Après l’Amérique du Sud, l’Asie et le Maghreb, Lucarne Opposée a décidé de s’ouvrir à un autre football authentique. Méconnu jusque dans ses propres terres, le football africain à pourtant beaucoup de charmes. Pour assurer une transition douce et effectuer une légère mise en bouche contextuelle aux lecteurs de LO, rien de mieux qu’un match de Coupe de la confédération, l’Europa league locale, entre une équipe de Tunisie que vous connaissez bien, et une équipe tchadienne dont vous n’avez probablement jamais entendu parler !

L’Espérance Sportive de Tunis est un grand club d’Afrique, son palmarès et les noms qui complètent son effectif parlent pour lui. Après une année de transition, le club est de retour aux affaires avec l’ambition de tout rafler, aussi bien sûr le plan local que continental.

Pour son premier match dans la compétition, les Sang et Or tunisiens ont été largement épargnés en tirant l’équipe Tchadienne du Renaissance F.C pour une confrontation aller-retour en guise de tour préliminaire. L’équipe du président de la fédération tchadienne de Football Association (FTFA), Moctar Mahamoud, a tout de la victime idéale. Qualifiés administrativement, et non sportivement, à la compétition (article à suivre prochainement sur les fédérations déloyales), les Rouges et Verts ont éliminé au tour précédent le vainqueur de la coupe du Cameroun, les New Stars de Douala. Un exploit qui a exaspéré la légende Roger Milla, honteux d’avoir vu un de ses représentants battus par un club du Toumaï, plus connu pour ses guerriers que pour ses footballeurs. Mais au final, ce résultat n’est pas si surprenant que ça quand on voit les résultats des autres clubs du pays d’Issa Hayatou, en crise permanente dans ses instances dirigeantes et en grandes difficultés dans les coupes africaines cette année. 

La confrontation est donc déséquilibrée sur le papier. Mais l’équipe Tchadienne pense pouvoir s’appuyer sur un élément extérieur qui, dans l’esprit des habitués du stade national Idriss Mahamat Ouya, sera son seul et unique avantage : le SOLEIL. Dans la saison sèche où nous sommes, il est à son zénith et il ne chauffe pas, il brûle. Mais c’était ignorer qu’en termes d’organisation, un gouffre sépare le club Tunisien, 2 fois vainqueur de la ligue des champions et son homologue tchadien aux allures de petit poucet dans cette compétition continentale.

En effet, la direction de l’EST s’est donnée les moyens de passer le tour sans encombre. Arrivés deux jours avant le match, toute la délégation (près de 100 personnes), composée des joueurs, des officiels et de nombreux journalistes, a pris place au Hilton, dans le plus luxueux palace de la capitale Tchadienne. Un cadre en forme de Jardin d’Eden dans un pays qui tarde à se développer. D’ailleurs, le contraste avec le stade et ses installations vétustes n’a pas laissé insensible les Tunisiens, qui croyaient même à un coup fourré des locaux! Si seulement...

Le jour du match, hormis un tableau noir au-dessus des guichet qui annonce le match à un mauvais horaire (15H30 au lieu de 15h50) et un drapeau accroché sur un lampadaire aux couleurs de l’équipe du RFC, rien ne laisse entrevoir qu’un match de coupe africaine contre l’une des toutes meilleures équipes du continent se disputera dans quelques minutes. Le public n’a d’ailleurs répondu que partiellement présent, mais toutes les places épargnées par le soleil sont prises au moment du coup d’envoi. Les vendeurs de jus et d’eau fraiche, ou de thé et de café (c’est au choix), font le plein avant le match. Le groupe d’une vingtaine de supporters locaux a pris place dans la tribune galaxie en plein soleil. Actif pendant l’échauffement, ils ont rapidement pris un coup de chaud et se sont tus jusqu’à la fin du match. Côté tunisien, pas de déplacement officiel pour les groupes d’Ultras, mais les journalistes et l’ensemble de la délégation se sont réunis en tribune d’honneur pour supporter l’équipe, avec quelques chants et quelques drapeaux. On est loin des ambiances survoltées, mais l’enjeu du match, le manque de communication de l’équipe locale et de journalistes sportifs y sont pour beaucoup.

Les deux jours d’adaptation que se sont accordés les tunisiens en arrivant le jeudi midi, ont permis à l’EST de trouver la parade contre la météo. Avant même le coup d’envoi, il ne faisait plus l’ombre d’un doute que la chaleur ne permettrait pas de bousculer la hiérarchie. Armés de bacs de glace et de centaines de litres d’eau, les Espérantiste ont écourté l’échauffement à une petite demi-heure et seulement pour les titulaires. De l’autre côté du terrain, tout l’effectif Tchadien a cuit pendant près de 1 heure sous un soleil de plomb (de 14h45 à 15h45). Ce qui devait être leur point faible est devenu un avantage, car paradoxalement, ce sont les Tunisiens qui ont mieux supporté les conditions climatiques que les locaux.

Ce fut donc une première mi-temps que les visiteurs ont largement maîtrisé, seule une passe en retrait au gardien mal assurée en tout début de match a permis aux supporters Tchadiens de croire un infime instant que l’exploit était possible. Car le rouleau compresseur Espérantiste s’est rapidement mis en marche. L’ouverture du score avant le quart d’heure de jeu de Taha Khenissi a permis au club de gérer les débats en attendant des conditions de jeu plus favorables en deuxième mi-temps, lorsque l’ombre avait recouvert l’ensemble du terrain.

Les joueurs entrainés par le Tunisien Ammar Souayah, qui a succédé à José Anigo, ont su faire preuve de malice pour pouvoir gérer leurs efforts. Ainsi, ils ont obligé l’arbitre à stopper le match à deux reprises en faisant rentrer la civière sur la pelouse pour des blessures simulées, ce qui a entrainé des « pauses fraîcheurs » pour l’ensemble des acteurs (il n’y aurait eu aucun scandale à ce qu’elles soient inscrites dans le règlement). Mais c’était surtout avec leur technique et leur stratégie, qu’ils ont su limiter les courses suicidaires sous le soleil de cette première mi-temps.

De nature optimiste, le public local croit toujours au miracle avant la reprise. L’envie et l’énergie déployée par les joueurs tchadiens pendant les….5 premières minutes au retour des vestiaires auraient pu leur donner raison. Mais finalement la seconde mi-temps sera une formalité pour l’EST, qui avec la disparition du soleil peut déployer son jeu et démontrer tout son potentiel. Le score est clos à la 66ème minute sur un coup franc plein axe de Chaalali aux vingt mètres. Comme sur le premier but, le gardien est à nouveau loin d’être irréprochable. L’entraîneur belge habitué de l’Afrique, René Taelman, expliquait que l’on ne peut pas gagner les matchs sans un bon gardien, ça c’est encore vérifié aujourd’hui.

Même si le cœur n’y était pas forcément, le public a quand même pu profiter des prouesses techniques du jeune champion d’Afrique U20, le Nigerian Bernard Bulbwa. Tout juste débarqué en Tunisie, il a illuminé le second acte par ses percussions et ses dribbles. Il ne fera probablement pas de vieux os sur le continent africain et viendra étoffer une équipe européenne en manque d’ailiers sur vitaminés. La rencontre se termine d’ailleurs sur un poteau tunisien sur une des nombreuses actions emmenées par le petit prodige de 19 ans.

C’est le moment choisi par un pick-up de la brigade de gendarmerie pour faire un 400m plein gaz sur la piste d’athlétisme. L’invasion du terrain par les militaires, rappelle que l’on est au Tchad, et que la sécurité est une priorité nationale, pourtant pas le moindre débordement est en vue.

Capable de ne se procurer que 2 occasions loin d’être franches dans tout le match, Renaissance aurait pu aborder le retour avec un déficit bien plus lourd. Si pour la qualification, il n’y a plu le moindre espoir, ce match devrait tout de même servir de leçon pour la prochaine échéance de l’équipe nationale, ici à N’Djamena le 23 mars.

En effet, les SAO vont affronter la Tanzanie dans le cadre des éliminatoires de la CAN 2017, dans des conditions encore plus contraignantes avec un coup d’envoi à 14H30. Soit deux mi-temps sous le soleil… Mais encore faut-il tirer les bonnes conclusions de cette défaite. Ce qui est loin d’être le cas dans les discussions de débriefing que l’on pouvait entendre ce lundi au stade alors que l’équipe nationale composée des joueurs locaux s’entraînait. Pour eux, l’Espérance de Tunis "semblait être abordable, et n’a pas montré qu’elle est une grande équipe à cause des tricheries" (ce que j’ai qualifié plus haut de malice) de ses joueurs. Seul reste le regret de ce face à face manqué en début de match sur la fameuse passe en retrait du gardien. Mais entre Tchadiens et Tunisiens, il y avait bien un monde d’écart.

Le football Tchadien est à découvrir tout au long du mois sur Lucarne Opposée, nous reviendrons au stade national pour le match contre la Tanzanie de Mbawana Samatta (meilleur joueur du continent africain en 2015), et plein d’autres surprises.

À suivre….

 

Pierre-Marie Gosselin à N’Djamena

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.