En 2010, le gardien du Flamengo, Bruno, triple vainqueur du championnat Carioca et vainqueur du Brasileirão 2009, est accusé d'avoir commandité l'assassinat de sa maîtresse, avec qui il avait eu un fils quelques mois plus tôt. Condamné à vingt-deux ans de prison, Bruno s'est livré aux journalistes de Globoesporte. Lucarne Opposée vous propose un retour sur l'affaire et la traduction de l'interview.

Après avoir fait ses débuts à l’Atlético Mineiro, Bruno Fernandes das Dores de Souza plus connu sous le pseudonyme de Bruno, s’installe dans les cages du Galo et réalise notamment un grand Brasileirão 2005. Elu deuxième meilleur gardien du pays, il attire les regards d’autres clubs et rejoint le Corinthians en 2006 avant finalement d’atterrir à Flamengo après quelques mois sans jouer. C’est au Mengão que sa carrière va finir par véritablement décoller. De ses arrêts de penalties à ses buts (4 en tout, ce qui en fait le meilleur gardien buteur de l’histoire du club, surpassant Ubirajara et Zé Carlos), Bruno se fait plus qu’un prénom, il est le gardien montant au pays. Jusqu’au jour où tout bascule.

Le 7 juillet 2010, quelques semaines après avoir marqué un coup franc contre Fluminense, Bruno, l'un des meilleurs gardiens du Brésil, est arrêté en même temps que sept autre personnes, après le témoignage de son cousin, âgé de 17 ans. Les images d'un Bruno, menottes aux mains font le tour du Brésil (et du monde), et les détails de l'affaire choquent le pays entier. L'histoire commence début 2009 lorsque Bruno rencontre Eliza Samudio, mannequin et actrice pornographique. Le 13 octobre 2009, alors enceinte de cinq mois, elle porte plainte contre Bruno et deux de ses amis pour l'avoir enlevée et lui avoir fait avaler des substances afin de forcer l'avortement. Bruno nie être le père de l'enfant et la justice refuse l'injonction à distance qu'Eliza avait demandée. Les résultats de l'analyse, positifs, ne tomberont que le 5 juillet 2010. Eliza Samudio a déjà disparu depuis presque un mois.

Le 6 juillet, le jeune cousin de Bruno, confirme aux policiers avoir participé à l'enlèvement d'Eliza Samudio alors que le fils d'Eliza, âgé de quatre mois, a été retrouvé dans une favela quelques jours plus tôt. Il accuse un ancien policier, Bola, d'avoir étranglé Eliza Samudio avant de faire disparaître le corps en donnant les restes à ses rottweilers. Huit personnes, dont le gardien du Flamengo, Bruno, sont ainsi arrêtées le lendemain. L'ancien capitaine du Flamengo n'a pas participé directement à l'assassinat, mais il est accusé de l'avoir prémédité en réponse à des menaces de son ex-maîtresse et afin de ne pas reconnaître Bruninho, dont les tests confirment quelques mois plus tard, qu'il est bien le fils de Bruno. Parmi les autres accusés, Maranhão, l'un des amis d'enfance de Bruno, qui a participé à l'enlèvement et à la séquestration dans une maison appartenant à Bruno, et Fernanda Gomes de Castro, une autre maîtresse du gardien brésilien, qui a recueilli l'enfant après l'enlèvement. Bruno refuse de reconnaître toute participation au crime, mais du sang est retrouvé dans son Range Rover, sang appartenant à Eliza Samudio, selon l'ami de Bruno, et il a été aperçu par des témoins sur les lieux du crime. En 2012, Maranhão est condamné à 15 ans de prison et Fernanda Gomes de Castro à 5 ans de prison. Le policier Bola est condamné à 22 ans de prison, tout comme Bruno, inculpé pour enlèvement et assassinat. Le corps d'Eliza Samudio n'a jamais été retrouvé et Bruno continue de nier sa participation au crime, même s'il a admis savoir que son ancienne maîtresse était morte.

Après avoir passé cinq ans dans les difficiles prisons de Nelson Hungria et Francisco Sá, Bruno est désormais dans une prison Apac, du nom d'une ONG qui cherche « l'humanisation dans l'accomplissement des peines de prison ». Bruno est appelé par son nom, il peut porter les vêtements qu'il souhaite ainsi que travailler et recevoir des cours. Les prisonniers assurent certaines tâches concernant le fonctionnement de la prison, permettant des coûts moins élevés et facilitant la réinsertion. Alors que 70 % des anciens prisonniers retournent dans le crime, ce chiffre tombe à 15 % concernant les prisons de l'Apac. Ce système pourrait permettre à Bruno d'être candidat à un régime de semi-liberté en 2018 grâce à ses jours de travail. L’ancien portier s’est exprimé sur GloboEsporte et évoque son histoire, ses conditions de vie carcérale, ses hauts et ses bas. Morceaux choisis.

