C’est l’histoire d’un mot que l’on entend en boucle en ce mois de septembre 2016, alors que Ricardo La Volpe est nommé entraîneur d’un América en crise de résultat et de confiance. Un mot que tout le monde exprime mais que personne ne semble vouloir définir : Américanista. Un mot que nous avons poursuivi au cœur de Mexico.

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Lorsque Televisa prend en main le destin du Club América en juillet 1959, que le nouveau propriétaire affirme sa vision du football comme un business (lire Au cœur de l’América, épisode 1 : il était une fois l’América), on peut alors imaginer qu’il va transformer un club de foot en vitrine, le vidant petit à petit de son identité. Une telle vision, plutôt simpliste de l’histoire, n’est pourtant en rien le reflet de la réalité. Car au pays de la Lucha Libre, l’América ne va pas devenir simplement le représentant du mal, réponse binaire au bien qu’est alors le futur grand ennemi Chivas, América va davantage devenir porteur de valeurs communes, qui ne cesseront de se renforcer contre l’adversité – seul contre tous –, ciment d’une identité collective construite tout au long d’un siècle d’existence et reposant sur un mot : Américanista.

Alors nous sommes partis à la recherche de ce mot, de son sens, de ce qu’il représente. Pour mieux comprendre ce qu’est cette identité commune qui fait l’América depuis toujours, pour voir si elle existe réellement. Il suffit d’une promenade à Coapa, au cœur de l’América, dans son centre d’entraînement pour le rencontrer, le toucher, le saisir. Francisco Paquito Reyes, chef de presse du club et voix de l’Azteca, nous offre une première piste. « José Antonio Roca, entraîneur de l’América dans les années 70, le définit très bien : c'est un style de vie, plus précisément c'est un engagement de tous les jours de faire partie de l'équipe la plus importante, avec le plus fort impact chez les supporters mexicains. » Un style de vie. Le concept est posé, il est repris par Héctor Hernández, l’historien officiel dont les yeux alors s’illumine au moment où la question est posée, le faisant quitter son costume officiel. « Je suis Américanista. On nait Américanista, on ne le devient pas. L’Américanismo se transmet, s’hérite. C’est un style de vie, une passion. Il y a des gens qui suivent l’América uniquement pour le haïr. Etre Américanista est une histoire de cœur, c’est une chose qui te donne un certain statut. Tu peux marcher dans la rue en disant, je suis de l’América, je suis le meilleur parce que je représente la meilleure équipe. Ça l’est d’autant plus ces dernières années, où nous représentons un certain pouvoir sportif, le plus grand media, nous avons les meilleurs joueurs, d’extraordinaires Fuerzas Básicas (NDLR : le centre de formation) qui sort des joueurs comme Tena, comme Cristóbal, comme Carlos de los Cobos, comme Luna, comme Mario Trejo, comme Vinicio Bravo, comme Javier Aguirre, des footballeurs qui sont nés ici sur ces terrains quand ils étaient enfants et quelques années plus tard, sont des footballeurs qui ont remportés des titres. »

Américanista est donc un mélange d’orgueil et de responsabilité. La fierté de représenter quelque chose de grand et l’exigence que cela impose. Ricardo Pelaez, président du club, affine davantage cette double caractéristique du club, cette particularité : « L'América est une équipe différente, car en plus d'être la plus grande équipe, la plus victorieuse dans l'histoire (du football mexicain), les gens l'aiment ou la détestent. Il n'y a pas d'intermédiaires, cela ne peut pas être ta seconde équipe. Au mieux en France tu peux dire je suis pour Reims, mais aussi pour Paris. Non, ici tu supportes une équipe et tu hais l'América. Cela fait sa différence. L'Américanista est très exigeant, très très exigeant, mais également très solidaire avec l'équipe, il est toujours présent. Il apporte toujours critique, positive ou négative, mais toujours dans l'attente, et cela nous oblige, la direction, les joueurs, les entraineurs, à ne pas tomber dans une zone de confort, une tranquillité. L'équipe doit toujours être au premier plan, c'est cela être Américanista. » Oubliée ainsi l’apparente fausseté, l’apparente construction médiatique. L’Américanismo est une réalité, un sentiment commun partagé. Il se nourrit de la haine de ses adversaires mais surtout se repaît de succès, de symboles, d’idoles.

L’une des plus célèbres ces dernières années reste sans aucun doute Cuauhtémoc Blanco. Formé au club (lire Cuauhtémoc Blanco, la dernière légende aztèque), il va multiplier les allers et retours à l’América tout au long de sa carrière. Et même dans ce cas, la question de son americanismo ne se pose pas. « Les gens adorent Cuauhtémoc. Nous sommes chanceux de l’avoir vu jouer. C’est quelqu’un qui vient d’en bas et qui a quitté le club parce que ceux qui décidaient alors en avaient décidé ainsi, » précise Héctor Hernández avant d’ajouter « jamais il n’a été content de partir à l’exception d’une fois, la dernière, lorsqu’il avait eu un bon contrat aux USA. Mais il est passé à Necaxa en 1997/1998 et a joué la Coupe du Monde – il met un golazo contre la Belgique – comme représentant de Necaxa mais une fois que le Mundial se termine, il revient à l’América. Il reste jusqu’en 2000 où il part jouer à Valladolid après avoir reçu une offre très importante. Malheureusement, sur un match éliminatoire contre Trinidad y Tobago, Encil Elcock le casse la jambe et il se retrouve sur le flanc pendant neuf mois. C’est pour cela qu’il n’a pu triompher en Espagne. Il n’a pas eu beaucoup de temps de jeu l’année suivante et dispute la Coupe du Monde de 2002 comme représentant de Valladolid. Le Mundial se termine et il revient à l’América. Il va alors livrer ses meilleurs matchs mais malheureusement, il y a cette énorme bagarre contre São Caetano en Copa Libertadores en avril 2004 et la CONMEBOL le suspend un an, donne une amende à l’équipe et les dirigeants décident que Cuauhtémoc est écarté de l’équipe. Il va alors à Veracruz pour 6 mois, brille et fait que cette équipe, qui habituellement jouait le maintien, termine leader. La saison se termine et il revient à l’América avec qui il sera enfin champion puis, en 2007, avant de partir à Chicago, il met son golazo en finale contre Pachuca. Alors oui, il a fait de nombreuses allées et venues avec l’América mais il reste une idole pour les Américanistas. »  Lorsqu’il revient vêtir le maillot crema le temps d’un match, floqué du numéro 100, ses 42 ans disparaissent, la magie opère le temps d’un ballon qui s’envole pour s’écraser sur un montant. « Le stade était au bord des larmes quand il a vu le ballon toucher le montant parce que voir un homme de 42 ans faire une telle chose, ça faisait imaginer ce qu’il était capable de faire lorsqu’il était en pleine possession de ses moyens. » 

Souvenez-vous, on nait Américanista, on ne le devient pas. A l’image de quelques joueurs devenus symboles au point de voir leur nom définir ce qu’est un Américanista. « Les joueurs type, c’est Cristóbal Ortega ou Alfredo Tena, » nous explique Héctor Hernández, « deux joueurs qui sont passés des Fuerza Básicas à la réserve puis à l’équipe première et sont restés au club pendant près de 20 ans. Cristóbal n’a jamais porté un autre maillot disant que s’il devait « partir, il n’irait dans aucun autre club ». Tena a joué dans un autre club parce qu’il voulait continuer à jouer un peu. Ils sont ceux qui représentent le plus l’équipe : ils étaient ceux qui faisaient les efforts, courraient, se battaient, ils étaient les mondialistes, les leaders, ceux qui négociaient les primes avec les dirigeants, qui encadraient les joueurs sur et en dehors du terrain. Ils étaient l’América en tant que tel. Un autre que l’on doit citer est Luis Roberto Alves Zaguinho. Il a beaucoup joué avec l’équipe et a aussi une place spéciale. Il a joué quelques temps avec Cristóbal et Tena. Quand ces deux sont partis, Zague était dans sa meilleure période. Ils lui ont légué tous les codes de l’Américanismo d’autant plus que Zaguinho était le fils de José Alves Zague qui avait joué dans l’équipe dans les années 60. Son papa a été champion et meilleur buteur en 1965/1966, Zaguinho est le meilleur buteur de l’histoire de l’América. Ce sont des personnes qui sont ce que représentent l’Américanismo. Des personnes qui ont eu des résultats pendant plusieurs années. Cuauhtémoc possède en plus un charisme particulier qu’aucun autre n’a. Ce sont des joueurs divers qui ont tout donné pour le club. C’étaient d’autres époques, d’autres périodes qui n’ont pas duré, il n’y avait pas tant de transferts, tant de marketing, alors on pouvait voir ce genre de joueurs. »

Il n’en demeure pas moins que l’Américanismo n’est pas mort. Qu’importe la période et ses transferts fréquents, il garde ses dignes représentants. A l’image de Moisés Muñoz, actuel gardien du temple crema entré dans la légende du club un soir de finale. Comme les autres, Moy, le gardien du miracle, est né Américanista « tout petit, la première équipe que j'ai vue triompher, que j'ai vue à la télévision, qui m'a donné envie de la suivre, ce fut l'América. Donc mon amour est né de tous ces moments de la décennie des années 80, quand j'étais petit et que mon papa me parlait beaucoup d'une équipe très victorieuse qui était l'América. Depuis lors j'ai décidé que j'aimerai ces couleurs. » Mieux que d’autres, il nous apporte la conclusion définitive sur ce qu’est être Américanista. « Être Américanista, c'est une manière de vivre – je suis Américanista depuis mes 4 ans – ça signifie de ne jamais vouloir délaisser le maillot, ça signifie d'avoir vraiment les couleurs dans la peau, dans le cœur et vivre chaque match avec passion, profiter de chaque triomphe, souffrir chaque défaite. Ça signifie être toujours dépendent de ton équipe, de ce qu'elle fait, de ce qu'elle arrête de faire, de ses expectatives pour le prochain tournoi, de toujours la supporter, que ce soit à la maison, en dehors, dans n'importe quelle autre ville du Mexique, n'importe quelle autre partie du monde : c'est ça être Américanista, suivre ton équipe où que tu ailles. Je suis Américanista depuis mes 4 ans. Et le fait que je sois né à Morelia, que toute ma famille vienne de Morelia, ma femme, mes enfants, que nous soyons tous de là-bas, et que je sois né sportivement à Morelia, où j'ai débuté, n'a sans aucun doute possible évité que je sois pour l'América. Une chose est certaine, j'ai toujours été professionnel. Et tout ce temps où j'ai joué et défendu les couleurs de Morelia, je l'ai fait avec tout l'amour et toute la tendresse que j'ai pour ma ville. En tant que professionnel, je voulais toujours battre l'América, toujours disputer les matchs contre l'América, car je sais que sont les rencontres les plus importantes du tournoi. Après je suis parti à l'Atlante, là-bas aussi j'ai été très professionnel, et chaque match contre l'América était un combat à mort, il fallait les battre. Et chaque fois que l'on battait l'América, nous étions heureux car cela fait partie du football, mais il ne fait aucun doute que les couleurs de l'América, je les ai dans la peau depuis tout petit. »

Américanista, un mélange de fierté et d’exigence, d’orgueil et de responsabilité que Rubens Sambueza, capitaine du club résume parfaitement : « être capitaine d’un tel club est une immense responsabilité, car tu dois toujours te battre pour des titres, te battre pour jouer les premiers rôles, qu’ils soient locaux ou internationaux. Tout le monde ne peut pas affronter une telle pression. Ce n’est pas évident de jouer à l’América, il faut du caractère, être humble et ne penser qu’à gagner. » Telles seront les valeurs qu’une poignée de joueurs ira porter et défendre à la Coupe du Monde des Clubs, compétition qui semble anecdotique en Europe mais qui est capitale ailleurs, comme le souligne Oribe Peralta : « c’est l’un de nos objectifs de l’année, gagner, porter haut les couleurs du Mexique, représenter l’équipe la plus populaire du pays qu’est l’América. » Car rien n’est anecdotique quand on est Américanista, une compétition ne se joue pas, elle se gagne. C’est une exigence, une question de fierté, les deux piliers de l’Américanismo.

 

 

Photos et propos recueillis par Simon Balacheff, Nicolas Cougot et Pierre-Marie Gosselin à Mexico.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.