Aujourd’hui, le meilleur buteur du Yémen fête ses quarante ans. Hommage à son meilleur ambassadeur.

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Dans un pays ravagé par la guerre et victime d’une situation économique et sanitaire catastrophique, le football fait office d’échappatoire pour les trente millions de Yéménites qui regardent les matchs entre deux mâchouillements de qat, la drogue locale. Et les occasions sont peu nombreuses de se réjouir, eux qui voient les Shayatin Ahmar se faire rosser match après match.

Avant la guerre, le football était déjà dans un état embryonnaire, survivant de combines en bout de ficelles. Seul un jeune garçon qui débuta au Al-Ahli Sana’a, son presqu’amour de toujours, parviendra à les faire vibrer un tant soit peu. Son nom : Ali Al-Nono. L’Al-Ahli est l’une des grosses cylindrées locales, avec quelques trophées dans la boutique, et Ali va en profiter pour augmenter sa moisson de buts. Lancé dans le grand bain en 98, il connait ses premières joies avec le titre en 99 et explose tout la saison suivante en décrochant le titre et le soulier d’or avec vingt-quatre buts. La machine est lancée et le bonhomme récidive la saison suivante : quatorze buts et une nouvelle breloque dorée. Parallèlement, Al-Nono intègre une équipe yéménite qui ne parvient pas à monter en puissance, peu aidée il est vrai par un contexte hostile à l’épanouissement. La sélection est une habituée des déceptions, n’ayant connu de compétition qu’à l’époque où le pays était divisé en deux. Ali commence donc son aventure en février 2000 plantant un goal au Népal pour sa première apparition. Muet contre le Turkménistan et le Koweït, il s’offre un ensuite un triplé lors de la plantureuse victoire 11-2 contre le Bhoutan. Insuffisant pour atteindre le tour suivant malheureusement. Mais une osmose semble se créer dans l’équipe. Avec son compère d’attaque Al-Salimi (d’ailleurs deuxième meilleur buteur de la sélection), il formera une doublette redoutable et pulvérisera quelques défenses en chemin. Lors des qualifications pour le Mondial 2002, le Yémen passe à un fifrelin du deuxième tour malgré les prouesses de son duo (six buts pour Al-Salimi, quatre pour Al-Nono), concédant un nul à domicile contre l’Inde alors que les Émirats trébuchaient chez eux. Une dernière occasion leur sera donnée de se qualifier à la Coupe d’Asie 2004 mais les Yéménites échoueront à trois points de l’Indonésie. La suite des aventures de la sélection ne se résumera plus alors qu’à des échecs répétés, replongeant le Yémen dans l’ombre du football asiatique.

Pendant ce temps, Ali s’était offert une petite pige au Al-Shaab Ibb pour la première participation du club à l’AFC Cup. Il s’offrira un but face au Nejmeh libanais, mais le club sortira dès le premier tour. Mais son talent commence à dépasser les frontières du pays. Ayant fait le tour de la question au pays, il décide de franchir la Mer Rouge pour atterrir chez le géant soudanais d’Al-Merreikh. Son aventure africaine commence bien lorsqu’il offre la victoire face aux Zambiens des Green Buffaloes au premier tour de la Coupe des Confédérations Africaine. Las, la défaite 2-0 au retour sonne le glas des ambitions continentales du club d’Omdourman. Sa saison à Al-Merreikh se clôturera sur six petits buts, et le voici chez les Bahreïnis de Busaiteen. Un petit but plus tard, il reprend son baluchon et atterrit chez les Syriens de Tishreen. La demi-saison blanche vécue le pousse à revenir à Al-Ahli Sana’a, son premier amour. Il y inscrit une quarantaine de buts en trois saisons et demie et s’offre quelques perles continentales face à Al-Wehdat (Jordanie) ou East Bengal (Inde). Une dernière infidélité au Al-Tilal en 2010 avant de revenir une dernière fois à Al-Ahli et vingt buts en en une saison et demie.

En équipe nationale, malgré une palanquée de buts dans des matchs cruciaux de la part de son striker, le Yémen ne parvient pas à franchir un palier. Ironie du sort, Ali Al-Nono s’offrira sa masterclass pour sa dernière compétition, le WAFF Championship 2010 : il ouvre le score face aux Irakiens, s’offre un doublé contre la Palestine mais s’incline aux tirs au but en demi-finale contre le Koweït après avoir ouvert le score. Désireux de partir par la grande porte, Al-Nono disputera son dernier match avec le maillot rouge en novembre 2010 avec un doublé contre l’Ouganda.

Al-Ahli Sana’a voit également son héros raccrocher les crampons définitivement à la fin de la saison 2011-2012 à trente-deux ans. Son palmarès, dans un pays aux infrastructures et à l’encadrement faméliques, est impressionnant : meilleur buteur du Al-Ahli, du championnat yéménite et de la sélection, il compte trois championnats, trois coupes nationales, un bon sac d’anecdotes et le statut de légende d’une nation sans cesse bafouée et reléguée dans les méandres de la realpolitik froide et macabre.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.