Le système des prisons traditionnelles

« Quand tu arrives dans le système traditionnel, tu es maltraité par les agents pénitentiaires, par la direction, mais ce qui fait le plus mal est de recevoir une visite de ta mère ou de ta femme, et qu'elles arrivent en pleurant. C'est ce qui me fait le plus mal, voir ma famille souffrir. »

La tentative de suicide

« Quand tu arrives dans une prison de sécurité maximale, tu vas dans un OCC, un centre d'observation pour quinze jours, mais j'y suis resté dix mois. À Nelson Hungria, j'ai été maltraité et persécuté. Les agents pénitentiaires étaient lâches. La pression était très forte. J'ai perdu l'équilibre, j'ai essayé de me suicider en me pendant avec un drap. Dieu m'a tendu la main et ne m'a pas laissé mourir. Quand j'ai sauté par la fenêtre, le drap a lâché. C'était incroyable, ça a été l'un des moments les plus difficiles de ma vie. »

Le travail dans le système commun

« Dans le système commun, j'ai appris plusieurs métiers. Le premier c'était le ménage. Ce n'est pas amusant mais c'est ce que je devais faire. Je me disais que c'était une opportunité de réduire ma peine. J'ai travaillé dans la buanderie, puis comme bêcheur. C'était fatigant, difficile et oppressant. Tu fais ton travail, et les gardiens sont derrière toi, avec une arme, à t'accabler. Si tu t'arrêtes un peu pour te reposer, le type croit déjà que tu cherches à t'enfuir. »

Les relations avec les autres prisonniers

« N'avoir rien à faire, rien à penser est terrible. Je préfère travailler, même si c'est difficile, que d'être dans une cellule. J'ai été condamné par la justice pour un crime que la justice pense que j'aie commis. Dans le système commun, mes relations avec les autres prisonniers étaient bonnes au début. Je suis resté quatre ans à Nelson Hungria, puis six mois à Francisco Sá, avant de retourner à Nelson Hungria. Quand je suis revenu, les détenus me regardaient avec d'autres yeux. Un jour, Bruno était aimé par tout le monde, un autre jour, beaucoup le détestaient. À cause de l'irresponsabilité de certaines personnes qui veulent du sensationnel, j'ai été agressé lorsqu'ils ont dit à la télévision que je faisais partie d'un escadron de la mort. C'est quelque chose qu'il ne faut pas dire dans le bloc où j'étais. Les mecs s'en foutent. Pour eux, prendre une vie, ce n'est pas important, c'est la même chose que de tuer un animal. Dans la douche, j'ai été agressé. J'ai pris un coup de couteau au bras, mais grâce à Dieu, ça m'a seulement éraflé. J'ai pu me remettre et je suis allé à l'Apac. »

Le soutien des fans

« À Nelson Hungria, je recevais plus de cent lettres par semaine lors des deux premières années. Avec le temps qui passe, ça diminue, mais je reçois encore aujourd'hui quelques lettres. Ce sont des témoignages qui nous rendent plus forts. Dans ma situation, quelqu'un qui a un mot réconfortant pour moi, sans savoir si je suis innocent ou non, ça me rend très heureux. Ce sont des personnes qui nous motivent pour aller plus haut. »

Suivre le football en prison

« Je vois certains matchs, je suis pour l'Atlético Mineiro, mais je ne suis pas ça de près. À Nelson Hungria, je ne regardais pas. Quand je voyais Flamengo souffrir, dans ma cellule sombre et froide, je me disais : « putain, je pourrais aider mes coéquipiers, et à cause d'une erreur, je me retrouve loin des terrains. ». Ça me faisait beaucoup souffrir. Je regarde plus régulièrement les matchs seulement depuis que je suis à l'Apac. La sélection nationale, je ne regarde plus depuis 2010 parce que tout le monde sait que j'aurais pu être dans l'équipe en 2010. Tout le monde à la CBF disait que mon nom était dans la pré-liste. Dunga avait assisté un de mes matchs contre Avai. J'étais en confiance, j'ai essayé de dribbler un joueur, et il a failli prendre le ballon. J'aurais dû tirer le plus loin possible. Cette action m'a coûté très cher, je n'ai pas été sélectionné pour la Coupe du Monde. L'objectif était d'être là en 2014, à domicile. Mais avec ce qui s'est passé, ce n'était plus possible. Je vois les matchs de l'Atlético-MG, mais pas ceux du Flamengo, parce que je pourrais être là. Ça fait mal d'en parler, à cause de ce qui s'est passé avec moi, je ne peux pas être présent. »

Flamengo

« Je ne garde pas de rancœur envers Flamengo, bien au contraire, je remercie Flamengo pour m'avoir aidé à atteindre mon but. En étant professionnel, j'avais déjà atteint mon objectif. Les supporters du Flamengo sont spéciaux. Quand je suis entré au Maracanã pour la première fois… J'en ai eu des frissons, du premier au dernier match. Ça me manque de ne plus pouvoir entrer au Maracanã et voir cette marée humaine. J'ai vécu des moments très forts. »

Les anciens coéquipiers

« Dans le groupe, j'avais beaucoup d'amis. Ils ont marqué ma vie et ont été loyaux. Adriano m'a beaucoup aidé, il n'a jamais cessé d'être un vrai ami, en étant préoccupé par moi. Emerson Sheik a été bienveillant. Fabio Luciano m'a beaucoup appris sur comment être un leader. Ces personnes me manquent. Je ne sais pas si j'aurai un jour la chance de les revoir, mais ils restent dans mon cœur et dans ma tête. Les personnes qui me manquent le plus sont celles que je considère comme ma famille. La dame de la buanderie, le jardinier, Gigante, un préparateur physique, qui avait toujours des bonnes idées. Je sais que beaucoup de personnes s'inquiètent pour moi, mais je voudrais leur dire que je vais bien, je me sens bien, malgré la situation dans laquelle je me trouve aujourd'hui. Je suis heureux, avec un but dans la vie et des objectifs à accomplir. J'ai retrouvé l'espoir et je vais me battre jusqu'au bout. »

Adriano

« On dit que j'ai empêché Adriano de venir à Nelson Hungria. Ça ne s'est pas passé comme ça. Il voulait venir me voir, mais étant une personnalité, c'était dangereux pour lui. Quand ils ont dit qu'il allait venir, il y a eu une grande agitation à Nelson Hungria. Adriano sera toujours mon ami. »

Patricia Amorim, présidente du Flamengo en 2010

« Patricia Amorim a interdit que mon nom soit mentionné à Gavea. J'aurais seulement aimé recevoir une lettre. Même si ça avait été une critique, j'en aurais tiré quelque chose de positif. Les gens ont oublié Bruno. »

Le transfert en Europe

« Peu de gens savent qu'à ce moment, j'avais pratiquement signé un pré-contrat avec le Milan AC. J'avais accepté de quitter Flamengo car Patricia Amorim avait viré l'entraîneur des gardiens, Robertinho. »

L'argent

« Beaucoup pensent que j'ai encore de l'argent. Mais à cause des années en prison et les problèmes de justice, j'ai tout perdu. Je n'ai aucune honte à le dire. Tout ce que j'ai gagné en cinq ans de carrière, je l'ai perdu lors de ces six dernières années. »

Un retour sur les terrains

« Si j'étais resté dans le système commun, j'aurais mis fin à ma carrière. Mais depuis que je suis à l'Apac, je peux m'entraîner, travailler, apprendre un métier. Depuis que je suis arrivé ici, je reprends espoir, je vois la lumière au bout du tunnel. Je sais que je dois payer ma dette à la société. Il y a beaucoup de moyens pour ça. Quand je vais être en semi-liberté, je vais retrouver le temps perdu. Tout ce qui s'est passé va servir comme expérience. Je vais revenir. Je crois que j'ai beaucoup souffert et j'ai fait souffrir beaucoup de personnes. Il est temps de rendre ces personnes heureuses. Quand j'ai été emprisonné, je n'étais pas le seul à être en prison. J'ai emmené toute ma famille en prison. Une erreur commise, et elles ont toutes souffertes. Je vais me battre et revenir au top. »

Sortie de prison

« Avec la remise de peine, je pourrai sortir en 2018. L'Apac te donne les moyens à partir du moment où tu accomplis tes devoirs. Comme athlète professionnel, je dois m'entraîner. J'ai l'opportunité de faire un travail physique, et je l'enseigne aux autres détenus. Je m'occupe de mon corps et ça me motive. La partie physique, c'est quelque chose que le joueur n'aime pas faire. Ce n'est pas seulement l'entraînement physique de Bruno, j'aide aussi les autres. Quand je vois quelqu'un perdre 19 kilos et être heureux, c'est gratifiant. Ce n'est pas une question d'apparence physique, c'est une question de santé. »

Le football en prison

« Je joue sur le champ pour entretenir la partie physique et travailler la partie technique. J'ai toujours été un gardien technique, qui pouvait jouer au pied. »

Le retour au football après la prison

« Si je te dis que je suis prêt, ça serait un mensonge. Je dois me préparer chaque jour. Il y a des personnes qui m'inspirent, qui me servent d'exemples. Tout ce qui s'est passé avec Edmundo, Belo, Guilherme ou Alexandre Pires. Ces personnes me motivent, elles sont revenues au top. Beaucoup leur ont dit « ta carrière est terminée » mais ils ont su s'en sortir. Lors d'un Flamengo – Vasco au Maracanã, j'ai arrêté un penalty d'Edmundo, qui est restée tête basse. J'ai vu qu'il était épuisé mentalement. Je lui ai dit de relever la tête. De la même façon, je veux croire que lorsque j'aurai un moment difficile, il y aura des personnes pour me motiver, pour m'apporter du soutien. »

Père de famille

« Pour cela, l'Apac m'aide également. En plus de me rendre la dignité et le respect, ils me font confiance et me donnent le droit de voir mes filles, Bruna Vitoria et Maria Eduarda. Je ne vois pas Bruninho parce que je ne le veux pas. Le système commun m'a retiré le droit de voir mes filles, je suis resté trois ans sans les voir, deux ans sans voir ma mère. L'Apac m'a redonné ma famille. Ma famille aujourd'hui est Ingrid, ma femme qui est une vraie battante, ma mère, qui même malade vient me voir, mes filles, mes oncles. J'inclus dans ma famille mon beau-père, le père d'Ingrid. Depuis le premier jour, il m'a dit « je laisse ma fille aimer, non pas le gardien du Flamengo, mais Bruno. Ne foire pas cette chance. » Et j'ai foiré. Il m'a donné une nouvelle chance et a été à mes côtés, peu importe si j'avais tort ou raison. »

La venue à l'Apac

« Quand j'étais dans le système commun, quand j'étais prêt à me suicider, Dieu a utilisé Humberto Andrade (directeur de l'Apac) pour me sauver de cette merde. À l'Apac, le détenu peut changer sa vie. J'ai arrêté d'être traité comme un matricule, ils m'ont rendu mon nom. J'ai arrêté de porter cet uniforme rouge et j'ai pu m'habiller comme je l'aime. Le président Gustavo Salazar, le vice-président Hilton, tous me traitent très bien, sans parler des prisonniers comme Ivo Marcos, Tarcisio, qui m'apprend beaucoup de choses, les règles et la discipline, et Alonso, qui est quelqu'un d'exceptionnel. Je suis sûr qu'avec l'aide de toutes ces personnes, je vais partir d'ici en étant une meilleure personne. Dans le système commun, une personne entre comme un voleur de poules et sort comme un trafiquant dangereux. À l'Apac, on tue le criminel et on récupère l'homme. »

Première chose à faire en sortant de prison

« La première chose que je vais faire va être de demander pardon à tous ceux que j'ai blessés. Je dois beaucoup à ces personnes. Mais ce sera un vrai pardon, qui vient du cœur. »

L'écriture d'un livre

« Quand je suis arrivé à Nelson Hungria, j'ai commencé à écrire un livre, mais c'était tellement le bordel, le quotidien était tellement difficile, dès qu'il y avait une bagarre ou une fouille dans ma cellule, ils détruisaient tout. J'ai perdu la motivation. Mais quand je suis arrivé à l'Apac, j'ai commencé à écrire et ça se finit. Le livre va surprendre beaucoup de personnes. Je parle de tout, de l'enfance de Bruno, comment Bruno est devenu professionnel à l'Atlético Mineiro, mon départ de l'Atlético, ce qui s'est vraiment passé car encore aujourd'hui, les supporters ne savent pas pourquoi je suis parti. Mon arrivée au Corinthians, mes années au Flamengo, les coulisses, ce qui s'est passé au quotidien, les fêtes. Je peux raconter ce qui s'est vraiment passé avec moi, ce que peu de personnes savent. Mais je ne peux pas faire un livre sans une belle fin. Je ne peux pas faire un livre qui se termine en prison. Chaque livre doit avoir une fin heureuse, et j'espère que ce sera le cas pour moi. »

Photo une : VANDERLEI ALMEIDA/AFP/Getty Images

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.