Formé à l’académie de Mimosifcom du Français Jean-Marc Guillou, Gervais Yao Kouassi alias Gervinho est vite arrivé en Europe et a connu une brillante carrière, notamment en France et en Italie, entrecoupée par un bref exil doré en Chine. Retour sur le parcours de cet attaquant à la rapidité foudroyante et aux dribbles dévastateurs.  

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Originaire d’Anyama, située à dix kilomètres d'Abidjan en Côte d'Ivoire, le petit Gervais Yao Kouassi tape dans son premier ballon dès son plus jeune âge. Comme beaucoup d'enfants issus de zones géographiques défavorisées, son apprentissage se passe dans la rue. Son enfance est difficile, sa famille nombreuse et quand l'opportunité d'intégrer l'académie du Français Jean-Marc Guillou se présente, la perspective d'une carrière professionnelle est encore floue mais bien réelle. Le petit Gervais a onze ans quand il rejoint la structure fondée par l'ancien joueur du SCO Angers lors des années 60/70. Arrivé en Afrique en 1993, le Français occupe alors successivement les postes de directeur technique et entraîneur de l'ASEC Mimosas avant d'endosser le costume de sélectionneur national des Éléphants. Parallèlement à ses fonctions, Guillou fonde son Académie en s'associant donc au plus grand club du pays : l'ASEC Mimosas. La structure s'implante à Sol béni, grâce notamment aux financements du trust local nommé Sifcom (d'où le nom de l'Académie). Fin connaisseur et doté d'un redoutable flair, le Français récupère tous les jeunes de Abidjan et de sa banlieue pour son Académie afin d'en faire une pépinière de talents. Très vite, il obtient l'étiquette d'éleveur de champions.

« J'ai commencé à jouer pour une équipe de mon pays avant de m'installer à l'académie d'Abidjan à l'âge de onze ans, où ma formation de footballeur a commencé. Vous jouiez sans chaussures, pour obtenir la première paire, vous deviez passer trois tests, un par an. » - Gervinho

Pendant quatre ans, le jeune garçon apprend les bases du métier de footballeur et hérite de son surnom attribué par un des éducateurs pour le différencier d'un autre garçon portant le même prénom : Gervinho, le petit Gervais en portugais. En 2002, Gervinho quitte ce cocon et rejoint le club de Toumodi FC évoluant alors en deuxième division. Pendant deux ans, il poursuit son apprentissage du haut niveau. Mais un événement va bouleverser la suite de sa carrière. À Abidjan, les relations entre Roger Ouégnin (président de l'ASEC Mimosas) et Jean-Marc Guillou se tendent considérablement. Le Français claque la porte et emmène avec lui la dernière génération de jeunes talents. Il rebondit en Belgique, au KSK Beveren. Dans cette ville flamande, toute proche d’Anvers, Guillou n'est pas totalement dans l'inconnu. En effet, le club Belge a un partenariat avec l'ASEC Mimosas. Cet accord lui permet de récupérer les meilleurs espoirs africains pour son équipe pro comme Emmanuel Eboué, Romaric ou Yaya Touré à moindre coût. Et Jean-Marc Guillou n'oublie pas de débaucher le jeune Gervinho de Toumodi. Âgé de dix-sept ans, le frêle jeune homme débarque en Europe et débute ainsi son parcours sur le Vieux Continent.  

La découverte de l'Europe

Avec Jean-Marc Guillou aux commandes, les « Académiciens » composent principalement l'effectif de Beveren. Le club de Flandre orientale devient un petit territoire africain en Belgique. Cette politique sportive est une grande première en Europe. Pour sa première saison au club, il obtient le maintien uniquement grâce aux déboires d'autres clubs relégués administrativement, mais atteint la finale de la Coupe de Belgique perdue face au Club Brugge (4-2). Lors de cette finale, Beveren n'aligne aucun joueur belge au coup d'envoi s'appuyant fortement sur une grande colonie ivoirienne. Gervinho débute quant à lui son adaptation européenne en passant par les équipes de jeunes pendant une année pour étoffer un physique encore assez fluet. En 2005, il intègre l'effectif pro et si les résultats de Beveren continuent d'être (très) décevants, les stats de Gervinho sont encourageantes avec trente-deux apparitions pour six buts et trois passes décisives. L'équipe manque d'expérience et flirte avec la relégation (seizième, premier non relégable). Les critiques commencent à poindre dans cette région traditionaliste. La qualité de jeu n'est pas au rendez-vous et Jean-Marc Guillou n'est pas épargné. Le Français est accusé de tirer des profits financiers de la vente des joueurs vers de plus grands clubs. Finalement licencié, Guillou quitte Beveren en 2006. La collaboration avec la Côte d'Ivoire s'interrompt (de facto) immédiatement. Mais, malgré ce changement de staff et de politique sportive, l'équipe belge sombre davantage lors de la saison 2006/07 avec une descente en Division 2. Et Gervinho quitte la Jupiler Pro League en même temps que son club.  

