Il est des moments où on se rend compte qu’on est en train de vivre une expérience particulière. Le 27 juillet 2011, un simple match de championnat brésilien a décidé qu’il ne serait pas comme les autres. Ce jour-là, Santos accueille Flamengo, Neymar reçoit Ronaldinho.

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"Le match d'aujourd'hui va entrer dans l'histoire. Il y avait tout ce qui fait un grand match de football. Des rebondissements, des renversements, des loupés, des gestes de grande classe, des buts. Les spectateurs étaient émerveillés. Le football en sort grandi. On aurait dit un match de ping-pong, la balle d'un côté, la balle de l'autre côté, sans s'arrêter au milieu de terrain. L'équipe de Santos est très bonne, on ne sait jamais où ces gamins vont aller mais ils iront loin" Vanderlei Luxemburgo

Les destins se croisent

10 janvier 2011, Patricia Amorim, présidente de Flamengo annonce la grande nouvelle. « Le Flamengo doit être grand et a besoin d’une grande idôle. Le Flamengo peut célébrer, Ronaldinho Gaúcho est des nôtres. » Après 10 années d’exil européen, une Champions League, deux titres de champion d’Espagne, une Coupe du Monde, une Coupe des Confédérations, une médaille de bronze aux JO et un Ballon d’Or, Ronaldinho rentre au pays. Un événement de taille pour un Mengão alors ambitieux qui, trois jours plus tard, signe Thiago Neves histoire de muscler davantage son milieu. Les résultats ne tardent pas. Flamengo écrase le Carioca, 7 sur 7 en Taça Guanabara et une victoire ensuite en finale face à Boavista sur un but de Ronaldinho sur un amour de coup franc (obtenu par Thiago Neves), 2e place en Taça Rio, toujours invaincu, et nouvelle victoire en finale face à Vasco. Alors que la légende Dejan Petković fait ses adieux début juin après un match nul face au Corinthians, l’année où l’on fête les 30 ans de la victoire en Libertadores, le Rubro-Negro peut largement viser le titre en championnat.

Les célébrations, Santos y est encore en plein dedans depuis près d’un mois. Le 22 juin, une semaine après avoir résisté à l’enfer du Centenario, Neymar ouvre le score face à Peñarol pour le Peixe. 45 minutes plus tard, Santos décroche la troisième Libertadores de son histoire, la première depuis Pelé et le doublé de 1962 et 1963. Avec les arrivées de joueurs comme Elano pour encadrer les jeunes pépites issues du centre, l’élégant meneur de jeu Paulo Henrique Ganso, et le diamant brut, propulsé héritier de Pelé, Neymar, Santos brille. À l’image de Flamengo, le Santos du premier semestre est couronné de succès. Outre la plus belle de toutes, la Libertadores, le Peixe s’est offert le redoutable Paulista en se payant les scalps de São Paulo en demie puis du Corinthians en finale, avec un nouveau but de Neymar. L’armada de Muricy Ramalho a tout pour venir jouer les trouble-fêtes en championnat.

Neymar + Ronaldinho = show

Le 27 juillet, c’est en équipe invaincue après 11 journées que Flamengo se rend à Vila Belmiro pour y affronter un Santos qui n’avance guère en championnat, n’ayant pris qu’un seul de ses 15 points à l’extérieur et qui doit donc s’appuyer sur ses résultats à domicile pour espérer se relancer. Dans les tribunes, devant les écrans du pays, on attend avec impatience le duel entre Ronaldinho et Neymar, pour beaucoup vu comme une passation de pouvoir. On ne se doute alors pas que les deux joueurs vont faire passer ce simple match comptant pour la 12e journée du Brasileirão dans l’histoire.

Les deux formations alignées à l’Estádio Urbano Caldeira tournent autour des mêmes concepts. Du côté de Muricy Ramalho, le choix est à un 4-3-3 avec l’essentiel Arouca en gratteur de ballon, le duo Ibson – Elano pour relancer vers un Ganso meneur de jeu qui pour sa part doit servir le duo d’attaque, le récemment arrivé Borges en pointe autour duquel Neymar est électron libre. Même schéma côté Vanderlei Luxemburgo avec Willians à la récupération, Luiz Antônio et Renato Abreu sur les côtés, Thiago Neves en 10 et un Ronnie également libre de ses déplacements qui va tourner autour de l’ancien bordelais, Deivid.

Il n’y aura aucun round d’observation entre les deux équipes. On ne joue que depuis 30 secondes que Ganso est fauché par Wellinton, le chronomètre n’affiche que la quatrième minute lorsque Neymar est servi côté gauche, se défait du marquage d’une régalade technique et sert Elano qui peut lancer Borges pour le 1-0 en faveur des locaux. Le match est lancé. Ronaldinho réplique dans la foulée après une mauvaise passe d’Elano mais Rafael détourne le ballon du bout des doigts. Neymar répond. Il intercepte une nouvelle passe, combine avec Ganso et se retrouve seul face à Felipe, sa balle piquée est repoussée par le portier Rubro-Negro mais Ney, assis sur le terrain, glisse le ballon vers Borges seul au second poteau pour le 2-0, fin du premier quart d’heure.

Flamengo a les occasions mais ne se montre pas assez efficace à l’image de l’incroyable raté de Deivid, seul à deux mètres du but mais qui ne parvient à pousser un centre parfait de Luiz Antônio au fond des filets. Alors, le Peixe va lui faire payer, Neymar va signer son chef d’œuvre. Une fois encore il démarre du côté gauche, se sort de la pression de deux joueurs adverses, repique, combine avec Borges pour éliminer deux autres joueurs, humilie Ronaldo Angelim et conclut d’un extérieur du pied pour le 3-0, Vila Belmiro chavire, son diamant vient de signer le but de l’année, le Flamengo de Luxemburgo, dont le dernier passage au Peixe s’est mal terminé, est à terre.

 

La réponse ne tarde pas, Ronaldinho n’entend pas passer le flambeau, il va mener la révolte. Ronnie profite d’abord d’un centre de Luiz Antônio mal apprécié par Rafael pour immédiatement réduire l’écart, seul face au but vide. Il est aux côtés de Thiago Neves quand ce dernier coupe un nouveau centre de Luiz Antônio trois minutes plus tard pour le 2-3. Les deux équipes se rendent coup pour coup, les milieux sont dépassés, Ronnie et Neymar s’amusent à décrocher pour se lancer vers les buts adverses. Sur une percée de Ney, Willians est dépassé, il commet la faute et offre le penalty du 4-2 au Peixe. Mais Elano se la joue trop confiant. Il tente une panenka, Felipe ne tombe pas dans le piège et s’amuse même à jongler avec le ballon, preuve que le match vient d’entrer dans une autre dimension. Dans la minute suivante, Ronaldinho dépose son corner sur la tête de Deivid, à la pause le score est fou, 3-3.

 

Le second acte est du même acabit. A peine le temps de s’installer que Neymar est lancé par Leo, il file seul marquer le but du 4-3 pour les locaux. Les occasions se succèdent encore. Neymar servi par Borges, Deivid qui réplique de la tête, le rythme est toujours aussi fou. Alors Ronnie accélère encore.  Il plante une première banderille en filant plein axe et étant stoppé de justesse, ses coéquipiers le trouvent de plus en plus et il obtient un coup franc à l’entrée de la surface à 25 minutes de la fin. Personne ne l’empêchera de le tirer. Tout en malice, le numéro 10 de Flamengo glisse le ballon sous le mur, 4-4 !

 

Le duel se poursuit. À chaque percée de Ney, Ronnie répond et aura le dernier mot. Deivid intercepte, décale Thiago Neves qui peut alors lancer Ronaldinho, sa frappe enroulée est détournée par Arouca, 81e minute, alors qu’il était mené 3-0, Flamengo mène 5-4. Le Mengão déroule, les olés se font entendre comme sur la combinaison Botinelli – Ronaldinho – Thiago Neves qui voit ce dernier manquer d’un rien le but du 6-4. Dinho dicte le tempo, Flamengo ne sera pas rejoint. La passation de pouvoir attendra, ce 27 juillet 2011, Ronaldinho a vaincu Neymar.

Une ode au football

Personne ne doutait que ce Santos – Flamengo serait un bon match de championnat, le casting proposé offrant tant d’étoiles. Personne en revanche ne pouvait se douter qu’il allait assister au plus grand match de l’année 2011 au Brésil. À peine le coup de sifflet final a retenti, les éloges tombent. Globo titrera « une ode au football », Mauro Beting ajoutera « Flamengo méritait six points pour sa victoire sensationnelle, Santos en méritait trois pour avoir perdu en ayant autant joué au football. » Le match entre dans l’imaginaire collectif. Au-delà de ce fou retournement de situation, du scénario improbable décrit ici, du duel entre Ronaldinho et Neymar rappelle ce qui fait la légende du football brésilien. Les 13 000 spectateurs présents à Vila Belmiro se souviennent encore des dribbles de Ney, du toucher de Dinho, de cette soirée folle.

Le Mengão restera invaincu en championnat jusqu’à la 17e journée. Après un terrible mois de septembre ponctué par quatre défaites et deux nuls, les rêves de titre s’envolent. Fin octobre, le Mengão s’écroule totalement en Sudamericana, balayée par une Universidad de Chile emmenée par un certain Edu Vargas et coachée par l’homme qui monte sur le continent, Jorge Sampaoli (lire L'histoire sud-américaine de Jorge Sampaoli). En décembre 2011, le but du diamant de Santos sera élu Prix Puskás de l’année par la FIFA, dernier hommage à ce Santos – Flamengo.

À l’issue de l’année, Santos termine à la 10e place, Borges en est son meilleur buteur, Neymar ayant fait trembler les filets à 13 reprises. Pour sa part, Flamengo a terminé à la quatrième place du Brasileirão, Ronaldinho en est également son deuxième meilleur buteur derrière Deivid. Quelques mois plus tard, Dinho rompt son contrat avec le club et s’envole pour l’Atlético Mineiro avec qui, en 2013, il remportera la Copa Libertadores. Quelques semaines plus tôt, Neymar venait de s’envoler pour Barcelone.  

Pour revivre le match

 
 
Article initialement publié le 27/07/19, dernière mise à jour le 21/03/23
Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.