La rivalité footballistique entre le Brésil et l'Argentine s'est construite au fil des matchs tendus et violents, aussi bien au niveau des joueurs que des supporters et dirigeants. L'un des premiers épisodes date de 1925 lors du neuvième championnat sud-américain de football.

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Au début du XXe siècle, l'Argentine et l'Uruguay dominent la scène continentale alors que le Brésil accuse un certain retard, ayant découvert le football plus de vingt-cinq ans après l'Argentine et l'Uruguay. La Celeste a remporté cinq championnats sud-américains, terminé une fois deuxième, et a enchanté l'Europe lors des Jeux olympiques 1924, organisés à Paris. L'Argentine est légèrement en retrait, avec un seul championnat sud-américain, remporté sur ses terres, mais s'impose comme la deuxième force du continent en atteignant cinq fois la deuxième place. Le Brésil a pour sa part remporté deux fois l'épreuve, à chaque fois à domicile, de manière enthousiasmante en 1919 et un succès beaucoup plus controversé en 1922. L'année 1925 est très importante pour le football sud-américain avec les premières tournées de clubs brésilien, argentin et uruguayen en Europe. Le Paulistano et Boca Juniors obtiennent des résultats sensationnels et le Nacional effectue une tournée longue de six mois. Après ces performances qui obtiennent un succès retentissant sur le continent sud-américain, le tournoi est très attendu par la population. Les trois géants doivent également affronter le Chili et le Paraguay.

Les Brésiliens de retour en Argentine

L'Uruguay déclare pourtant forfait suite à un conflit sur l'organisation du football. Peñarol et Montevideo Wanderers quittent l'Association uruguayenne de football (AUF) pour fonder la Fédération uruguayenne de football (FUF). Comme en 1923 et 1924, deux championnats sont organisés en 1925 à travers le pays mais les conflits sont tels qu'aucun des championnats ne parvient à son terme. L'Uruguay déclare donc forfait et est suivi par le Chili, qui n'a jamais gagné un match dans le Sul-americano avec trois matchs nuls et seize défaites en sept participations. Avec seulement trois équipes, le règlement est modifié et les nations s'affronteront sur un format aller-retour. Les joueurs brésiliens embarquent pour Buenos Aires et le smoking est obligatoire. Il est important de faire bonne figure, notamment après la polémique des « macaquitos ». Après le tournoi sud-américain organisé au Chili en 1920, le Brésil retrouve Buenos Aires pour disputer un match contre l'Argentine. Le journaliste uruguayen Palacio Zino écrit un article intitulé « les macaquitos en terre argentine » où il s'en prend violemment aux Brésiliens, un dessin d'un singe accompagnant le texte. L'article divise la sélection brésilienne sur l'attitude à adopter mais fait scandale à Rio de Janeiro, et un an plus tard, pour l'édition argentine de la Copa América, le président de la République du Brésil, Epitácio Pessoa, afin de se préserver des polémiques, interdit le voyage aux Noirs, autorisant seulement « le meilleur de notre élite footballistique, les garçons de nos meilleurs familles, les peaux les plus claires et les cheveux lisses. » En 1925, les joueurs sont également de bonne famille comme Fortes, Osvaldo et Nilo. Friedenreich, star de l'équipe et seul joueur avec du sang noir, est un « métisse aux yeux verts », à la peau claire et aux cheveux lisses.

Fleurs, tango et jet de pierres

Lors de la phase aller, le Paraguay s'incline 2-0 contre l'Argentine puis 5-2 contre le Brésil. Le climat entre Argentins et Brésiliens avant le troisième match de la compétition est cordial. La confédération brésilienne des sports (CBD) offre une palme de bronze pour rendre hommage au général San Martín, l'un des héros des indépendances sud-américaines. Avant le match, les capitaines Fortes et Américo Tesoriere s'échangent fleurs et statuette. Le Brésil ouvre le score par l'intermédiaire de Nilo mais souffre physiquement et s'incline finalement 4-1. La prestation est critiquée par le Correio da Manhã, pour qui « certains joueurs n'ont pas été sérieux à l'entraînement, ils manquaient de souffle et d'énergie en attaque. » Friedenreich, qui avait également profité de la nuit parisienne en début d'année, est accusé de sortir, accusations confirmées plus tard par le défenseur Delfim Peixoto : « avant le match contre l'Argentine, on a passé la nuit dans des cabarets au milieu de beaucoup d'alcool, de tango et de jolies filles. » La commission brésilienne prend des mesures, interdit l'alcool et les sorties après le dîner. Le Brésil se ressaisit en battant le Paraguay 3-1, imité quelques jours plus tard par l'Argentine, qui bat le Paraguay sur le même score et peut s'offrir le titre en cas de succès ou de match nul face au Brésil, lors du dernier match. L'affluence au stade est en baisse car le match a lieu le 25 décembre, mais 18 000 spectateurs garnissent les tribunes du Campo do Barracas en ce jour de Noël. À la demi-heure de jeu, Friedenreich ouvre le score sur une passe de Nilo. Trois minutes plus tard, les rôles s'inversent et Nilo double la mise. Le match se tend, et Muttis stoppe irrégulièrement Friedenreich avant d'insulter l'attaquant brésilien. Fried répond par un coup de pied et déclenche une bagarre générale, à laquelle viennent se joindre rapidement des supporters qui envahissent la pelouse, au cri des « macaquitos ». Ce terme date de la Guerre du Paraguay et était utilisé pour désigner péjorativement les soldats brésiliens, anciens esclaves pour la plupart. Bien que le seul joueur noir sur la pelouse ce jour-là soit l'Argentin Alejandro de los Santos, les Brésiliens sont victimes de racisme et sont considérés comme inférieurs aux Argentins. La dynamique sur le terrain s'inverse, l'Argentine réduit la marque en fin de première mi-temps, puis égalise grâce à Manuel Seoane alors que les supporters lancent sur les dirigeants brésiliens de l'eau et des pierres. L'Argentine obtient le match nul 2-2, synonyme de deuxième titre international.

Douze ans sans Brésil – Argentine

Les réactions brésiliennes à la « Guerra do Bacacas » sont diverses. Pour Hélcio, le match a basculé avec l'envahissement de terrain, « dans un autre pays, sans les supporters argentins, on aurait gagné facilement » alors que l'entraîneur Joaquime Guimarães se montre plus pragmatique : « au moins, on n’a pas reçu de la pisse » et critique la prestation des joueurs, à l'exception de Friedenreich, « le seul à maintenir son niveau habituel. » Le capitaine du match, Nascimento, rend même hommage aux Argentins : « Mes coéquipiers et moi avons été enchantés par le public argentin, qui a toujours été cordial. L'incident ne nous a pas gênés, même pour Friedenreich qui était impliqué dans la bagarre, et qui l'a expliqué par un moment d'énervement dans le match. » Les critiques les plus virulentes viennent du gardien remplaçant, le bien nommé Batalha, qui se confie pour le journal A Noite. Il critique l'organisation et le public argentin et confie que l'ambassadeur a conseillé aux dirigeants ne pas emmener leurs épouses au stade. L'affaire fait grand bruit au Brésil et à Rio de Janeiro, où les supporters se rassemblent Avenida Central pour protester contre les Argentins, même si les pauvres et les Noirs restent à l'écart du football de l'élite au Brésil. Le ministre des Affaires étrangères, constatant « l'incapacité du tournoi à rapprocher les peuples », suggère que le Brésil ne participe plus au championnat sud-américain. Le Brésil ne s'inscrit plus au tournoi jusqu'en 1937, même si d'autres raisons comme le conflit Rio – São Paulo, l'importance du championnat des sélections au Brésil et un conflit avec la CONMEBOL viennent expliquer cette absence. Pour son grand retour à la compétition, le Brésil affronte l'Argentine en finale. Deux bagarres générales, impliquant également les supporters et les policiers argentins, éclatent en première mi-temps, obligeant une pause d'environ quarante-cinq minutes. En 1946, les deux équipes en viennent encore aux mains au Monumental.

 Pas de doute, la rivalité footballistique entre l'Argentine et le Brésil a bien commencé en 1925, un soir de Noël.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.