur ou Federico Valverde (ce dernier n’était pas en Russie) ou encore Lucas Torreira ou Giorgian De Arrascaeta. En défense et en attaque, le changement avait déjà commencé avec Tábarez avec les arrivées petit à petit de jeunes joueurs. Ce changement se confirme avec Alonso qui a « profité » de la blessure de Muslera pour mettre Sergio Rochet dans les cages. Muslera prend le poste de remplaçant avec plaisir et le troisième gardien est le « vieux » Sebastián Sosa, qui a malheureusement perdu sa mère à quelques jours de la compétition et qui a dû retourner en Uruguay en urgence.

En défense Ronald Araújo a pris la main côté droit, ce fut une surprise du premier onze d’Alonso. Il y prend la place prise auparavant par Martin Cáceres (autre changement générationnel). Araújo revient de blessure, revient vite et bien et devrait pouvoir rapidement jouer. En attendant, Guillermo Varela devrait être titulaire sur le côté droit comme il l’avait été en Russie au début de la Coupe du Monde. Le reste de la liste est sans surprise en défense, avec le capitaine Diego Godín qui devrait l’être encore durant cette Coupe du Monde avant de passer la main à Josema Giménez. En attaque, après avoir tâté d’autres petits jeunes, c’est finalement Darwin Núñez qui de par ses performances en club, semble reléguer Edinson Cavani sur le banc en tant que super-sub. Tout cela se passe bien, avec des cadres qui ont conscience de leur âge, comme l’a montré la course joyeuse de Muslera vers Rochet pour le féliciter à la fin du match contre le Pérou scellant la qualification. Núñez partagera l’attaque avec un certain Luis Suárez, seul rescapé des vieux dans le onze type. Les deux ont partagé l’attaque lors des matchs amicaux et lors des derniers matchs éliminatoires et cela s’est plutôt bien passé. Les deux apportent beaucoup de présence en attaque et reçoivent beaucoup de ballons d’un milieu très technique.

Objectifs

Quelle que soit la qualité de l’effectif, l’Uruguay se caractérise toujours par un objectif simple au début d’une compétition : la gagner. Cela a été répété dans diverses interviews par des anciens comme Paolo Montero ou même JR Carrasco qui a déclaré qu’il fallait gagner et qu’il fallait gagner avec la manière. Diego Alonso a aussi indiqué que l’objectif reste la victoire. Il n’en reste pas moins que le match le plus important de la compétition sera le premier, contre la Corée du Sud, un adversaire que l’Uruguay connaît bien pour l’avoir déjà joué en Coupe du Monde et battu à chaque fois en 1990 et en 2010. Une victoire lors de ce match et la Celeste aura un pied en huitièmes. Ce match conditionnera le chemin de l’Uruguay, avant un choc contre le Portugal qui rappellera la Russie. L’objectif de ce match sera de l’emporter et d’éviter sans doute l’adversaire nordiste en huitièmes, le Brésil, équipe très respectée en Uruguay. Mais penser à ce deuxième match est déjà se projeter trop loin : la première finale à lieu jeudi 24 à 14 heures en France contre la Corée du Sud.

Les Uruguayens au Qatar

On parle peu de boycott au Qatar mais on parle beaucoup plus de la cherté du voyage. Au final, selon les médias uruguayens, un bon millier de locaux envisageraient fait le déplacement, soit huit à dix fois moins qu’en Russie. Pilsen, sans doute la marque de bière la plus vendue, a ainsi fait toutes ses publicités sur ce thème : restez en Uruguay (avec le #MejorLoVemosAca). En Uruguay, la bière y est bonne et pas chère alors qu’au Qatar « il faut payer sa bière à crédit ».

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Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba