Le Danube est un fleuve magnifique qui s'étend sur toute l'Europe de la forêt noire à la Bulgarie, ou il se jette dans la mer noire. Au début des années trente, en Uruguay, une famille d’immigrés bulgares va se souvenir de son pays natal et fonder un club de football qui est aujourd'hui encore parmi les piliers du championnat, le club a la franja, le Danubio Fútbol Club. Voici son histoire.

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Que c'est loin Maroñas depuis la Bulgarie. Les clubs de football uruguayens se sont développés en plusieurs temps, d'abord les clubs anglais (Albion, CURCC) puis des clubs du centre historique de Montevideo (Montevideo Wanderers, Uruguay Athletic, le défunt River Plate FC). Puis vint un développement vers l'Est et le port, qui correspond au développement industriel de la ville (Fénix, Racing, CA Cerro, Rampla Juniors, Bella Vista...). Malgré les problèmes de scission du football uruguayen des années vingt, le championnat est déjà bien consolidé avec dès ces années les mêmes clubs que l'on retrouvera bien des années plus tard encore en première division. Parmi les clubs uruguayens importants jouant au XXIe siècle, il ne manque que les clubs de l'intérieur, rattachés à l'AUF dans les années quatre-vingt-dix suite à la volonté de couverture de tout le territoire de la fédération, mais aussi un autre club, celui du quartier de Maroñas. On dit « quartier » aujourd'hui car il y a continuité avec Montevideo mais à l'époque, Maroñas est en pleine campagne, une zone d'établissement d'immigration des îles Canaries. Le nom du coin, Maroñas, vient d'une boutique tenue par Juan Maroñas, dont les trois filles étaient des beautés légendaires selon le site officiel de Danubio FC. Dans cette ville qui se développe entre les champs, des jeunes ont déjà fondé des clubs, mais aucun n'arrive à imposer sa structure et à se développer au-delà de Maroñas. Finalement, des jeunes de l'école publique « République du Nicaragua » se réunissent en 1931 autour notamment de Miguel Lazaroff et de son frère Juan, mais aussi d'autres locaux, pour commencer à s'entraîner en face de la maison de Doña María Mincheff de Lazaroff, mère de Miguel et Juan. L'entraîneur, Jorge Mincheff, n'est autre que le frère de Doña María. Il jouait déjà au foot en Bulgarie avant d'arriver en Uruguay. L'équipe prend le nom de Tigre et joue son premier match avec un t-shirt blanc et un logo noir cousu au niveau du cœur par Doña María. Tigre perd un à zéro son premier match contre Plaza de Deportes de la Unión, mais une pierre est posée, un collectif est né. L'été met en pause toute velléité de continuer immédiatement le projet, mais les jeunes se donnent rendez-vous à la rentrée, le premier mars.

1932-1948 : les débuts d'une équipe de quartier

Mars est le mois de la rentrée scolaire en Uruguay, le début de l'automne, la reprise des affaires après les fêtes de fin d'années, les vacances scolaires et l'importantissime carnaval. C'est en cette rentrée 1932 que les joueurs de Tigre se réunissent à nouveau et décident de vraiment commencer une histoire en fondant un vrai club. Les couleurs blanches et noires restent, mais le nom reste en débat. Doña María propose de fonder le Maritsa, du nom d'une rivière bulgare dans laquelle elle se baignait durant son enfance, rivière qui en son embouchure est toujours la frontière entre la Turquie, la Grèce et la Bulgarie. Le nom paraît trop féminin aux jeunes, et Doña María propose alors le fleuve Danube, et donc plus précisément en version espagnole, Danubio. Le club est né. Il n'est pas tout de suite inscrit à l'AUF, et commence plutôt comme club de jeunes au sein du quartier. Danubio s'inscrit d'abord dans les ligues de jeunes, puis en 1936 au sein de la ligue de quartier Parque Rodó. Comme un club a déjà un maillot vert et blanc à bandes verticales dans cette ligue, le club choisit de conserver ses couleurs blanches et noires et de partir au combat avec une frange noire qui traverse le maillot. C'est la naissance du maillot actuel et de l'un des surnoms du club, la franja. Le 8 mars 1941 le club s'inscrit pour la première fois à une division AUF, l'Extra, qui est alors la troisième et plus basse division de la pyramide. Son nouveau président Hugo Forno, voit les choses en grand et souhaite monter en première division. Danubio remporte le championnat Extra, évolue quelques saisons en deuxième division jusqu'à obtenir une place dans le championnat de première division, le seul professionnel à cette époque.

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Danubio joue son premier match professionnel le 25 avril 1948, et ce match reste dans l'histoire car l'équipe de Maroñas arrive à battre le grand Peñarol de l'époque, un Peñarol dont la base sera championne du monde deux ans plus tard à Rio. Pendant quarante années, le club va alterner les très bons moments avec deux deuxième places et deux relégations vites oubliées grâce à une remontée systématique lors de l’exercice suivant (la dernière remontée datant de 1971). Le club participe à sa première compétition continentale en 1978, la Copa Libertadores, dans un groupe comprenant Peñarol et deux clubs colombiens, Deportivo Cali et Junior. L'équipe paie pour apprendre, terminant dernier du groupe malgré une victoire et deux matchs nuls. La Franja se qualifie à nouveau pour la Libertadores en 1984, en étant dirigée par un certain Óscar Washington Tabárez, terminant troisième de son groupe, derrière notamment Nacional. L'équipe, en progression constante, se prépare pour son heure de gloire.