L'Ivoirien opte pour la France et s'engage avec Le Mans. Dans la Sarthe, il retrouve son ancien coéquipier Christian N'dri Koffi aka Romaric. Le montant du transfert est de 600 000€. Candidat annoncé à la Ligue 2, le MUC 72 de Rudi Garcia va déjouer les pronostics. En plus de la signature de l'ailier africain, le club opère un recrutement malin avec les arrivées de Grafite ou encore Stéphane Sessègnon. L'effectif est déjà cosmopolite avec la présence du Monténégrin Marko Baša, du Japonais Daisuke Matsui, du Brésilien Túlio de Melo. Le groupe comprend également Yohann Pelé dans les buts, Mathieu Coutadeur au milieu et Anthony Le Tallec en attaque. Le bon début de saison du Mans (trois victoires et un nul en quatre journées) place l'équipe sur une bonne dynamique. Le jeu offensif proposé par Garcia enchante le stade Léon Bollée. Dans ce nouvel environnement, Gervinho tarde pourtant à trouver ses marques. Ses qualités de vitesse, de percussion, de dribbles sont déjà là mais c'est encore assez brouillon. Son premier but en L1, inscrit contre Nancy, fait office de déclic. Il est libéré, délivré. Désormais plus rien ne l'arrête. Dorénavant plus incisif et décisif, il participe à la belle campagne réalisée par son club avec une étonnante neuvième position et une demi-finale en Coupe de la Ligue. Malgré le départ de Rudi Garcia pour Lille, Gervinho continue sur sa lancée et réalise encore des prestations de qualités. Cependant, malgré une bonne entame de championnat, Le Mans se dérègle et débute une lente chute au classement. La saison est galère avec trois changements de coachs (Bertucci, Jeandupeux et Cormier) mais finalement, Le Mans obtient son maintien sur le fil. 

Entre Rudi et moi, c'est comme un père et un fils. C'est comme une famille. - Gervinho  

Après deux saisons convaincantes au MUC, Gervinho attire les convoitises. Plusieurs clubs dont l'Olympique de Marseille et l'Atlético de Madrid sont sur les rangs. Cependant, l'attaquant choisit de s'engager avec le LOSC contre 6,5M€ où il retrouve son ancien entraîneur Rudi Garcia. Dans un premier temps, l'ancien joueur de Malherbe place son protégé sur le banc. Mais au fur et à mesure, l'Ivoirien gagne sa place de titulaire dans le onze lillois. Là encore, sa rapidité, son adresse devant le but et ses dribbles déroutants ont une réelle influence sur les prestations des Dogues. Gervinho monte en puissance, il est même le meilleur buteur du championnat à la mi-saison (onze buts en seize matchs). Il se distingue notamment avec quatre doublés toutes compétitions confondues en fin d'année. Une blessure le stoppe temporairement dans son élan mais il retrouve le chemin des filets dès son retour à la compétition. Le LOSC grimpe dans le top 4 du championnat et Gervinho gagne définitivement ses galons de titulaire. Lors de la saison suivante, l'équipe nordiste atteint le Graal en s'adjugeant le doublé coupe de France / championnat. Le trident offensif formé par l'ancien joueur de Beveren, le jeune prodige belge Eden Hazard et le buteur Moussa Sow éclabousse la Ligue 1 de son talent. Pourtant, les débuts sont laborieux mais la machine infernale se met en marche à la mi-saison pour ne plus flancher jusqu'au titre. Avec quinze buts et dix assists, Gervinho est l'un des principaux artisans de ce sacre inédit depuis ... 1954. Pour construire ce succès, Lille s'est appuyé sur une attaque prolifique et également sur une défense imperméable. La victoire en Coupe de France contre Paris (1-0) met aussi un terme à cinquante-six ans de disette.

La déception Arsenal, la renaissance romaine

Grâce à cette saison éblouissante, Gervinho part en Angleterre et émarge un contrat avec Arsenal pour un transfert estimé à 12M€. Cette arrivée est en quelque sorte l'apothéose de sa carrière. Dirigé par Arsène Wenger, l'Ivoirien reçoit un baptême du feu « so british ». Pour sa première apparition sous le maillot des Gunners, il tombe dans la surface suite à un contact avec le regretté Cheikh Tioté. Immédiatement, Joey Barton vient lui susurrer quelques mots doux à l'oreille. Un début de bagarre éclate, dans la mêlée Barton chute comme si Gervinho venait de le terrasser d'un crochet du droit « Tysonesque ». L'arbitre expulse le N°27 londonien à sa grande stupeur. La rencontre se solde par un nul (0-0). Il écope de trois matches de suspension pour comportement violent. Et Alan Pardew, le manager de Newcastle, accuse publiquement Gervinho d'avoir plongé (triché) pour obtenir un penalty sur le contact avec Cheick Tioté. Après cette péripétie, un mois plus tard, il inscrit son premier but anglais contre Blackburn lors d'une victoire spectaculaire (4-3). En octobre, il s'illustre particulièrement contre Stoke City. Décisif sur les trois buts de son équipe, il marque et donne deux offrandes pour Robin van Persie pour un succès 3-1 contre les Potters. En janvier 2012, l'Ivoirien doit quitter Arsenal pour disputer la Coupe d'Afrique des Nations, compétition où il atteint la finale (perdue 0-0 / 8-7 tab) contre la Zambie mais rate l'ultime tir au but des Éléphants. Sans doute éreinté (physiquement et moralement) par son escapade au Gabon et en Guinée Equatoriale, Gervinho ne se montre plus trop inspiré à son retour en Europe. Néanmoins, Arsenal termine à la troisième place du podium grâce à un van Persie inspiré. Si, au début de la saison suivante, Gervinho est encore dans les petits papiers du manager alsacien, petit à petit il va perdre son statut de titulaire et doit se contenter de bout de matches.

Son temps de jeu fond notamment en Premier League où son total monte péniblement à dix-huit apparitions dont seulement douze titularisations. Contre Southampton, il claque un doublé (6-1) et marque son premier but en Champion's League contre une vieille connaissance de L1 : Montpellier. Après plusieurs mois de disette, il retrouve le chemin des filets en mars contre Swansea City (2-0). Remplaçant contre les grosses cylindrées, l'Ivoirien doit se contenter de match moins huppé comme contre Reading (4-1) où il en profite pour se signaler avec un but et deux passes décisives et un titre d'homme du match. Mais son aventure londonienne touche à sa fin. Sur le marché des transferts, l'attaquant trouve un nouveau point de chute à Rome pour 8M€. Dans la Ville Éternelle, il retrouve (à nouveau) son ancien coach au Mans et à Lille : Rudi Garcia. Le Français a bataillé pour le recruter car sa dernière saison anglaise ne plaide pas en sa faveur. Mais avec la tunique giallorossa, Gervinho va connaître une renaissance. En Italie, il récupère son énergie. Sur le papier, il est aligné sur l'aile gauche ou droite dans un 4-3-3 mais en réalité, lors des phases offensives, cela se transforme en 4-3-1-2. L'icône Francesco Totti quitte alors son rôle de faux N°9 pour se positionner en meneur de jeu et laisse l'attaque à Gervinho et Adem Ljajić. Rapide, puissant et agile, Gervinho s'engouffre dans les espaces (trente-trois matches, neuf buts et dix assists). Ses qualités de dribbleur et ses changements de direction soudains donnent le tournis aux défenseurs transalpins. La Roma réalise un exercice de haut vol luttant jusqu'à la fin pour le Scudetto. Malheureusement, Osvaldo (transféré de la Rome à Southampton l'été précédent puis prêté à la Juve au mercato hivernal) ruine les derniers espoirs romanisti en inscrivant le fameux Gol dell'Ex à la 90+4e pour la Juve et climatise l'Olimpico (0-1) par la même occasion.

« J'ai eu la chance de jouer avec pas mal de grands joueurs, dans de grands clubs. Il fait partie de ces joueurs qui m'ont marqué, mais le n°1 pour moi ça reste Francesco Totti. C'était un joueur tellement spécial. Il voyait avant les autres. Il faut vivre avec lui pour le comprendre. C'est une légende. » - Gervinho

Pour sa seconde saison italienne, Gervinho et la Roma vont se hisser à la même place au classement (deuxième) mais cette fois, la Juventus est trop forte pour les joueurs de Rudi Garcia. Dix-sept points séparent les deux formations. Un monde. L'Ivoirien se montre moins réaliste devant le but (deux buts seulement en Serie A) et également moins décisif (quatre passes dé). Ses statistiques sont à la baisse. Son temps de jeu également. Les fameuses accélérations de l'attaquant ne sont plus aussi probantes. Par contre, ses prestations en Coupe d'Europe (Champion's League puis Europa League) sont plus en rapport avec le standing du joueur. À l'aube de la saison 2015/16, la concurrence devient encore plus rude avec les arrivées de Stephan El Shaarawy, Iago Falque, Diego Perrotti ou Mohamed Salah pour les flancs offensifs et Edin Džeko pour l'axe de l'attaque. Malgré ces nouveaux renforts, Gervinho hisse son niveau de jeu et retrouve des stats plus en adéquation avec ses qualités. Cependant, le règne de Rudi Garcia a la tête de la Magica touche à sa fin. La crise de résultats lui est fatale et il doit céder son poste à Luciano Spalletti en janvier 2016. Sans son mentor, la période du mercato hivernal permet à l'Ivoirien de saisir une superbe opportunité financière. L'offre émane du club chinois du Hebei China Fortune. Le transfert s'élève à 18M€, soit une belle plus-value pour le club romain, et le salaire (démentiel) atteint des chiffres vertigineux avec dix millions d'euros par an, soit plus de deux cent mille euros la semaine. L'exil doré dure deux ans et demi marqué par une grave blessure au genou gauche.

Le rebond à Parme

Après cette expérience « enrichissante » et des performances contrastées en CSL, Gervinho veut rentrer en Europe. Éloigné des radars pendant plus de deux ans, il reste néanmoins dans les esprits des dirigeants parmesans. Le Parme Calcio 1913 vient de gagner son ticket en Serie A après une descente en enfer initiée en mars 2015 quand ce club historique italien est déclaré en faillite et relégué en Serie D à l'issue de la saison 2014/15. Après la création d'un nouveau club soutenu à titre privé par plusieurs industriels locaux dont Guido Barilla (co-propriétaire du groupe éponyme), Parme va réussir un exploit retentissant dans le Calcio en obtenant trois promotions consécutives passant de la Serie D à la A en l'espace de trois ans et inédit puisqu'il s'agit de la première équipe italienne à parvenir à ce succès. À 31 ans, Gervinho arrive en Émilie-Romagne pour apporter son expérience du haut niveau. Mais il s'agit d'un pari mutuel. Parme n'a plus le faste des années quatre-vingt-dix et un joueur comme Gervinho est une aubaine. Cependant, sa forme physique interroge. Suite à sa blessure, il n'a pas beaucoup joué (seulement onze apparitions en deux ans). Et les joueurs revenus de China Super League ont souvent éprouvé des difficultés pour se réadapter au rythme européen. En dépit de ces réticences, Gervinho va étonner les observateurs. Ce retour dans la Péninsule lui redonne une seconde jeunesse. Roberto D'Aversa décide de repositionner son attaquant dans l'axe du terrain. Avec sa pointe de vitesse et sa capacité à prendre les espaces, il convient parfaitement au jeu de contre pratiqué par le néo promu.  

« Je n'ai aucun doute sur mes capacités, j'ai confiance en moi, je connais mes qualités. Avec mon équipe, on sait ce dont on est capable et c'est le plus important. » - Gervinho

Gervinho étrenne son nouveau maillot contre la SPAL (défaite 1-0) et marque son premier but contre Cagliari (victoire 2-0). Cette réalisation est magnifique. Il récupère le ballon dans ses trente mètres, part balle au pied et résiste au retour de deux joueurs sardes. Maintenant, il file plein axe et avance dans le camp adverse. Dans les vingt derniers mètres, il place une dernière accélération fatale à la défense des insulaires et place une frappe tendue qui rentre avec l'aide du montant. Incroyable. L'Ivoirien mérite bien son surnom brésilien. Il se signale encore contre la Juventus en signant un étonnant doublé synonyme de match nul contre la Vecchia Signora (3-3) avec un deuxième but à la 90+3e. Parme parvient à décrocher son maintien sans trembler (quatorzième) et Gervinho n'y est pas étranger avec ses onze buts en trente matches. Pour la première fois, il atteint cette barre symbolique en Serie A. Les débuts de la saison 2019/20 sont plutôt moyens, même si Parme se distingue avec un nul obtenu contre l'Inter de Conte (2-2) où Gervinho marque le second but de son équipe. En fin d'année, l'Ivoirien offre un précieux succès sur le terrain du Napoli (1-2 à la 90+3e). Lors du mercato hivernal, il est écarté de l'effectif pro en raison d'absences répétées à l'entraînement. Une sanction temporaire, il est réintégré après une dizaine de jours de punition et un transfert avorté vers le club qatari de Al-Sadd. Le surlendemain de sa réintégration, il se montre à nouveau décisif pour l'emporter contre Sassuolo (0-1). La crise du COVID-19 interrompt ponctuellement la Serie A et Parme est figé à la neuvième position du classement. L'avenir de Gervinho s'inscrit en pointillé, son contrat court jusqu'en 2022 et une nouvelle expérience hors d’Europe n'est pas à exclure. Pour l'instant, l'Ivoirien poursuit sa carrière en Europe mais à trente-trois ans, une nouvelle aventure semble se dessiner pour le plus brésilien des Ivoiriens. Une carrière riche en émotions, en buts de folie et en courses frénétiques vers le but adverse.

Nicolas Wagner
Nicolas Wagner
Rédacteur Europe pour Lucarne Opposée