À première vue son nom peut prêter à sourire. Mais aussi improbable qu’il apparaît à l’oreille du profane, Mushuc Runa, signifie bien d’avantage. Derrière un simple club de football, se cache en effet un projet social et politique de grande ampleur. Un projet que le continent va découvrir en 2019.
Au cœur de l’Équateur et de la Cordillère des Andes, au pied du fascinant et impressionnant volcan Tungurahua se trouve Ambato. Le jardin de l’Équateur, dont le nom est hérité d’Hambato, la colline de la grenouille, et qui a été totalement détruite lors du tremblement de terre de 1949, est aussi la ville qui abrite un club de première division équatorienne, dont l’histoire n’est encore qu’embryonnaire : Mushuc Runa.
L’histoire de Mushuc Runa se confond avec la soif de reconnaissance de la population indigène qui peuple cette région centrale du pays. En décembre 1997, trente-huit jeunes indigènes et paysans des villes de Pilahuín, Chibuleo et Quisapincha s’associent pour créer une institution financière : la Cooperativa de Ahorro y Crédito Mushuc Runa. Cette coopérative spécialisée dans le microcrédit est depuis reconnue à travers le pays et a permis au peuple autochtone de sortir du carcan dans lequel il était enfermé : un peuple de paysans. C’est en s’appuyant sur le soutien financier de la coopérative que le club de Mushuc Runa va voir le jour en 2003. En Quechua, Mushuc Runa signifie « Nouvel Homme » et symbolise la volonté du peuple indigène d’être enfin représentants dans tous les pans de la société équatorienne. D’abord amateur, le club devient professionnel en 2005 puis gravit les échelons pour accéder à la seconde division en 2012 puis l’élite en 2014. Une ascension fulgurante qui récompense un projet qui s'étend bien au-delà du football.
Un projet social
Luis Chango est l’un des hommes à l’origine du projet. Enfant, il rêvait de devenir footballeur mais par l’absence de routes au sein de sa communauté, il ne put atteindre son but. Adulte, il a ainsi mis en place ce projet qui veut amener les indigènes au football. À l’heure actuelle, Mushuc Runa ne compte que de rares indigènes dans ses rangs comme Cristian Serafín Pandi ou Julio Sisa. Mais l’objectif est clairement affiché : combler le vide en ressources pour permettre aux jeunes indigènes de pouvoir aspirer à eux aussi devenir footballeurs. Mais le projet Mushuc Runa ne s’arrête pas au football.
Car Luis Chango est issu de cette communauté indigène. Enfant, il a grandi dans la pauvreté et vendait de l’ail sur les marchés locaux tout en rêvant de football. Puis, il a décidé de faire des études pour devenir avocat et dirige depuis la Cooperativa de Ahorro y Crédito Mushuc Runa. De son parcours, Chango veut en faire un exemple à suivre et pour cela veut réveiller les consciences. Le projet Mushuc Runa vise ainsi à ouvrir les yeux des indigènes et leur donner accès à des métiers jusqu’ici réservés aux autres. Faire des médecins, des avocats, des footballeurs au sein d’une communauté traditionnellement enfermée dans le carcans de simples paysans, tel est l’objectif affiché de Chango qui compte également stimuler l’économie locale par l’éco-tourisme mais aussi le besoin de main d’œuvre généré par le club de foot. Cette prise de conscience passe nécessairement par des exemples et le club de football en est un. « Ce projet n’est pas seulement basé sur le football ou avoir un stade et faire de la publicité. Le football est pour nous un moyen de causer un impact important dans la société équatorienne. Il vise à démontrer que le peuple indigène peut accéder à tous les strates de la société. Nous avons déjà réussi à le prouver dans le monde de la finance, de la politique, de la culture, l’objectif est désormais de se faire aussi une place dans le sport. »
À terme, Chango veut faire de son club un club d’indigènes, envisage de développer des structures d’accueil pour révéler de nouveaux talents locaux. Mi-2013, le club ouvre un camp de football d’été. Alors qu’il se fixe 300 inscriptions, ils seront près de 600 enfants à se présenter, forçant les dirigeants à refuser de nouveaux inscrits par manque de place sur le terrain. En 2015, Mellinton Medina, alors directeur de l’école de football rappelait le véritable rôle du club auprès de la communauté : « Notre objectif est de travailler pour un futur à grande échelle avec l’intention qu’il y ait plus tard nos propres joueurs issus de la province et du secteur rural. Si le club est un club indigène, nous devons avoir des joueurs indigènes. Notre projet consiste à travailler avec des gens issus de notre province, des gens oubliés, avec peu de moyens. On peut ainsi s’appuyer sur une institution qui se préoccupe du secteur rural. Nous leur apprenons tout. Si nous travaillons avec des enfants qui arrivent à l’âge de six ans, à douze ans, ils ont appris bien plus qu’un enfant passé quelques mois par l’école ». Car Mushuc Runa entend aussi former intellectuellement des enfants qui n’avaient pas accès à cela auparavant. Utiliser le football et un projet sportif pour changer les mentalités, pour offrir aux indigènes d’autres métiers, d’autres ambitions, tel est le véritable projet de l’institution et en fait sa fierté.
Le football est une façon de dire que nous existons, que nous, indigènes, sommes grands et pouvons faire de grandes choses.
La fierté locale
C’est justement cette fierté à exister au grand jour qui unit les peuples indigènes derrière le projet Mushuc Runa. Interrogé par la BBC, un fan du club déclarait « Mushuc Runa représente notre culture et c’est pour cela que nous les encourageons ». Dans le petit stade de Bellavista, où évolue parfois le club, une vingtaine de supporters vêtus de ponchos rouge à bande bleu animent les tribunes. La Barra de Ponchito est encore réduite en nombre mais suit le club à travers le pays. Dans les tribunes, des locaux qui ne sont pas forcément amateurs de football. Tous sont là pour soutenir un projet, une idée, celle de redonner sa fierté au peuple indigène. Cette conscience d’écrire autre chose qu’une histoire de football touche les joueurs. Victor Macias, milieu offensif déclarait « Non seulement à l’échelle nationale mais aussi internationale, Mushuc Runa est connu pour être une équipe indigène. C’est une fierté de faire partie de cette histoire ». Une histoire qui ne cesse de s'écrire. En novembre dernier, le club inaugure son nouveau stade, l’Estadio Echa Leche. Posé à 3 200 mètres d’altitude, l’enceinte est financée par le club, au prix parfois de luttes pour acquérir certains terrains. « Il a été financé par l’apport des 200 socios fondateurs et divers partenaires. La première phase a coûté deux millions de dollars (US) et nous espérons réaliser les trois étapes dans les dix ans. Mushuc Runa a construit son propre stade de ses efforts et n’a pu compter sur aucune aide ni du maire, ni du président de la république. Nous avons toqué aux portes, mais elles se sont fermées », rappelle ainsi Luis Alfonso Chango. Le nouveau stade peut accueillir près de 5 000 spectateurs, le projet est désormais de porter la capacité à près de 14 000 lors de la deuxième phase des travaux qui se poursuit jusqu’à mars prochain. Il est situé au cœur de la communauté pour s’inscrire dans cette politique sociale : « Mushuc Runa ouvre la voie pour relancer l'économie des populations rurales et autochtones du sud-ouest d'Ambato. Nous voulons que les voisins installent des restaurants, des hôtels et des lieux de vente d’artisanat aux abords du stade ».
L'histoire s'écrit aussi sur le terrain. Relégué en Serie B en 2016, le club n'attend que deux ans pour faire de nouveau parler de lui. Champion de Serie B en 2018, avec la meilleure attaque et la meilleure défense du championnat, Mushuc Runa est aujourd’hui de retour en Serie A. Mieux, l’équipe phare a fait coup double. En 2017, la fédération équatorienne décide de donner un coup de boost à sa Serie B. Il est alors décidé que le champion disputera un match de barrage face à l'équipe classée huitième de Serie A avec un enjeu fou : une qualification pour la Copa Sudamericana. Si Técnico Universitario a échoué l'an passé, battu par la LDU, Mushuc Runa a réussi cet exploit. Opposé à Aucas, le Ponchito s'est imposé dans son Echa Leche (1-0) avant d'aller décrocher un résultat nul 2-2 à Quito. Le petit club des indigènes va donc découvrir une compétition continentale pour la première fois de son histoire. Une compétition qui donnera à son peuple une vitrine médiatique en dehors du pays. Pour que le sommet des Andes soit enfin dignement représenté.