Le premier titre de 1988

En 1981, Héctor Del Campo prend la direction d'un club stable, ancré dans le quartier. Au fil des années, il embauche à la tête de l'équipe des techniciens de grandes qualités comme donc Tabárez mais aussi Luis Cubilla entre 1986 et 1987. En cette année 1988, l'équipe est emmenée par Ildo Maneiro (passé en tant que joueur par l'Olympique lyonnais). L'entraîneur a à peine quarante ans, mais réussi la recette parfaite avec ces joueurs formés au club dans leur immense majorité, d'Eber Moas au meilleur buteur du championnat Rubén Da Silva. danubiocampeonSur vingt-quatre matchs, l'équipe en gagne dix-huit et est sacrée championne dans son stade, à trois matchs de la fin du tournoi, lors d'une victoire un à zéro contre Progreso. Cinquante ans après sa fondation, Danubio rentre dans le club très fermé des équipes championnes d'Uruguay à l'époque professionnelle. L'équipe de Maroñas n'est que la quatrième équipe après Peñarol, Nacional et Defensor à être championne d'Uruguay dans l'ère professionnelle, une ère ayant pourtant démarrée en 1930, une année avant la fondation du club. L'année suivante, le club réussi ce qui reste comme sa meilleure participation en Copa Libertadores en atteignant les demi-finales, éliminant dans l'ordre The Strongest en phase de groupes, puis les compatriotes de Nacional en huitièmes et les Chiliens de Cobreloa en quarts. En demies, la marche est trop élevée face aux futurs champions, Atlético Nacional. Le club perd en 1989 ses meilleurs joueurs et repart dans un nouveau cycle de formation, pour l'équipe qui prend à l'époque le surnom d'Université du football uruguayen, surnom partagé avec d'autres équipes comme Defensor.

2004-2014, la décennie dorée

En 2004, un Del Campo reprend la direction du club : Arturo Del Campo, fils d'Héctor. La clef de la réussite sera la même qu'en 1988 : une certaine continuité footballistique (le club terminant troisième en 2003, participant en 2004 à la Sudamericana et conservant la majorité de ses joueurs), un entraîneur exigeant (Gerardo Pelusso) et tout un tas de joueurs sortis du centre de formation, avec notamment Walter Gargano, Ignacio González ou Juan Manuel Salgueiro. Danubio domine une bonne partie de la saison, mais doit jouer une finale contre Naciona, car ces derniers ont remporté l'un des trois tournois de la saison, les deux autres étant remportés par Danubio. Dans ce qui n'est pas vraiment un match aller-retour, le club bolso domine dans les grandes largeurs le match aller (4-1) et n'a besoin que d'un nul au retour pour jouer une troisième finale. Le match se déroule à Jardines del Hipódromo, sous la pluie, Danubio n'arrive pas à marquer, souffre. À la 93e minute, alors que la club à la bande noire joue à dix, alors que le match arrive à son terme, Salgueiro tire un ultime corner sur la tête d'Ignacio Risso. Ce dernier remet dans les six mètres pour Perrone qui trompe le gardien d'une petite talonnade. Danubio décroche ainsi son deuxième titre national.

En 2006/07 puis en 2013/14, après que le championnat est passé pour un temps en format européen, l'équipe remet le couvert avec deux nouveaux titres. Celui de 2006 est avec la même base que deux années auparavant, notamment un Walter Gargano immense au milieu de terrain aidé par Carlos Grossmüller. Au premier semestre, en attaque, un petit jeune, Edinson Cavani, participe à la fête. L'entraîneur est alors Gustavo Matosas. Le quatrième titre, celui obtenu en 2014, est le moins logique des quatre mais peut-être le plus beau. Dirigé par Leo Ramos, l'équipe emporte l'Apertura avant de s'effondrer lors du Clausura et d'avoir donc à gagner plusieurs finales contre le vainqueur du Clausura et du classement annuel, Montevideo Wanderers. Ce match de légende vous est narré dans le magazine LOmag 5. Depuis, Danubio a souffert de la fin de la décennie avec des difficultés financières et des troubles en dehors des terrains avec la démission de son président en 2019 suite à une agression subie par des pseudo-supporters du club. Pour la saison 2020, Arturo Del Campo est revenu au club, mais ce dernier démarre la saison dans la zone rouge des relégables avec la règle du promedio et sans prendre en compte les promus.

Un stade, et une histoire

Danubio reste un club à part avec son histoire tardive mais couronnée de succès. Dans ce combat des nouveaux grands derrière les deux grands, une certaine rivalité a été monté en épingle entre Danubio et Defensor. Aucun autre club n'a fait aussi ces dernières années si l'on excepte Peñarol et Nacional. Même dans la difficulté des trois-quatre dernières années, Danubio continue d'avoir un style à part, dans son stade Jardines del Hipódromo renommé en l'hommage de Doña Maria, de son nom complet Estadio Jardines del Hipódromo María Mincheff de Lazaroff. En haut de l'une des tribunes latérales, un palmier continue de saluer les joueurs et le public, ce qui doit être l'un des rares palmier encore en place au sein d'un stade de football professionnel. Et rien que pour cela, le stade vaut le déplacement en Uruguay, loin de la Bulgarie natale de Doña María.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba