En 1962, le Santos de Pelé affronte Benfica, emmené par un jeune joueur de 20 ans, Eusébio, lors de la troisième édition de la Coupe Intercontinentale, entre les vainqueurs de la Copa Libertadores et de la Coupe des Clubs Champions. L'occasion pour Santos d'afficher sa suprématie mondiale.

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Un marathon de deux ans

En 1962, Pelé est déjà une superstar et sacré deux fois champion du monde. Avec Santos, il remporte le championnat Paulista en 1956, 1958, 1960 et 1961, compétition dont il termine meilleur buteur à chaque édition entre 1957 et 1961, cumulant 219 buts en 155 matchs ! En 1960, Santos marque 100 buts en 34 matchs dans le championnat Paulista et se qualifie pour la Taça Brasil, compétition regroupant les champions d’État. En demi-finale, América, vainqueur du championnat carioca 1960, est écrasé 6-2 avec un doublé de Pelé au stade São Januário, à Rio de Janeiro. Lors du match retour, Pelé est expulsé et l'América s'impose 1-0 avant de subir une nouvelle déconvenue lors du match d'appui. Santos l'emporte 6-1 avec à nouveau un doublé de Pelé et s'offre une finale contre l'EC Bahia. Deux ans plus tôt, les deux équipes s'étaient affrontées au même stade de la compétition. Au match aller, Bahia avait créé la surprise en l'emportant 3-2 au Vila Belmiro, malgré des buts de Pelé et Pepe pour le Peixe. À Salvador, Santos avait forcé un match décisif en battant Bahia 2-0 (buts de Coutinho et Pelé) avant de s'incliner 3-1 au Maracanã, dans un match marqué par quatre expulsions, dont trois pour Santos. Pelé, absent pour ce match décisif, a soif de revanche en 1961 mais c'est Coutinho qui ouvre le score dès la 3e minute avant l'égalisation de Bahia. Lors du match retour, au Pacaembu, Bahia craque peu avant la demi-heure de jeu face au potentiel offensif de Santos. Pelé inscrit un triplé en sept minutes, et Coutinho ajoute un but deux minutes plus tard. Santos s'impose finalement 5-1, avec un nouveau but de Coutinho. Pelé termine meilleur buteur de la compétition et Santos se qualifie pour la Copa Libertadores 1962, occasion parfaite pour célébrer le cinquantenaire de la fondation du club.

La Copa Libertadores regroupe les meilleurs clubs d'Amérique du Sud et se déroule pour la première fois en 1960. Les deux premières éditions sont remportées par le Peñarol de Pedro Rocha et Alberto Spencer. Placé dans le groupe des Boliviens du Deportivo Municipal et des Paraguayens du Cerro Porteño, Santos remporte trois de quatre matchs et marque vingt buts, dont un 9-1 contre Cerro Porteño. Lors de ce match, il y a encore 1-1 lorsque Pelé, blessé, entre en jeu peu avant la mi-temps. Sur l'un de ses premiers ballons, Pelé centre pour Coutinho qui marque de la tête. Pepe et Coutinho inscrivent chacun un triplé, Pelé s'illustre avec un doublé et Zito complète la goleada. Les demi-finales ont lieu après la Coupe du monde 1962 disputée au Chili et remportée par sept joueurs de Santos. Car si Pelé est exceptionnel, l'équipe dirigée par Lula est parfaitement équilibrée et compte de nombreux joueurs de classe mondiale, comme le gardien Gilmar, le défenseur et capitaine de la Seleção Mauro ou encore le milieu Zito. En attaque, Dorval et Mengálvio soutiennent un trio exceptionnel, composé de Pelé, Pepe et Coutinho. Les trois n'ont pas pu participer pleinement à la Coupe du monde à cause de blessures et seul Pepe est remis pour jouer la demi-finale de Libertadores, contre Universidad Católica. Après deux matchs âprement disputés, Santos se qualifie pour la finale, grâce à un but de Zito, et retrouve Penãrol, tenant du titre et vainqueur des deux premières éditions. Au Centenario, Alberto Spencer ouvre le score pour Peñarol, entraîné par Béla Guttman, qui reprend le club après un passage victorieux du côté de Benfica. Pourtant, c'est Santos qui s'impose grâce à un doublé de Coutinho et prend un net avantage avec le match retour, au Vila Belmiro. Au Brésil, le match est tendu et violent, le jeu est arrêté plusieurs fois et les joueurs de Santos réclament de nombreuses fautes auprès de l'arbitre Carlos Robles. Comme au match aller, Alberto Spencer ouvre le score mais Santos revient et mène 2-1 à la mi-temps… avant de perdre 3-2 après dix minutes de jeu en seconde période. Ce nouveau revirement de situation provoque la furie des supporters santistas qui jettent des bouteilles sur le terrain et l'arbitre arrête officiellement le match. Par crainte de nouveaux débordements, le jeu continue, Pagão égalise et les supporters célèbrent le titre. Mais la CONMEBOL retient la victoire du Peñarol et marque un nouveau match, à Buenos Aires, au Monumental. Pelé, de retour, inscrit un doublé, Santos s'impose 3-0 et met fin à la domination du Peñarol sur la Copa Libertadores (lire Pelé, le roi de Santos).

Sur le toit du monde

Santos devient la première équipe brésilienne à remporter la Copa Libertadores et se qualifie pour la Coupe intercontinentale, compétition rêvée par Henri Delaunay, ntre le vainqueur de la Copa ibertadores et le vainqueur de la Coupe des clubs champions. Santos a déjà impressionné l'Europe lors de tournées et veut être officiellement considérée comme la meilleure équipe du monde. Paulista 1960, Taça Brasil 1961, Copa Libertadores 1962, le chemin a été long pour disputer cette compétition. En face, l'adversaire est de taille puisqu'il s'agit du Benfica. L'équipe lisboète a entamé un cycle victorieux avec Béla Guttman, un entraîneur hongrois, passé par le São Paulo FC en 1957 et par Porto, avec qui il remporte le championnat du Portugal en 1959. Béla Guttman remporte avec Benfica deux nouveaux championnats du Portugal, en 1960 et 1961. Surtout, à l'image de Santos avec Peñarol,  Benfica met fin à l'hégémonie du Real Madrid, qui remporte les cinq premières éditions de la Coupe d'Europe. En finale, le Benfica bat le Barça, qui a éliminé le rival madrilène au premier tour, et qui est emmené par ses Hongrois László Kubala, Sándor Kocsis et Zoltán Czibor, ainsi que Luis Suárez et le Brésilien Evaristo de Macedo. Benfica s'appuie sur son capitaine et meilleur buteur de la compétition, l'attaquant José Águas, buteur en finale et auteur de 11 buts au cours du tournoi. Malgré des buts de Kocsis et Czibor, le Barça s'incline 3-2 dans un stade de Berne définitivement maudit pour les Hongrois. Eusébio, qui a inscrit un triplé pour son premier match avec Benfica une semaine auparavant, ne prend pas part à la finale mais s'affirme comme un titulaire en puissance au cours des mois suivants. Il dispute en fin de saison le Tournoi de Paris, l'un des tournois les plus prestigieux de l'époque. En finale, il retrouve le Santos de Pelé, auteur ce jour-là d'un doublé. Santos mène 5-0 quand Eusébio entre en jeu et se distingue rapidement par un triplé. Santos l'emporte toutefois 6-3 avec un doublé de Pepe et des buts de Coutinho et Lima. Lors de la deuxième Coupe intercontinentale de l'histoire, la panthère noire, blessé, ne prend part qu'au troisième match. Malgré un but d'Eusébio, Benfica s'incline 2-1 contre Peñarol dans un match violent et disputé de nouveau à Montevideo plutôt qu'au Brésil ou en Argentine après un arrangement financier entre les dirigeants des deux clubs. Benfica, base de l'équipe portugaise qui finira troisième à la Coupe du monde 1966, retrouve une nouvelle fois la finale de la Coupe des clubs champions, un an après le sacre de Berne. Au stade olympique d'Amsterdam, Benfica défie le Real Madrid de Francisco Gento, Alfredo Di Stéfano et Ferenc Puskás. Ce dernier inscrit rapidement un doublé mais José Águas permet aux Portugais d'entretenir l'espoir. À la mi-temps, le Real mène 3-2 grâce à un nouveau but de Puskás. Benfica recolle à 3-3 grâce à Coluna et s'impose finalement 5-3, porté par un doublé d'Eusébio. Eusébio marque sur un penalty qu'il avait lui-même provoqué après une faute de Di Stéfano puis inscrit un coup franc en force. Eusébio, 20 ans, remporte son duel à distance avec Di Stéfano, 35 ans, pour le titre officieux de meilleur joueur européen, avant d'aller défier le Roi Pelé.

Quatre mois plus tard, Benfica se rend au Brésil pour disputer le match aller de la Coupe intercontinentale. Benfica compte toujours sur ses stars comme le « Garrincha du Portugal » José Augusto, António Simões, Joaquim Santana, le cerveau de l'équipe Mário Coluna et bien sûr Eusébio mais l'entraîneur Béla Guttman n'est plus là. En cause, une prolongation de contrat refusée par le club, s'opposant aux ambitions salariales trop élevées de l'entraîneur hongrois. Guttmann claque la porte du Benfica pour Peñarol, non sans oublier de lancer une malédiction, toujours d'actualité, avant de partir : « sans moi, vous ne gagnerez pas la Coupe d'Europe pendant au moins cent ans. » Béla Guttman est remplacé par le Chilien Fernando Riera. Ancien attaquant du Stade de Reims, il dispute la Coupe du monde 1950 avec le Chili avant de prendre la tête de la sélection nationale pour la Coupe du monde 1962 disputée à domicile. Malgré la « bataille de Santiago », Riera est adepte d'un football offensif, préfère la technique à la violence et mène le Chili à la troisième place de la Coupe du monde. Lula est lui toujours l'entraîneur d'un Santos redoutable, porté par un Pelé qui a définitivement oublié ses problèmes musculaires. À 21 ans, il vient de passer la barre des 500 buts en carrière et a inscrit un quadruplé dans le championnat paulista, trois jours avant d’affronter Benfica.  Santos n'accueille pas les Portugais à Santos ou à São Paulo, mais à Rio de Janeiro, au sein du mythique Maracanã. Le Peixe a fait vibrer ce stade, notamment en écrasant 7-1 Flamengo, l'une des meilleures équipes de l'époque, lors du Tournio Rio – São Paulo en 1961. Santos s'assure ainsi le soutien des Cariocas et une belle recette à la billetterie puisque 94 129 personnes assistent au match. La rencontre est disputée et équilibrée, Santos ne montre pas l'étendue de son talent mais ouvre le score grâce à Pelé après une Madjer avant l'heure de Coutinho, âgé de seulement 19 ans. Benfica égalise avec un but de Santana mais quelques minutes plus tard, Coutinho permet à Santos de repasser devant au tableau d'affichage. Pelé, après un dribble de Coutinho sur le gardien, aggrave le score avant le dernier but de Benfica, inscrit de nouveau par Santana.

Le match retour a lieu à Lisbonne, un mois plus tard. Peu convaincus par la prestation de Santos au match aller malgré la victoire 3-2, les Portugais sont confiants et vendent même des billets pour le troisième match, disputé également à Lisbonne en cas de victoire du Benfica. Au Estádio da Luz, 80 000 personnes viennent assister au duel entre Pelé et Eusébio. La confiance des Portugais irritent les joueurs de Santos, comme le confiera Pelé dans son autobiographie « Ma vie », publiée en 2006 : « Quand nous sommes arrivés à Lisbonne, le Benfica était tellement sûr de gagner qu'on parlait déjà de vendre les billets pour le match de barrage. On avait même fait fabriquer des banderoles « Benfica : champions du monde ». Je peux vous dire que ça nous a drôlement remontés, nous autres Brésiliens. Ce fut l'un des plus beaux matchs de Santos – et sans doute le meilleur de toute ma carrière. » Pelé est en effet en grande forme. Depuis son retour de blessure lors de la Coupe du monde, Pelé a disputé 15 matchs pour 23 buts, et a même marqué lors des douze derniers matchs ! Pour le match à Lisbonne, l'entraîneur Riera choisit de ne pas effectuer un marquage individuel strict sur Pelé, comme le souligne Fernando Cruz dans le livre « Donos da Terra » d'Odir Cunha, qui revient sur ce match. « Fernando Riera a été le meilleur entraîneur que j'ai eu. Il ne voulait pas faire de marquage individuel sur Pelé et nuire au spectacle, il savait que tous les yeux étaient rivés sur Pelé. Mais Santos n'avait pas que Pelé.

Ils avaient Pepe, Zito, Coutinho, Dorval. On avait déjà battu le Barça à Barcelone et ils avaient une équipe fantastique. Le Real Madrid aussi. Le Real Madrid et le Barça étaient grands mais Santos était extraordinaire. » Les joueurs du Benfica, comme José Augusto, se méfient du potentiel de Santos, comparé au Real Madrid et ses cinq Coupes des clubs champions. « Santos était supérieur, car ils avaient des joueurs exceptionnels. Le Real Madrid était une équipe plus âgée, ils jouaient avec calme et expérience. Santos était plus jeune, comme le Benfica. C'était quasiment l'équipe du Brésil et on savait que les championnats disputés au Brésil étaient plus exigeants que le championnat portugais. » Lula procède à des changements dans son onze de départ. Mengálvio, blessé, cède sa place à Olavo, un changement qui permet à l'arrière droit Lima, de passer au milieu de terrain. Plus rapide que Mengálvio, Lima prend place aux côtés de Zito, titulaire malgré une forte grippe. Santos se met rapidement en action. À la 17e minute, Pelé ouvre le score en reprenant un centre de Pepe. Dix minutes plus tard, Santos double la mise, toujours par l'intermédiaire de Pelé, qui se joue de trois défenseurs avant de frapper du gauche. Pelé est dans une forme exceptionnelle et ne cesse de réaliser des dribbles, comme lorsqu'il enchaîne grand pont et petit pont sur Mário Coluna, le capitaine et « monstre sacré » du Benfica. Le troisième but, marqué dès le début des vestiaires, vient une nouvelle fois de Pelé, qui déborde et centre pour Coutinho, seul devant le but. À l'heure de jeu, Pelé réalise un nouveau chef-d’œuvre en passant au milieu de trois défenseurs. Sa frappe est repoussée par Costa Perreira mais Pelé surgit une nouvelle fois pour pousser le ballon au fond des filets et s'offrir un triplé. À un quart d'heure de la fin, Pepe profite d'une grossière erreur de Costa Perreira pour ajouter son nom à la liste des buteurs. 5-0. Pelé par trois fois. Coutinho. Pepe. Santos et son trio magique (les trois cumuleront 1 866 buts pour Santos) humilient Benfica à l’Estádio da Luz. En toute fin de match, Eusébio et Santana permettent au Benfica de sauver l'honneur en revenant à 5-2 mais les Lisboètes sont obligés de reconnaître la supériorité de l'adversaire, et en particulier Pelé. « Ça a été une nuit magique pour Pelé. Il jouait d'une telle façon que c'était impossible pour Benfica de gagner ce match. Santos avait des joueurs extraordinaires à chaque poste mais Pelé a tout fait. Je n'ai jamais revu un joueur comme lui, il était impossible à arrêter » déclare le défenseur Humberto.

 

La meilleure équipe du monde

Santos fête de la meilleure manière possible son cinquantenaire et est consacré meilleure équipe du monde par les spécialistes. Pour France Football, « le Brésil a aussi le meilleur club du monde » alors que pour le journal portugais A Bola, « les Brésiliens ont prouvé qu'ils étaient les maîtres du football. » La presse compare Santos aux plus grandes équipes, le Real Madrid bien sûr, mais aussi le Budapest Honved de Puskás, Kocsis et Czibor, inférieur à Santos selon le journaliste de L'Équipe, Gabriel Hanot. Pour Vittorio Pozzo, entraîneur double vainqueur de la Coupe du monde avec l'Italie, Santos est invincible. « Peut-être en match amical il est possible de battre Santos, mais sur des matchs sérieux de championnat, quand ses joueurs sont aussi concentrés, personne ne peut les battre selon moi. Et quand Pelé est dans cette forme-là, il n'y a rien à faire. » Benfica n'y arrivera pas en tout cas, que ce soit en Coupe Intercontinentale ou en amical. En sept matchs entre Benfica et Santos, les Brésiliens l'emportent six fois et concèdent un match nul. Pelé marque lors des cinq premiers matchs pour un total de neuf buts. 

Après avoir été sacrés champions du monde, les joueurs de Santos poursuivent une tournée européenne tandis que Pelé poursuit son incroyable série de matchs avec au moins un but. Une série qui prendra fin le 11 novembre, alors que Santos est déjà rentré au Brésil, le Peixe concédant le nul 1-1 contre Noroeste, club de Bauru, où est originaire Pelé. Pelé ne marque pas, ce qui ne lui était plus arrivé depuis le début du mois d'août. Entre temps, Pelé dispute 20 matchs et marque 36 buts, et délivre une impression de domination incroyable laissée aux supporters et aux adversaires comme le reconnaîtra José Augusto après la défaite du Benfica. « Ça a été une nuit de foot exceptionnelle. Même en perdant 5-2, on n'avait pas l'impression d'avoir perdu. J'ai quitté le terrain avec un avis différent sur le football. Santos était supérieur parce qu'ils avaient des joueurs exceptionnels. C'était une équipe merveilleuse. »

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.