Il y a dix-sept ans aujourd’hui, le football brésilien vivait un de ses grands drames. À l’heure de jeu du match São Paulo – São Caetano, Serginho s’effondrait. Jamais il ne s'est relevé.

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L’homme qui tînt tête à Romário

Paulo Sérgio Oliveira da Silva, dit Serginho, a vingt-cinq ans lorsqu’il arrive à São Caetano. Fondé dix ans plus tôt, le petit club de l’état de São Paulo, vit alors la plus belle période de son histoire avec son solide défenseur. Au début du XXIe siècle, le club dispute en effet deux finales de championnat brésilien (dont la fameuse finale de 2000 face au Vasco de Romário et Juninho), trois Libertadores, dont une finale perdue aux tirs au but, et remporter un paulista. Si Serginho ne connaît jamais de grand club, il reste celui qui osa répondre à un certain Romário (encore et toujours). Nous sommes le 29 novembre 2003 lors de l'avant-dernière journée de championnat et Serginho passe le match au marquage de la légende brésilienne. En fin de rencontre, il dégoupille et frappe l’icône. Rouge direct. Question de respect à défendre. De cet incident, qu’il explique par la volonté de ne pas se laisser marcher dessus, Serginho gagne un surnom Xerifão (le sheriff). La légende veut que Romário a ensuite fait pression auprès de son club (Fluminense) pour s’attacher les services du rugueux défenseur de l’Azulão. L’affaire ne se fait jamais, à bientôt trente ans, Serginho est au sommet de sa carrière, l’Europe semble lui tendre les bras, les médias brésiliens l’annonçant en France, notamment à l’OM, sans que cela ne se fasse finalement. 

60e minute, le drame du Morumbi

L’heure de jeu approche ce 27 octobre 2004. Alors que le ballon vient de sortir en six mètres, les joueurs se replacent. Devant Grafite, Serginho s’accroupit et s’écroule. L’attaquant du Tricolor manque de tomber et poursuit son chemin. Ânderson Lima, latéral droit apostrophe brièvement à l’attaquant de São Paulo, persuadé que ce dernier a frappé le numéro 5. Ce n’est que lorsque Silvio Luiz s’approche de son coéquipier que la situation prend une tournure dramatique. Car Serginho est inanimé. Les médecins des deux équipes accourent, appelés par des joueurs affolés. D’interminables minutes de massages cardiaques et bouche à bouche précèdent l’arrivée de la civière. Le temps s’arrête, une chape de plomb s’abat sur le Morumbi. Serginho est évacué en ambulance, les joueurs des deux équipes se réunissent dans le rond central, priant pour le défenseur de l’Azulão. En accord avec les deux capitaines, l’arbitre de la rencontre, Cleber Wellington Abade, décide de suspendre celle-ci. Quarante-cinq minutes plus tard, le décès du joueur est annoncé. Il avait trente ans.

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L’affaire Serginho

Rapidement après l’annonce du décès du joueur, la tristesse et l’abattement laissent place à la polémique. Car les langues se délient. Itamar Rosa, masseur du club, ami et confident du « Chef » comme il aimait à l’appeler, l’homme qui réalise le massage cardiaque pour tenter de ranimer son ami, affirme que tout le monde savait au club que Serginho avait un souci cardiaque, le joueur aussi. Ce dernier lui aurait déclaré qu’il ne pouvait se permettre d’arrêter le foot pour cela, qu’il fallait de l’argent pour nourrir son fils. Quelques jours avant le drame, le joueur aurait subi une intervention chirurgicale après une légère alerte. Edimar Bocchi, directeur de l’institut de cardiologie affirme avoir alerté le club et son médecin Paulo Forte. Serginho souffrirait d’une myocardiopathie hypertrophique asymétrique, qui favorise l'arythmie et peut causer des attaques cardiaques comme celle qui lui fut fatale. Silvio Luiz et Ânderson Lima confirment les propos de Rosa. Isolé, Paulo Forte continue de nier. Nairo Ferreira de Souza, président du club, affirme que son défenseur à systématiquement passé les tests avec succès, qu’il n’y avait aucun souci avec son cœur. Pendant ce temps, les médias brésiliens affirment que le joueur aurait signé une décharge de responsabilité auprès du club en cas de souci. Difficile de distinguer le vrai du faux. L’autopsie du joueur révèle enfin que son cœur était trois fois plus gros qu’un cœur normal. D’autres éléments viennent s’ajouter à la polémique : l’absence de défibrillateurs, l’importante latence entre le constat de la gravité de la situation et l’arrivée de l’ambulance. Sur le plan moral, la fédération fait jouer les trente dernières minutes du match trois jours après les funérailles du joueur, provoquant la colère de ses amis.

L’après Serginho et la descente aux enfers de São Caetano

Reste que le drame Serginho et la polémique l’entourant impactent ensuite la médecine sportive au Brésil et la gestion des incidents sur les terrains. Quelques mois plus tard, Fabrício Carvalho, attaquant de São Caetano présent sur le terrain ce jour-là, est écarté du groupe pour un problème similaire (il ne reviendra au football qu’en 2007). À partir de 2006, la fédération exige des électrocardiogrammes et impose une batterie de tests en cas de soupçon de problème cardiaque. Depuis, près de treize mille joueurs brésiliens ont été suivis. Parallèlement à la prévention, la gestion des incidents évolue, toute la chaine opératoire est modifiée avec un meilleur équipement des centres médicaux, la mise à disposition de matériel médical d’urgence et la présence de défibrillateurs dans les stades.

Pour São Caetano, le décès de son défenseur est un tournant, une malédiction. Quelques semaines plus tard, le club est reconnu responsable du drame pour négligence. Il est accusé d’avoir délibérément caché la vérité sur les soucis cardiaques de son joueur. Paulo Forte le médecin est suspendu quatre ans, avant d’être finalement blanchi. Nairo Ferreira de Souza est suspendu deux ans. Le club se voit infligé un retrait de vingt-quatre points au classement. Alors cinquième, il parvient tout de même à se maintenir pour trois petits points. La descente aux enfers ne fait que commencer. Après une autre saison au terme de laquelle le club évite la relégation de justesse, São Caetano est officiellement relégué en seconde division fin 2006. En 2013, malgré Rivaldo, la chute se poursuit : avant dernier de Série B, São Caetano tombe en troisième division. En 2014, malgré trois victoires lors des cinq derniers matchs, l’Azulão tombe en quatrième division, il n'y fait qu'une saison, manquant la promotion d'un rien avant de ne plus y être convié jusqu'en 2019 où, fort d'un paulista réussi (quarts de finale), le club y fait son retour. Un temps seulement. Il y a dix-sept ans, le Morumbi s’éteignait, depuis, São Caetano est passé des lumières d’un paulista à l’oubli. Son numéro 5 d’alors reste quant à lui est devenu immortel.

 

Initialement publié le 27 octobre 2019, mis à jour le 27 octobre 2021

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.