À Xejuyup, un village perché dans les montagnes du sud du Guatemala, l'équipe de foot est devenue une attraction dans le pays. La raison ? Ils jouent en jupe traditionnelle et perpétuent culture et savoir-faire maya, érodés par la guerre civile et la mondialisation.

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Le micro le dérange, c'est une évidence. Miguel Perechú est en pleine communion avec ses joueurs, réunis en cercle autour de lui, et un bras pendu par-dessus de son épaule le fait grimacer. Un bras, mais surtout un micro, qui diffuse son discours d'avant-match en Quiché (langue régionale maya aussi épelée K'iche), aux quelques milles supporters de l'enceinte de Malacatán, petite ville du sud-ouest du Guatemala, proche de la frontière mexicaine. Mais tant pis pour l'intimité, il connaît les règles du jeu. Un match du Club Social Deportivo Xejuyup est un événement au Guatemala, c'est la seule équipe à jouer en tenue traditionnelle. Et il faut donc faire avec les indiscrétions médiatiques : « Je crois même qu'on doit être l'une des seules équipes au monde à jouer en jupe. Est-ce qu'il y a une équipe qui joue en kilt en Écosse ? », s'interroge Miguel, capitaine de l'équipe. 

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Onze d'agriculteurs 

Xejuyup, qui signifie « en dessous de la montagne », porte bien son nom. Centré sur la place du marché, encerclé par des plantations de café, canne à sucre, banane, le village fait face à un sommet généralement masqué par une brume persistante. Xejuyup ne déroge pas non plus à la règle des communes latino-américaines : peu importe sa taille, son nombre d'habitants, sa localisation, on y trouve (presque) toujours une église et un terrain de foot. Celui du Deportivo Xejuyup, en contrebas de la place du marché, sert de lieu de rendez-vous. Et c'est ici, à 10h du matin ce jour-là, après s'être levés à l'aube, que les joueurs montent dans le van pour quatre heures de trajet et le match du week-end contre une sélection de jeunes de Malacatán : « Personne n'est payé pour jouer dans notre équipe, on n'a pas le budget pour, précise Antonio, père de Miguel et fondateur du Deportivo Xejuyup. Les équipes qui veulent jouer contre nous financent le déplacement et la nourriture. Nos joueurs, tous des agriculteurs du village et autour, prennent sur leur temps libre pour venir avec nous. Et comme ils ne peuvent pas laisser tomber une journée de travail, ils remplissent leur tâche quotidienne avant de monter dans le van ».

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Artisanat vs maillot de l'OM 

C'est bientôt le coup d'envoi. Juste le temps pour une dernière photo souvenir, pour le moins surprenante. Miguel, regard froid et profond, en jupe noire et polo rougeoyant (respectivement appelé « coxtar » et « kutin » en Quiché), pose aux côtés du sélectionneur adverse, maillot de l'OM sur les épaules et l'air plutôt amusé. « C'est une illustration parfaite de la raison de l'existence de notre club », explique Antonio. « Les jeunes et même les clubs font le choix de porter des maillots, souvent faux, d'équipes européennes parce qu'ils sont moins chers. Quitte à ce que ces tenues n'aient aucun rapport avec leur club. Nous, on cherche juste à faire perdurer nos racines ». L'idée de promouvoir culture et savoir-faire maya à travers le foot vient à Antonio en même temps qu'on lui propose de reprendre le club, au début des années 80. Une période durant laquelle le Guatemala est également en proie à une longue guerre civile : « Les natifs du pays devaient alors se faire discrets. Nos parents ont, pour beaucoup, même arrêté de nous parler en Quiché, pour nous apprendre le Castillan et nous fondre dans la masse. Pareil pour les tenues traditionnelles qui disparaissent petit à petit. » Un mal auquel le Deportivo Xejuyup cherche alors, à son échelle, à remédier. 

Après la guerre civile, la mondialisation 

En 1996, la guerre civile prend fin, on parle alors d'un bilan de 200 000 personnes décédées, dont 80% de population indigène. La paix donne alors une autre raison d'être à son club. Sans la nommer, Antonio tresse un lien entre la mondialisation et la disparition de l'artisanat maya : « Avant la guerre civile, mais tout autant après la paix, de moins en moins d'hommes portaient le coxtar et la kutin simplement et logiquement parce que c'est moins cher d'enfiler un jean, un tee-shirt ou un maillot du Real Madrid, qu'une pièce faite main. » Mais aucune animosité ici. Juste l'envie de « rendre les gens fiers de leurs racines » et de garder vivant leur héritage artisanal. Au début, c'est la femme d'Antonio qui coud la plupart des tenues de l'équipe, un savoir-faire acquis de ses parents, mais surtout le travail de plusieurs mois. Et puis, petit à petit, en même temps que le Deportivo Xejuyup commence à se faire un nom dans le village et en dehors, d'autres petites mains se joignent à elle pour offrir à chaque joueur son équipement et pour pallier à toute sorte de détérioration matérielle. Aujourd'hui, chaque maillot est une pièce unique et a sa propre signification. « Le mien, par exemple, c'est le numéro 13 », approfondit Miguel, « il représente la bonté divine, la grâce de Dieu. » 

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Le poids des maillots 

Bien que visiteurs, les joueurs de Xejuyup sont acclamés sur chaque action par tous les supporters locaux de Malacatán. Et bien souvent, beaucoup d'entre eux sont surpris par leur niveau. « Parce qu'on joue en jupe, les gens pensent qu'on est nuls, qu'on est juste en représentation », raconte Miguel. « Et puis, ils prennent un but, un deuxième, voire un troisième... Là, enfin, ils finissent par nous prendre au sérieux. » C'est d'ailleurs ce qu'il se passe sur le terrain. 1-0, 2-0 et 2-1 pour le Deportivo Xejuyup à la mi-temps. Aucun doute, les tribunes sont conquises. Mais même si l'enthousiasme est là, les joueurs en jupe tirent la langue. La fatigue du déplacement, du travail matinal et les maillots alourdis par la sueur et la pluie - « ils pèsent vraiment lourds quand ils sont mouillés par la pluie ou la sueur » confirme Miguel - y sont pour beaucoup. Au final, le match se termine tout de même par une belle victoire 4-2 du Deportivo Xejuyup, non sans avoir bien souffert dans les dernières minutes de jeu et bénéficié de quelques décisions arbitrales. 

Et maintenant, une équipe féminine 

À terme, Miguel, aujourd'hui en charge du club, espère pouvoir rejoindre une ligue professionnelle : « C'est un rêve, on cherche aujourd'hui un moyen d'y arriver sans pour autant se compromettre. Ce genre de matchs montre qu'on a le niveau. L'idée d'un sponsor dénaturerait par exemple l'essence même du club. Il nous faut donc y réfléchir et trouver une solution alternative. » En attendant, il a décidé d'ouvrir de nouvelles catégories de jeunes et aussi une section féminine pour porter encore plus loin les valeurs du Deportivo Xejuyup. Plus de trente ans qu'ils attendent une réelle reconnaissance et aide de la fédération, ils peuvent encore patienter pour ne plus faire seulement office « d'attractions occasionnelles ». D'ailleurs, après le match de gala, les organisateurs du rendez-vous passent vite à la finale régionale, autre événement de la soirée. Pendant ce temps-là, Miguel, Antonio et toute l'équipe se restaurent aux frais des adversaires dans un restaurant voisin. Pas le temps pour eux d'assister à la finale, ou même de profiter des charmes de Malacatán. Demain, à l'aube, il y a travail.

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Par Ugo Bocchi pour Lucarne Opposee

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.