L’Uruguay se prépare pour une nouvelle phase qualificative, moins d’un an après l’échec qatarien, avec son nouvel entraîneur et de nouveaux espoirs. Pourtant, le style Bielsa fait déjà grincer des dents et l’ambiance est quelque peu étrange Montevideo…

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Dans la nuit de vendredi à samedi, l’Uruguay affrontera le Chili au Centenario pour ce qui marquera la première journée des éliminatoires de la CONMEBOL pour la Coupe du Monde 2026. La Celeste, abonnée pendant un temps à la cinquième place, visera une qualification directe sachant que le nombre de pays qualifiés est passé de quatre plus un barragiste à six plus un barragiste. De quoi voir venir. L’affrontement contre le Chili sera le premier match officiel de Marcelo Bielsa à la tête de la sélection, après deux amicaux sans enjeux contre Cuba et le Nicaragua. Le moins que l’on puisse dire est que la préparation du match ne s’est pas faite dans la meilleure ambiance.

Étrange climat

Bielsa avait donné une première conférence de presse lors de son arrivée le 17 mai, avec un état d’esprit assez positif. Pour son retour en Uruguay, il a donné une nouvelle conférence de presse samedi, en n’ayant toujours pas dévoilé sa liste, indiquant qu’il ne le ferait désormais qu’après le dernier match de championnat précédant chaque rassemblement. Cela a conduit à des situations désagréables comme celle de Sebastián Coates, qui est devenu au fil des ans un joueur important de la sélection, et dont on a appris la non-sélection par le club, le Sporting CP, qui n’avait reçu de document de convocation que pour le gardien Franco Israel. Et comme celle de la gestion des « anciens ». Alors qu’il avait déclaré avoir un immense respect pour « les idoles », Edinson Cavani ou Luis Suárez n’ont pas été contactés par le nouveau sélectionneur. Cela a entraîné une sorte de conversation à distance entre Bielsa et les joueurs. Le Pistolero est sorti lors d’une interview au Brésil pour dire qu’un joueur ne renonce jamais à la sélection, comme Lugano et Tábarez le lui ont enseigné. Bielsa a indiqué que comme les joueurs étaient disponibles, il n’avait pas à les appeler ou pas, mais juste à les convoquer ou pas… Une méthode qui fait évidemment parler tout le monde, bien au-delà de la nécessité ou non de convoquer de tels joueurs. Car d’un côté, beaucoup défendent Suárez, comme Diego Godín qui a déclaré qu’il ne se serait passé de lui, mais de l’autre, nombreux étaient ceux, même en Uruguay, qui réclamaient un changement de génération. Il n’est ainsi pas étonnant que le départ de la génération Tábarez ne se fasse pas sans casser des œufs.

Reste que la situation a basculé ce samedi soir avec une suite de la conférence de presse qui a flotté entre conversation étrange et critique démagogique de la presse. Marcelo Bielsa est arrivé en Uruguay entouré d’une relative unanimité dans la presse ou dans l’opinion public en général. Il est loué pour son amour et sa connaissance du football et il est venu régulièrement par le passé en Uruguay pour voir des amis ou y passer des vacances. Sans qu’il n’ait à le dire – même s’il l’a finalement dévoilé lors de sa première conférence de presse – il a l’air d’aimer le pays. C’est toujours mieux pour un sélectionneur. Cela rend d’autant plus étrange sa sortie de plusieurs minutes sur la presse. Lors d’une question d’un journaliste sur le poids des supporters, il s’est ainsi lancé dans une diatribe contre la presse : « Je ne peux pas mesurer l’effet du supporter. Je vois cependant clairement l’avantage pour les médias de communication que l’entraîneur prenne des décisions en faveur ou contre les joueurs et qui génèrent une polémique. Il n’échappe à personne qu’ayant peu de capacité analytique, on lance des polémiques. […] Vous appartenez à une structure qui vous dit exactement cela :peu importe ce que vous dites, dites ce que vous voulez, mais faites attention à avoir beaucoup d’audience. Vous agissez ainsi, et cela ne m’étonne pas, je ne le critique pas, ni ne le valide, c’est ainsi… Imaginez, j’ai une opinion sur comment agissent les entraîneurs et je crois que nous agissons avec une logique aussi perverse à laquelle vous êtes soumis. Parce que, j’insiste, comme vous travaillez tous au sein d’entreprise, les entreprises ne valorisent pas le talent de développer des idées aux amoureux du football, ce que l’entreprise demande est que vous ayez de l’audience, dites ou faites ce que vous voulez mais pour que vous ayez de l’audience. […] Alors, je vous dis que peu m’importe ce que vous dites, ce qui m’importe est l’effet de ce que vous dites. Ce que je tente de voir est l’impact sur l’opinion des lecteurs, des téléspectateurs ou les auditeurs de ce que vous dites. Ne croyez pas que les conclusions que vous tirez sont celles des lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs. J’insiste encore plus pour les lecteurs parce qu’il est plus simple de percevoir ce qu’ils pensent. Vous savez aussi parfaitement quelle est la position du journalisme dans le classement des professions en fonction de leur crédibilité ». Et de rappeler que cette conférence de presse, un samedi soir à 19 heures, avait été organisée à l’initiative de Marcelo Bielsa.

Photo : Ernesto Ryan/Getty Images

Réveiller les loups

Dans cette société des ennemis fantasmés, Marcelo Bielsa va donc désormais avoir le plaisir de lire que ces derniers jours, une certaine partie des médias a profité de sa conférence de presse pour partir en croisade. Tenfield, la chaîne de Paco Casal, le mogul du football uruguayen, est en guerre contre l’AUF et son président. Cela tombe bien, Bielsa est un choix d’Ignacio Alonso le président de l’AUF. Chaque faux-pas de Bielsa sera donc un faux-pas d’Alonso. Ainsi, le journaliste Sergio Gorzy a immédiatement saisi l’opportunité en se lançant dans un éditorial endiablé pour expliquer que Bielsa coute vingt-cinq millions de dollars sur trois ans pendant qu’il n’y a pas un dollar pour le football féminin, que son compte est en Suisse et pas en Argentine, qu’il n’a jamais rien gagné… Autant dire que Marcelo Bielsa a réveillé une meute qui n’attendait que cela, qui guette patiemment la moindre erreur pour reprendre le contrôle, et s’est ajouté une pression supplémentaire sur les épaules.

Finalement, ce lundi, l’AUF a donc révélé la liste des sélectionnés. Sans les « vieux » de 2010 (Muslera, Cavani, Suárez, Cáceres), mais également sans des joueurs un peu plus jeunes et beaucoup présents ces dernières années comme Coates ou Torreira, Giménez, Araújo, Bentancur, De Arrascaeta ou encore Guillermo Varela étant blessés ou suspendus. Cela donne une liste très jeune dans laquelle l’ancien se nomme Sergio Rochet, du haut de ses trente ans et dans laquelle on note le grand retour de Nahitan Nández, qui a obtenu un accord financier avec son ex-conjointe pour arrêter les poursuites pour violence conjugale et qui peut donc être rappelé. Il devrait faire partie des titulaires au poste de latéral droit. L’équipe aura quand même fière allure avec un milieu composé de Valverde, d’Ugarte et d’un troisième larron (Felipe Carballo ?) et d’une attaque menée par Darwin Núñez de deux ailiers. Avec le retour prochain des blessés et suspendus, cela laisse tout de même entrevoir des possibilités incroyables quand le sélectionneur pourra rajouter l’expérience de Giménez, la qualité d’Araújo ou celle d’un De Arrascaeta. Reste que pour pouvoir voir cette équipe, Marcelo Bielsa devra réussir et présenter un bilan positif rapidement, encore plus maintenant qu’il a réveillé ses opposants. Premier rendez-vous dans la nuit de vendredi à samedi face au Chili.

La liste

 

Photo une : PABLO PORCIUNCULA/AFP via Getty Images

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba