Originaire du vieux Montevideo, relocalisé au quartier du Cerro, pour finir par réussir à dominer le monde avec des joueurs dans les équipes championnes du monde, Rampla a marqué de son empreinte le football uruguayen et reste aujourd’hui l’une des équipes que l’on peut nommer le « troisième grand », derrière Peñarol et Nacional. Même si le club fait des aller-retours express entre la première et la deuxième division, son histoire reste riche et ne sera pas oubliée. La voici.

banutip

Connue comme une équipe du quartier de Cerro, Rampla Juniors a fait été fondé dans la zone du port, de la douane à l’époque au centre-ville, le sept janvier 1914. Le club est fondé au sein du bar Trocadero, au coin de la rue Rampla et de la rue Solís. Au moment de nommer le club, on ne sait pas trop comment l’appeler. Il est fondé pour participer aux ligues de quartier, pour l’amusement de ses fondateurs. Il prend le nom de RAMPLA, la rue et la zone du port dont il est originaire, et aussi le nom de JUNIORS, les fondateurs pensant que ce serait la traduction des « Jeunes de Rampla » en anglais, la langue du football. Le premier maillot est un maillot vert, avec une frange rouge. La légende veut que ce soit les couleurs du fanion du bateau entrant dans le port à ce moment-là, mais cette théorie est peu probable, et c’est sans doute plus prosaïquement et comme pour beaucoup d’autres clubs les couleurs qu’il restait au vendeur de maillots ce jour-là. Le club est un membre fondateur de la troisième division, dite Extra. Mais rapidement, Rampla est à l’étroit dans cette bande de terre entourée d’eau qu’est la vieille ville, et s’exile donc dans les nouveaux quartiers de l’ouest de Montevideo où de nombreux autres clubs apparaissent simultanément en même temps que la ville s’étend. Le club s’installe au pied d’un grand entrepôt frigorifique, le SWIFT. Les années dix ont en effet bénéficié pleinement de la guerre en Europe, l’Uruguay exportant de la viande en boîte sur le vieux continent dont la terre brûle. Dans les tranchées, on mange par exemple de la viande en boîte Frey Bentos, du nom d’une ville de l’intérieur de l’Uruguay ayant également plusieurs entrepôts frigorifiques. Les élevages sont amenés aux abattoirs, la viande est mise en conserve dans les entrepôts, puis envoyée par bateau en Angleterre ou en France pour nourrir les vaillants guerriers qui s’entretuent. Les employés sont appelés les « Friyis », prononcés « frigies », et les joueurs du club commencent à porter ce surnom. Trois ans après être arrivé dans le quartier du Cerro au pied de l’entrepôt frigorifique SWIFT, le club monte en première division. Nous sommes en 1922. À la même période, un groupe d’habitants du quartier refuse que ce club fondé en centre-ville soit celui des gens du quartier. Un club 100 % Cerro est donc fondé, le CA Cerro. La rivalité entre les deux clubs ne cessera plus, c’est la naissance du clásico de la villa del Cerro.

rampla29

Dans cette équipe de première division de 1922 joue un défenseur présent au club depuis trois ans après avoir joué dans d’autres équipes de jeune du quartier du Cerro dont il est originaire, el Indio Pedro Arispe. Grâce à lui et à la paire qu’il forme avec Juan Carlos Vidal en défense, l’équipe monte en 1922, puis termine deuxième du championnat en 1923. Si l’époque est trouble pour le championnat, avec la fameuse scission de Peñarol, elle est glorieuse pour la sélection puisque la Celeste gagne le championnat sud-américain 1923 avant de partir en 1924 à Paris gagner le Championnat du Monde conjointement organisé par la FIFA et le CIO. Arispe et son compère Nasazzi forment une charnière indéboulonnable. C’est le seul joueur de Rampla Champion du Monde 1924. À son retour au quartier, il est nommé capitaine de l’équipe. Le championnat ne se dispute pas durant une année, Arispe est même prêté par Rampla à Nacional qui fait une tournée en Europe en 1925, puis reprend en 1927 dans un format exceptionnel pour l’époque avec vingt équipes, reprenant les deux ligues qui coexistaient durant la scission. C’est le moment de l’heure de gloire de Rampla. Dans l’un des plus longs championnats de l’histoire, avec trente-huit matchs, l’indien Arispe emmène son équipe vers son premier et jusqu’ici unique titre de champion d’Uruguay. Lors de la phase aller, Rampla dispose de Cerro, de Peñarol et de Nacional. La phase retour est plus compliquée, avec notamment une défaite contre Peñarol et un match nul arraché zéro à zéro contre Nacional, mais une victoire le cinq février 1928 trois à zéro contre Olimpia consacre définitivement Rampla comme champion 1927… avec des buts de Conrado Bidegain et Francisco Mereles. Le club décroche son étoile, avant qu’Arispe ne quitte le groupe pour aller gagner la deuxième de l’Uruguay en s’imposant contre l’Argentine à Amsterdam. Il appellera malgré tout le titre de 1927 son « trésor inappréciable ». Dans les cages de Rampla joue déjà un certain Enrique « le poulpe » Ballestrero, qui ne joue pas encore en sélection.

L’année 1929 est divisée en deux pour le club avec un premier semestre au cours duquel l’équipe voyage en Europe pour faire une tournée comme Nacional avait pu le faire en 1925, tournée qui est racontée dans le magazine 9 de Lucarne Opposée. Le club passe par de nombreux pays dont l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Espagne, et s’impose lors de ses trois matchs joués en France contre le HAC, l’Olympique de Marseille et le Red Star, trois puissances du football français de l’époque, malgré l’absence d’Arispe resté au pays. De retour en Uruguay, le club participe au championnat 1929 et termine deuxième. En 1930, le football s’arrête un temps en Uruguay pour laisser place à la première Coupe du Monde de la FIFA. Arispe ne joue plus en sélection, en logiquement c’est Andrés Mazali qui doit garder les cages de la Celeste, comme il l’a fait à Paris et à Amsterdam. Mais un soir de mai, durant la préparation, le gardien de Nacional quitte en douce ses coéquipiers pour rejoindre sa douce… et s’étant fait prendre, il est exclu de la sélection. Enrique Ballestrero, gardien de Rampla Juniors, devient donc gardien titulaire de la sélection, et emporte la Coupe au Centenario en ce trente juillet 1930. Il gardera les cages de Rampla jusqu’à 1935, année où il commence à jouer pour Peñarol. Il est aussi champion d’Amérique du Sud 1935 à Lima. Le gardien Champion du Monde habitait la rue du siège du club dans le quartier de Cerro, et continuait son activité de conducteur au sein du frigorifique SWIFT.

La crise de 1929 frappe de plein fouet le quartier du Cerro qui était alors intégralement tourné vers l’export. Cela se ressent sur les résultats du club qui rentre petit à petit dans la norme avec des positions au milieu de classement, derrière Peñarol et Nacional, qui se retrouvent désormais en haut du classement, lancés à fond depuis l’arrivée du professionnalisme en 1931. Le club réussit malgré tout à terminer à nouveau deuxième en 1932, puis en 1940, mais l’équipe descend pour la première fois de son histoire en 1944. Elle remonte immédiatement, et va vivre pleinement la fin des années quarante ainsi que le début des années cinquante avec notamment un joueur, le défenseur William Martínez, qui fait la joie de l’équipe et de la sélection. Il est champion du monde 1950 mais sans jouer, participe pleinement à la Coupe du Monde 1954. Rampla remporte de nouveaux titres avec les torneos competencias 1950 et 1955 (sorte de tournoi de préparation au championnat), et participe à une nouvelle tournée en 1956 au Brésil puis en Europe. Malheureusement, le club traverse des jours de plus en plus difficiles, redescend en 1970 et passe depuis plus d’années en deuxième division qu’en première. Le club était bien remonté en 2016 avec à la clef une première participation en coupe continentale en 2018 avec un tour passé en Copa Sudamericana contre UTC avant de perdre au deuxième tour contre Santa Fe. Malheureusement, en 2019, le club descend à nouveau et retrouvera la deuxième division en 2020.

Le quartier de Cerro reste un quartier difficile aujourd’hui, où les vieux bâtiments des frigorifiques ont rendus l’âme. Il continue de vibrer pour chaque clásico entre Rampla et Cerro à travers d’histoire de vies comme celle que nous vous avions raconté entre Justo et Nico, père et fils. Les deux équipes ont chacun leur stade, avec un « monumental » Trocoli côté Cerro, et le Parque Nelson côté Rampla, inauguré le trente décembre 1923. Il était nommé du nom de l’Amiral anglais Nelson, jusqu’à être renommé en 1980 sous son nom actuel, Stade Olímpico. Le stade avait fait l’objet d’important travaux dans les années soixante, à l’occasion desquels les propres supporters du club avaient participé à la construction d’une tribune. En recherche de pierres, ils avaient fait le tour du quartier pour prendre tout ce qui pouvait servir de caillou, de remblais, de briques… au point d’apporter un surnom aux supporters du club : les picapiedras, les voleurs de pierres. Ce stade est le plus beau du monde, avec une superposition de plan comprenant un terrain de football, des bateaux, le Rio de la Plata, la vieille ville de Montevideo, et justement ce port au bord duquel est naît le club en 1914.

olimpico

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba