Le 18 avril 1999, le Chili pleurait la mort d’Enrique Hormazábal. Celui que les anciens surnommaient Cua Cuá a été l’une des premières grandes idoles de l’après-guerre. Et s’il est quelque peu oublié aujourd’hui, il reste probablement le premier vrai magicien du football chilien. Portrait.
Découvert dans la rue
Enrique Hormazábal est né le 6 janvier 1931 et n’a pas usé les bancs de l’école bien longtemps. Issu d’une fratrie de sept enfants, il doit en effet rapidement trouver un travail pour subvenir aux besoins de la famille. Malgré tout, le football est déjà le centre de l’univers du garçon qui tape dans la balle tous les dimanches au sein du club amateur de Vizcaya du quartier de Yungay-Mapocho à partir de ses treize ans. C’est à ce moment que le petit footballeur aux pieds nus que l’on surnomme Cua Cuá, héritage d’un bégaiement pour 40 centimes, prix d’un journal de l’époque, va chausser des crampons. Trois ans plus tard, alors qu’il joue dans la rue avec son père, Humberto Agüero le repère et lui permet de signer son premier contrat pro avec Santiago Morning. Cua Cuá n’a que 17 ans, son histoire prend un coup d’accélérateur.
« Le football se joue avec les pieds mais il nait dans la tête. »
Ailier droit, Hormazábal s’impose rapidement au sein de son équipe. Il reste sept ans au club, y devient international et décroche un trophée, la Copa Carlos Varela en 1950, prologue du championnat national de la même année, dernier titre de Primera du club bohemio. Six ans après ses débuts en Primera, Cua Cuá change de dimension en rejoignant Colo-Colo. Le numéro 8, capable de mettre le ballon où il le désire, va devenir rapidement une idole au club non seulement en lui permettant de décrocher des titres (trois en sept ans) mais surtout par son talent. Cua Cuá Hormazábal transpire de talent, il voit ce que personne n’avait deviné, placé au cœur du jeu, il est le maître à jouer du Cacique, son premier Mago. L’histoire veut qu’il ne manquera jamais un penalty si ce n’est aux entraînements où il envoie les ballons vers les petits supporters qui se pressent derrière les barrières après leur avoir dit d’aller dans la rue derrière, les joueurs n’étant alors pas autorisés à distribuer les ballons aux supporters. Son élégance, sa vision, sa technique en font un joueur phare de son époque, l’une des grandes vedettes du football chilien et son ascension météoritique en font un pilier annoncé de la sélection qui défend les couleurs du pays lors de sa Coupe du Monde de 1962.
Nouveau Chili et drame de 1962
Pré-convoqué pour la Coupe du Monde de 1950, Cua Cuá Hormazábal fait ses débuts en sélection face à la Bolivie en 1950 et marque un but. Il participe au premier Campeonato Panamericano de Fútbol, inscrit deux buts au sein d’un Chili, pays hôte, qui est battu en finale par le Brésil, puis est membre de la sélection qui ne parvient à se qualifier pour la Coupe du Monde 1954. Ses principaux faits d’armes des années cinquante, Hormazábal va les signer en Copa América qui s’appelle alors Campeonato Sudamericano. En 1955, le Chili organise la compétition, Cua Cuá Hormazábal brille. Six buts en cinq matchs et une « finale » perdue face à l’Argentine permettent au joueur de Colo-Colo de se faire un nom et de l’y laisser dans l’histoire de l’épreuve notamment en devenant l’auteur du 1000e but de l’histoire de la compétition. L’année suivante, lors d’un Campeonato Sudamericano spécial, organisé alors en Uruguay, Cua Cuá Hormazábal réussit une énorme performance face au Brésil en ouverture. Le Chili s’impose 4-1 sur un doublé de Cua Cuá qui offre le troisième but au jeune Leonel Sánchez, future légende au pays dans ce qui reste pour lui LE match qu’il n’oubliera pas. Ses quatre buts en font le meilleur buteur de l’épreuve mais n’empêcheront pas l’Uruguay de remporter cette édition mais font du Chili un joli second, jamais plus dans l’histoire de la Copa América la Roja ne parviendra à faire deux deuxièmes places consécutives, il faudra attendre l’avènement de la génération des Caszely pour qu’elle retrouve une finale, soixante ans pour qu’elle décroche enfin des succès. La même année, le Chili est désigné pays hôte de la Coupe du Monde 1962. Elle doit être l’avènement de Cua Cuá Hormazábal, elle en sera un traumatisme.
Car Enrique Hormazábal ne disputera pas cette Coupe du Monde. Champion au pays avec Colo-Colo en 1960, cela fait déjà deux ans que Cua Cuá n’est plus appelé en sélection. Fernando Riera prend les rennes de la sélection en 1957 et lance alors un long processus de construction/modernisation de celle-ci dans l’optique du Mondial 62. C’est sous son impulsion que sera par exemple bâti Juan Pinto Durán, aujourd’hui encore le Clairefontaine de la Roja. Riera et Hormazábal ne s’entendront pas. La légende s’empare des raisons expliquant cela. Selon Cua Cuá la raison est une histoire d’équipements qu’il ne voulait pas porter. Selon Riera, la raison vient du fait que le joueur ne veut pas se plier à la discipline collective qu’il souhaite instaurer en sélection avec la mission Coupe du Monde 1962, un épisode lors d’un retour en bus de La Serena ayant été le point de non-retour. Si la légende veut que Riera a dit à Hormazábal qu’il comptait pour la sélection mais devait se soumettre comme les autres à la discipline qu’il comptait instaurer, le fait est que Cua Cuá ne revêtira plus le maillot rouge et suivra de loin la troisième place et le couronnement de Leonel Sánchez. Nombreux sont ceux qui pensent qu’avec Cua Cuá, le Chili aurait été champion du monde.
Cet épisode marque un avant et un après pour un joueur alors âgé de 31 ans. Il entre en dépression, prend du poids, est annoncé mort pour le football. En 1961, la rumeur de sa retraite court. Mais les géants se nourrissent des légendes qu’ils aiment eux-mêmes écrire. L’année suivante, Hormazábal conduit Colo-Colo vers un titre qui marque l’histoire du club. Avec 103 buts en 34 matchs et l’éclosion définitive d’un gamin nommé Francisco Chamaco Valdés, autre légende du peuple Albo, le Cacique décroche son neuvième titre, le dernier de Cua Cuá joueur, un titre qui, tout un symbole, est scellé sur une dernière victoire face à la Católica sur un lob de quarante mètres du numéro 8. Brillant, Hormazábal a retourné les médias. La revue Estadio lui consacre un édito de deux pages dans lequel on peut lire : « Lorsqu’on commet une erreur, l’honnêteté consiste à la reconnaître. Nous avons commis une grave erreur envers Hormazábal. Nous l’avions supposé perdu pour le football. Nous l’avons fait passer pour un homme sans volonté, englué dans les excès, attaché à un milieu qui le précipiterait dans le ravin. Mais petit à petit, le 8 albo a retrouvé sa condition. Il s’agissait d’abord de jouer comme il savait le faire, d’abord une dizaine de minutes par match, puis une demi-heure, puis une mi-temps. Lors de ce championnat de 1963, ce fut le match. »
Cua Cuá Hormazábal donnera deux années de plus à Colo-Colo. En 1965, il prend sa retraite avant d’entamer une courte carrière d’entraîneur. À 39 ans, il débute avec Colo-Colo mais son cycle est bref, sans lui, Colo-Colo décroche le titre de 1970. Quatre ans plus tard, il dirige Santiago Morning champion de Segunda qui retrouve alors l’élite après cinq années d’absence.
18 avril 1999, le Chili pleurait la disparition de l’un de ses héros. 52 ans après son dernier but en Campeonato Sudamericano, et alors que la Roja a décroché deux Copa América, il reste son meilleur buteur dans cette épreuve (10 buts), rejoint en 2016 par Eduardo Vargas. Il n’existe pas d’images d’Enrique Cua Cuá Hormazábal, seule sa légende traverse le temps grâce aux paroles des anciens. Des paroles qui racontent l'histoire d'un milieu de terrain talentueux, intelligent, resté célèbre pour ses passes de quarante mètres et aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands du football chilien. Des paroles avec lesquelles remontent les souvenirs d’une époque où le Chili avait connu son premier magicien.