Alors que sa sélection et sa fédération traversent régulièrement de graves crises institutionnelles et sportives, la Bolivie cherche toujours à se faire une place dans une confédération peuplée de géants. À commencer dans les livres d'histoire, qui oublient souvent de rappeler qu'elle possède une riche histoire jonchée de moments de gloire. Retour sur plus de quatre-vingt-dix ans d’histoire de football bolivien.

bandeauprimeira

La Bolivie est souvent classée comme le petit poucet du football sud-américains, ses maigres résultats venant souvent en attester. Il n’en demeure pas moins que le football s’est installé très tôt au pays et compte, au long de son histoire, quelques moments de gloire.

Le football arrive en Bolivie alors que XIXe siècle est en train de tirer sa révérence. La Bolivie vit alors des années plus calmes qui ont succédé à la Guerre du Pacifique l’opposant au Chili quelques décennies après l’indépendance (lire L'autre bataille du pacifique). Le pays est sous la domination économique des deux grandes villes de l’altiplano, La Paz et Oruro. C’est à Oruro que le football arrive le premier, aidé par le lien ferré unissant la ville et celle d’Antofagasta. C’est ainsi que le 26 mai 1896 qu’est fondé le doyen, Oruro Royal, appuyé par un groupe d’ouvriers anglais de la compagnie de chemins de fer Bolivian Railway. oruroroyal Le club dispute son premier véritable match un an jour pour jour après sa fondation, le football est alors officiellement posé au pays. Oruro Royal restera plus tard dans l’histoire comme le premier fournisseur des premières sélections nationales bolivienne, notamment son gardien, Jesús Bermudez qui a depuis laissé son nom au stade de la ville. Le développement du football suit évidemment la croissance économique et va tout naturellement se poser à La Paz où Bolivian Rangers en 1901 et Thunder en 1906, présent face à Oruro lors du premier match inter-département de l’histoire au pays et qui donnera ensuite naissance à The Strongest (lire L’histoire d’un nom (24) : Club The Strongest). Le football s’organise, en 1914, la Asociación de Fútbol de La Paz (AFLP), première organisation de football du pays, est créée, elle organise le premier championnat amateur qui durera jusqu’aux années cinquante. Le sport roi commence à se répandre. Il se pose à Sucre la même année alors que du côté de Santa Cruz de la Sierra, le football se pose dès le début des années 1910, la Asociación Cruceña de Fútbol (ACF) voit le jour en 1917, elle aussi organise son tournoi jusqu’au milieu des années soixante. Suivent alors celles d’Oruro (1921), de Tarija (1922) puis de Cochabamba (1924).

Naissance de la FBF et de la sélection

La suite logique sera la création d’une fédération nationale qui offrira aux Boliviens l’occasion d’aller croiser le fer officiellement avec les autres pays du continent qui s’écharpent déjà lors des premières Copas América. Le 12 septembre 1925, la Federación Boliviana de Fútbol (FBF) est officiellement créée à Cochabamba, elle réunit sept associations créées au cours de la décade précédente. La nouvelle FBF demande alors son affiliation à la FIFA (obtenue en 3 mai 1926) puis à la CONMEBOL (obtenue le 12 octobre 1926). La Bolivie peut alors participer à son premier tournoi continental, le Campeonato Sudamericano de 1926 organisé au Chili. Le baptême est douloureux (défaites 7-1 en ouverture face à la Roja, Téofilo Aguilar restant comme le premier buteur de l’histoire de la sélection, 5-0 face à l’Argentine, 6-1 face au Paraguay puis 6-0 face à l’Uruguay). La Bolivie sera des championnats de 1926, 1927, 1945, 1946, 1947 et 1949 et, fait amusant, devra attendre vingt-quatre ans pour disputer son premier match à domicile, une victoire 2-0 face au Chili en février 1950 à La Paz. La Bolivie fait partie du casting de la première Coupe du Monde organisée en Uruguay en 1930, fortement composée par des joueurs venus d’Oruro alors considéré comme la meilleure sélection départementale du pays. Si le parcours de la Verde compte autant de défaites que de rencontres (0-4 face à la Yougoslavie et au Brésil), elle reste comme l’un des premiers membres de la grande compétition mondiale. Au niveau des clubs, la fin des années vingt voit les premières rencontres internationales se dérouler avec la tournée des Chiliens d’Unión Coquimbo, premier club à initier une tournée en Bolivie avant que d’autres, plus prestigieux, ne lui succèdent jusqu’aux années 1950. La suite est plus sombre avec la terrible Guerre du Chaco qui va voir tous les championnats locaux suspendu et surtout causer bien des victimes, les footballeurs n’y échappant pas (lire L’histoire d’un nom (24) : Club The Strongest). Le football va pourtant reprendre son cours, la sélection s’offre quelques moments de gloire, comme la victoire 3-2 face au futur champion du monde uruguayen lors du Campeonato Sudamericano de 1949, suivi d’une victoire face au Pérou et d’un 4-0 face à la Colombie (avant une énorme défaite face au champion brésilien 1-10). Nous sommes alors à l’apogée du football amateur au pays, en même temps qu’il touche à sa fin.

