José Nasazzi, José Leandro Andrade, la gloire, la descente, Sergio Markarián, Óscar Washington Tabárez, un titre, la gloire à nouveau, la chute sans fin, la chute encore et toujours, jusqu'à la mort. Et quand on croit que tout est perdu, une renaissance, un espoir, une lumière autant qu'une prière. Voici l'histoire du football uruguayen et du Club Atlético Bella Vista, entremêlées à jamais.
Comme nous l'avons déjà vu avec Peñarol ou Fénix, au début du siècle le développement du football uruguayen accompagne celui d'une ville, Montevideo, et souvent de ses trains, ses nouvelles entreprises, ses arrêts, ses terrains. Quatre clubs ont participé à la création de l'AUF en 1900, mais la ville se développe rapidement et, à mesure que la Celeste décroche les titres continentaux, chaque quartier souhaite avoir son club. C'est le cas du quartier de Bella Vista, du nom de la gare de train qui relie Montevideo à l'intérieur en passant par Las Piedras. Le 3 octobre 1920, l'Uruguay vient à nouveau d'être sacré championne d'Amérique du Sud au Chili, l'occasion de se réunir le lendemain au Club Social du quartier, pour créer un club de football qui portera le nom de Club Atlético Bella Vista, le tout sous les hospices amicaux du curé du quartier. Avant la fin du mois d'octobre, les jeunes du coin s'engagent à défendre le club et ses couleurs, parmi ces jeunes se trouvent un certain José Nasazzi. Les couleurs choisies sont celles du jaune et du blanc, les mêmes que celles de la papauté catholique, et le club porte donc le surnom de « los papales », ceux du Pape. Le club choisit ces couleurs à cause de son premier terrain, mis à disposition par un collège catholique, mais la légende veut aussi que ce soit un savant mélange entre Peñarol (jaune) et Nacional (blanc). Le club joue son premier match officiel lors de la saison suivante, au sein de la ligue Extra (troisième division) contre le Racing. Victoire trois buts à un de Bella Vista.
Premières légendes
La première saison est un succès, puisque le club remporte son premier titre et ainsi le droit de jouer en deuxième division, dite division intermédiaire. C'est à ce moment que José Nasazzi peut rejoindre le club de son quartier, nous sommes en 1922. Nasazzi n'a pu jouer en 1921 car son club de Lito ne souhaitait pas le laisser jouer pour un autre club, il a donc dû passer un an sans jouer pour un autre club, en dehors des cercles de l'AUF. Grâce notamment à de grandes performances de son capitaine, Bella Vista réussit l'exploit d'une deuxième montée de rang, et rejoint l'élite deux ans après sa formation. En 1923, pour sa première participation à l'élite du football uruguayen, l'équipe termine troisième d'un championnat fracturé suite au départ de Peñarol et Central Español. L'équipe d'Uruguay ne pouvant être composé que de joueurs appartenant au championnat de l'AUF, l'équipe mise en place pour le tournoi sud-américain puis les Jeux Olympiques 1924 comporte de nombreux joueurs de Bella Vista, du Capitaine Nasazzi à la star José Leandro Andrade. En 1924, Bella Vista termine deuxième du championnat, avant de rentrer dans le rang petit à petit avec le retour à un championnat normal en 1927. En 1930, le premier capitaine champion du monde est aussi celui de Bella Vista, Nasazzi. Le club décide d'en profiter et d'imiter Nacional qui avait fait une large tournée en Europe en 1925. Fin 1930, début 1931, à peine dix ans après sa fondation, il effectue une large tournée l'emmenant d'abord sur la côte pacifique, puis au Mexique, aux États Unis, avant un retour par les Caraïbes et le Brésil, invitant sept autres champions du monde pour ce voyage. Le club réussit une série impressionnante de victoires, battant notamment l'América mexicain deux fois. Cette tournée est aussi la dernière de Nasazzi avec son club, le club de son quartier. En 1933, le Maréchal quitte Bella Vista pour Nacional. Ce n'est pas encore un transfert, mais le joueur touche une prime de signature. Il reverse cette prime au club pour qu'il puisse construire, sur un terrain déjà acheté, les premières tribunes de son propre stade, le stade José Nasazzi. Pendant quelques années, le Maréchal reviendra en étant capitaine du Nacional, jouer contre Bella Vista dans un stade portant son nom. Dans la foulée, le club n'y arrive plus et descend pour la première fois en deuxième division en 1941. Vingt ans après la première Coupe du Monde durant laquelle Bella Vista avait été protagoniste, le club redescend à nouveau en deuxième division en 1950. Le club y reste dix-huit ans, jusqu'à 1968.
1968 est l'année du décès du grand capitaine, l'un des joueurs qui a fait le club, José Nasazzi. Quatre mois après son décès, le club joue une finale contre Huracán Buceo pour l'ascension en première division. Les deux clubs étant très populaires, le match est déplacé au Centenario. Le 13 octobre, c'est devant soixante mille personnes que se joue la finale entre ces deux clubs qui auront un destin similaire bien des années plus tard. Bella Vista l'emporte deux à zéro, et retrouve l'élite, rendant ainsi un premier hommage au grand Maréchal. Les dirigeants iront se rendre sur sa tombe le soir même pour le saluer. Quelques heures plus tard, au même Centenario, le gardien de Peñarol Ladislao Muzerkiewicz bat le record d'invincibilité d'un gardien en championnat uruguayen avec 987 minutes, devant « seulement » un peu plus de seize mille personnes. Bella Vista termine troisième pour son retour en première division, et Huracán Buceo les rejoint au sein de l'élite l'année suivante. En 1975, le club descend en deuxième division et décide faire confiance à un homme jeune, aux méthodes nouvelles, Sergio Markarián. Le jeune entraîneur n'a jamais réussi à se faire un nom en tant que footballeur, malgré un passage par la formation de Lanús, quand il vivait avec ses parents en Argentine. Mais il rentre en Uruguay, reprend ses études pour être professeur de sports. Il obtient son diplôme et est nommé, à 31 ans, entraîneur de Bella Vista en deuxième division. Le club remonte immédiatement, et termine sixième lors de son retour dans l'élite. L'année suivante, Markarián quitte le club, en même temps qu'un des joueurs y termine sa carrière, Óscar Washington Tabárez. Mais une série commence en 1981 avec la première qualification en Libertadores. Le club termine deuxième mais en reste là car Peñarol remporte le groupe et une seule équipe avance à la phase suivante. Durant cette période, de 1980 à 1983, Tabárez fait ses débuts en tant qu'entraîneur auprès des équipes de jeunes, mais il n'entraînera jamais l'équipe A. Le Bella rejoue la Libertadores en 1985, avant de réussir son plus grand exploit en 1990 : obtenir le titre de champion.
Au sommet de l’Uruguay
Pendant longtemps, les titres uruguayens ont été trustés par Peñarol et Nacional, unique champions d'Uruguay à l'époque professionnel jusqu'en 1976. Cette année-là, un homme, Ricardo De León, emmène ses joueurs du Defensor vers le premier titre d'un « petit ». Le chemin est balisé, et les petites équipes vont en profiter pour battre les deux monstres à de nombreux reprises, dont notamment cinq fois d'affilés entre 1987 et 1991. Defensor gagne son deuxième titre en 1987, avant d'être suivi par Danubio et Progreso. Alors en 1990, quand les hommes de Manuel Keosseian remportent trois victoires lors des trois premiers matchs de la saison, ils commencent à être pris au sérieux. Une défaite contre Nacional ramène tout le monde sur terre, avant un match nul important contre Peñarol. Le début d'une série car le club enchaîne dix-huit matchs sans défaite et domine le classement au milieu de la saison. Lors des matchs retours, les jaunes et noirs dominent successivement Nacional deuxième et Peñarol troisième, et s'envolent vers le titre. Le club est finalement sacré champion à trois journées de la fin, contre Cerro, sur un but de Rúben Silva, et peut coudre cette magnifique étoile sur le maillot. L'équipe inclut quelques connaissances, tel Julio Morales ou Álvaro Gutiérrez.
L'année suivante, le club joue à nouveau la Libertadores mais ne sort pas de son groupe, malgré de bons nuls notamment contre Flamengo. Le club descend en 1994, mais remonte presque immédiatement, en 1997, de la main de Julio Ribas, qui a quitté les terrains pour prendre les commandes du club. En 1998, de retour parmi l'élite, le club dispute la Liguilla Pré-Libertadores reprenant les équipes ayant terminé de la deuxième à la cinquième place du classement annuel. Le troisième match est une sorte de finale entre Bella Vista et Peñarol. Ce match est marqué par l'un des plus beaux buts de l'histoire du club, celui de Leonel Pilipauskas, d'un retourné de l'extérieur de la surface. Ce but permet au club de se qualifier pour une cinquième Copa Libertadores en 1999. Le club y réussit l'exploit d'aller jusqu'au quarts de finale, battant en poule Monterrey puis Estudiantes de Mérida, avant de vaincre en huitième l’Universidad Católica. Le club finit par plier en quarts contre le Deportivo Cali. L'année suivante, souhaitant passer un cap, les dirigeants choisissent Sergio Batista comme nouvel entraîneur, c'est un échec total, que ce soit en Libertadores ou en championnat, le jeune Martin Lasarte reprend l'équipe en cours de saison. Le club finit par descendre en deuxième division en 2004. Il remonte, puis redescend, puis remonte, participe à la Copa Sudamericana en 2011, mais descend à nouveau en 2013. Avec deux millions de dollars de dette, le club dépose le bilan et est désaffilié de l'AUF.
Renaissance
Comment un club ayant une telle histoire a-t'il réussi à déposer le bilan avec une telle dette ? Des années de gestion amateur, et un endettement sur tout ce qu'il est possible de s'endetter ont tuer le club. Les dernières ventes de joueur par exemple, Federico Rodríguez et Pablo Cepellini, ne rapportent rien, leurs droits étant déjà cédés. Les matchs contre Peñarol ou Nacional ne rapportent rien, le bénéfice de la vente des billets étant déjà cédé. En 2013, comment payer les dettes de salaire quand toutes les rentrées possibles ont déjà été hypothéquées à vil prix ? Un nouveau président essaie de reprendre le club, mais avec le passif, il est impossible de faire face. Le club continue donc avec les équipes de jeunes, mais disparaît des structures principales de l'AUF. La fin de quatre-vingt-dix ans d'histoire. Le stade Nasazzi, propriété du club, commence à être utilisé par d'autres clubs sans stade comme Boston River. Heureusement, le club continue avec un budget minimal à faire vivre ses équipes de jeune. En 2016, de la main de quelques supporters du club, le projet naît de faire revivre le grand Bella Vista. Comme en 1920, le club recommence en troisième division (appelé désormais deuxième division amateur). Au bout du suspense et d'une finale contre une très vieille institution, Colón, Bella Vista remonte immédiatement en deuxième division professionnelle et retrouve donc ce statut si important. Le club lutte désormais pour ne pas redescendre immédiatement.