La catastrophe que fut la Coupe du Monde 1950, défaite 0-8 lors de l’unique match face à l’Uruguay, va marquer un tournant. La Asociación de Fútbol de La Paz décide alors de modifier ses statuts et devenir une association à la fois professionnelle et amateur. On se retrouve alors au début d’une période où le football bolivien oscille dans le semi-professionnalisme. Dès 1950, les championnats de La Paz sont professionnels, neuf équipes sont considérées comme membres fondateurs de cette nouvelle ère, parmi eux, les deux géants Bolívar et The Strongest mais aussi un club comme Always Ready, fondé en 1933 et qui sera le premier club bolivien à réaliser une tournée européenne dans les années soixante (vingt-sept matchs, des adversaires croisés tels que Schalke 04 et le FC Séville ou encore Lille comme unique représentant français). Les autres régions suivent tour à tour la marche vers le professionnalisme (citons Cochabamba et Oruro en 1954, Santa Cruz en 1965, Potosí en 1975). Durant cette période, la sélection dispute ses premiers matchs éliminatoires pour une Coupe du Monde (une victoire 2-0 à La Paz face à l’Argentine), les clubs découvrent la Copa Libertadores, son champion Jorge Wilstermann, la meilleure équipe bolivienne de la période, donnant le coup d’envoi de l’épreuve face à Peñarol (lire 19 avril 1960 : et la Libertadores vit le jour).

bolivie63

Du chaos à la Liga

La naissance de la Copa Libertadores nécessite des compétitions nationales claires pour définir le champion qui ira représenter le pays. Elle est à la base d’une extrême tension qui fragilise le football bolivien du début des années soixante. Lors du congrès de la FBF, il est décidé de passer par un championnat départemental dont les champions se croiseront lors d’un tournoi final nommé Torneo Mayor de Fútbol de la República qui deviendra ensuite Copa Simón Bolívar. La première édition se déroule en 1960 mais est marquée par le refus des paceños d’avancer leur demi-finale suite à la demande de la FBF. Ne restent donc que Wilstermann et Aurora, la fédération décide alors qu’au terme d’une série de trois matchs, le vainqueur sera décrété champion. Wilstermann l’emporte, mais le flou l’emporte. L’année suivante, on décide d’un championnat entre les vainqueurs des différents districts (et non des départements), en incluant toutes les équipes du pays. En 1962 et 1963, il n’y aura pas de championnat, la FBF se concentrant sur l’organisation de son Campeonato Sudamericano alors que des dissensions politiques ne cessent d’éclater entre FBF et AFLP.

Au même moment, la Bolivie bascule dans la dictature suite au coup d’État de 1964 qui met fin à la période dite de Revolución Nacional, la tension ne cesse de croître entre Cochabamba et La Paz. C’est à cette période que le football professionnel fait ses premiers pas à Santa Cruz. Ce sera l’un des tournants de l’histoire du football bolivien. La Asociación Cruceña de Fútbol (ACF) a été créée en 1917, organise son premier championnat professionnel en 1965, remporté par Destroyers, et voit ses représentants se montrer lors des Copas Simón Bolívar (Oriente finit troisième en 1965, Guabirá perd sa place de vice-champion sur tapis vert en 1968, Oriente décroche le titre en 1971). Au cours des années soixante-dix, de multiples tournées des grands clubs du continent passer par Santa Cruz (citons le Santos de Pelé en 1971). La même année, Mariscal Santa Cruz décroche le seul titre continental d’un club bolivien dans l’histoire du pays (une histoire à découvrir dans le LO magazine n°6). Le paysage est alors clairement dessiné : La Paz se divise essentiellement entre Bolívar et The Strongest, Cochabamba est sous domination de Wilstermann, Santa Cruz sous celle d’Oriente. Il faudra une autre crise pour que le football national subisse une nouvelle réorganisation.

ligaEn juillet 1977, la Bolivie dispute le deuxième tour de la campagne de qualification à la Coupe du Monde 1978 après avoir éliminé l’Uruguay grâce à un 2-2 à Montevideo. À Cali, le tournoi tourne au cauchemar : 0-8 face au Brésil, 0-5 face au Pérou, tout un football vacille de nouveau. Au même moment, l’AFLP est en crise et ne parvient à gérer les conflits entre les géants et les petits de La Paz. Au point que les présidents des trois géants que sont Bolívar, The Strongest et Always Ready décident de quitter l’association. Nous sommes alors un mois après la débâcle de Cali. La cause de la crise était simple : les différentes associations étaient sous contrôle des plus petites équipes qui décidaient de tout quand les géants n’avaient aucun rôle, ces derniers considérant alors que cela impactait l’ensemble du football bolivien, jusqu’à la sélection. Les trois dissidents décident alors de créer leur propre ligue : la Liga del Fútbol Profesional. Ils sont alors soutenus par Mauro Cuellar, président de la FBF qui va alors mettre en place la nouvelle ligue nationale professionnelle qu’elle gèrera, sans passer par les associations départementales. La pyramide du football bolivien se met alors véritablement en place sous l’égide de la fédération avec qui elle va pourtant prendre ses distance. Cuellar parvient à convaincre les grands clubs des autres villes. La Liga est en marche, elle est officiellement créée en tant qu’entité indépendante le 23 août 1977, Alfredo Salazar en est son premier président. L’élite débute à vingt équipes et verra son nombre réduire au fil des années pour passer à douze à partir de 1989. Elle résistera jusqu’en 2018 avec la création de la División Profesional après que la FBF a repris le contrôle du football local suite à une nouvelle crise que la football bolivien traverse encore.

Rayons de soleil

Car si l’histoire du football bolivien est parsemée de crise, il connait tout de même deux périodes dorées. Celle du Campeonato Sudamericano de 1963 et la génération dorée des années quatre-vingt-dix. La première correspond à un long chemin de deux années, une construction longue d’une sélection réunie à partir de juillet 1962 dans un seul but : briller chez elle pour son Campeonato Sudamericano. Les championnats sont suspendus, Danilo Alvim vient prendre les rênes de la Verde et débute par deux déroutes face au Paraguay. Si l’Uruguay décline de participer, le Chili n’est pas invité, l’Argentine envoie des pibes, le Brésil ne présente pas l’équipe championne du monde, la Bolivie joue sous pression constante. Elle débute par un 4-4 face à l’Équateur qui ne rassure pas forcément, écarte ensuite la Colombie avant de connaître ses trois moments de gloire. Le premier face au Pérou à La Paz (victoire 3-2), la deuxième face au Paraguay lors de la revanche des débuts de Danilo Alvim (2-0), le troisième face à l’Argentine. Avec son football mélange de garra et de talent, la Bolivie mène deux fois au score, se fait reprendre, manque un penalty juste avant la pause mais s’impose sur une tête de Castillo à deux minutes de la fin. Ne reste qu’un obstacle, le Brésil déjà hors course. La Verde doit s’imposer sous peine de voir le Paraguay la doubler en cas de victoire des Paraguayens couplé à une défaite des Boliviens. Il n’en sera rien. Alors que les Guaraníes concèdent le nul face à l’Argentine à l’Hernando Siles de La Paz, au Capriles, la Bolivie offre une nouvelle course poursuite totalement folle face aux Auriverdes pour décrocher son premier et unique titre.

Il lui faudra attendre trois décennies pour connaître de nouveau la fierté des victoires. Pour cela, elle s’appuiera sur la génération des Erwin Platini Sánchez, Marco El Diablo Etcheverry, et autre Julio César Baldivieso, le tout encadré par un sélectionneur venu du pays basque, Xabier Azkargorta. Une génération qui enverra la Bolivie à sa dernière Coupe du Monde, celle de 1994 et qui s’inclinera en finale de la Copa América 1997 qu’elle organise, battue en finale par le Brésil d’un gamin nommé Ronaldo. Une génération dont on vous raconte l’histoire dans le LO mag n°3 et dont la Bolivie attend encore les descendants aujourd’hui.  

 

 

Article initialement publié le 2/06/19, dernière mise à jour le 12/09/22

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.