Le football argentin vu de l’intérieur.

Il y a un peu plus d’un an, je postais sur ce blog une vision du football argentin telle qu’elle était à l’époque, mélangeant les différents liens troubles entre Barras et pouvoir politique. Un an plus tard, alors que sur le terrain, la situation empire avec notamment l’un des plus mauvais tournoi de ces dernières années, rien n’a changé.

Afin de vous montrer à quel point le mal est profond, je me livre aujourd’hui à un exercice bien particulier puisque l’entretien qui suit n’est pas le mien mais celui mené par un journaliste argentin, Javier Perez, qui outre avoir comme principale qualité d’être supporter de River, tient un blog absolument passionnant, Futbol Argentino y Sudamericano, que tout amateur de foot argentin se doit de suivre et sur lequel il parle de ce football que lui et moi aimons tant.

Javier a récemment été interviewer Raúl Gámez. Ce nom ne vous est peut-être pas familier alors avant de vous lancer dans l’entretien, voici quelques précisions. Raúl Gámez a été par deux fois président de Vélez Sarsfield, notamment à l’époque dorée des Chilavert et consorts, époque où Vélez décrochait de multiples titres dont une couronne mondiale. Raúl Gámez est aussi celui qui tenta de faire tomber Julio Grondona de la tête de l’AFA. En vain. Aujourd’hui, Gámez s’est retiré du football de haut niveau mais garde un œil plus qu’avisé sur ce qui se passe dans les coulisses du foot argentin. C’est pour cette raison que je souhaitais vous offrir la traduction de cette entretien, et pour cela aussi que je remercie vivement Javier de m’avoir autorisé à le faire.

Les présentations faîtes, place à l’entretien.

Vous avez toujours dit que vous connaissiez tous les Barras, qu’il était impossible de le nier. Alors pourquoi les clubs et l’AFA continuent-ils à nier ?

Raul Gamez : Bien sûr que l’on sait qui ils sont. Certains sont des membres du club, d’autres y travaillent, d’autre assistent aux entraînements. Grondona dit qu’il ne sait rien des Barras parce qu’il est qu’un menteur, c’est aussi simple que ça. S’il disait qu’il les connait, cela lui donnerait quelque responsabilité. Il fait tout pour nier toute responsabilité et tout ce qui pourrait apporter doute et soupçons. C’est de la lâcheté, pas du leadership. Nous savons tous que les Barras assistent à toutes les Coupes du Monde, nous savons qui les soutient financièrement, leur délivre les visas, etc… Si nous devions trouver une solution pour remédier à ce problème, la première étape serait de virer Grondona. Ce personnage a besoin de disparaître pour le bien du football.

Cela parait simple mais alors, pourquoi personne ne vote contre lui ?

RG : Pratiquement, il est impossible de le faire partir. Il contrôle tout afin de garantir sa pérennité au sein de l’AFA. Le comité exécutif qui élit le président est composé de gens qui obéissent à tous les désirs de Grondona. Pour de nombreuses raisons, ils ont choisi de suivre le courant.

Mais quelles raisons ?

RG : Les affaires. Toujours les affaires. Prenons l’exemple d’un club, un grand. River Plate : ils ont un président assez jeune avec Passarella. Il a trouvé un club à sec, avec plus d’argent dans les caisses. Etonnant lorsqu’on sait qu’ils touchent énormément d’argent des droits télé chaque mois. Mais River a besoin d’argent, c’est un grand club, il a besoin de recruter des joueurs. Alors Passarella doit s’agenouiller devant le président de l’AFA pour lui demander des prêts afin de recruter. Et là, on parle de River. Alors imaginez pour les autres clubs, les plus petits. Ils ont tous besoin de lui, ils dépendent de lui. Ils pourraient toujours se rebeller et se battre pour leur club, mais ils sont hypocrites et préfèrent avoir une petite vie confortable.

Comment font des clubs comme Vélez, All Boys ou Lanus pour rester en dehors de ce système et survivre ?

RG : Ces clubs ont compris que le meilleur moyen pour avancer est de ne devoir aucun argent à personne, à commencer par l’AFA. Nous n’avons jamais mené ou parlé de nos affaires avec l’AFA, nous étions et restons indépendants. C’est quelque chose que Grondona déteste. Il veut avoir le contrôle de tout. L’AFA est extrêmement riche mais pour que son système fonctionne, il faut que ses clubs restent pauvres. Nous avons décidé de ne jamais suivre ce chemin.

Comment quelqu’un d’autre qui souhaiterait devenir président de l’AFA pourrait relever ce défi ?

RG : Tout le problème est là. Tous les clubs devraient changer leur mode de fonctionnement pour être dignes de confiance et moins corrompus. Par exemple, avant chaque élection, il y a toujours soit une Coupe du Monde, soit une Copa America. Et systématiquement, les présidents des petits clubs et leurs familles y sont systématiquement invités, tous frais payés. Croyez-vous qu’ils vont alors voter contre cela ? Les principaux présidents avec lesquels Grondona est aux petits soins sont ceux qui représentent des clubs situés loin de Buenos Aires. Pas tous, car certains ne votent pas. Seulement ceux qui ont ce pouvoir.
La première condition pour être élu candidat à la présidence est d’être soutenu par 7 personnes du comité exécutif. Et les élections ne sont pas à bulletin caché mais à main levée. Ainsi, tout le monde sait comment vous votez et personne ne veut être vu en train de voter contre Grondona. Les conséquences seraient terribles.

Ainsi, il est quasi impossible de se débarrasser de lui ?

RG : Oui. Avant qu’il ne parte de lui-même, il n’y a pas de solutions. Mais il n’est pas le seul en cause. On doit changer tout un système afin de mettre fin à ce réseau de corruption et de tyrannie.
Les fans et le monde doivent comprendre que Grondona maintient les clubs dans la pauvreté pour les garder sous contrôle. Grondona est le diable.

En 30 ans, personne n’est parvenu à le faire partir. Ce ne peut donc être qu’un problème restreint au milieu du football ?

RG : Bien sûr que non. Les différents gouvernements nationaux l’ont souvent reçu au congrès pour un interrogatoire : ils ont toujours conclu qu’il y avait des problèmes énormes de corruption mais pour y remédier, au lieu de le sanctionner, ils sont devenus partenaires. Maintenant, ils travaillent main dans la main avec le « Futbol para todos » (voir l’explication). En tant que projet, ce programme est excitant et je le soutiens. Mais où va l’argent et pourquoi, alors qu’ils savent qu’il est corrompu, lui donnent-ils cet argent pour prendre en charge ce programme ? L’obsession de Grondona pour l’argent est malsaine. Lorsque je vois l’état de notre football aujourd’hui, il me fait pitié.

Et que dire de la sélection nationale ?

RG : Ce qu’il s’est passé avec nos différents sélectionneurs depuis 1998 est honteux. Il dit qu’il n’a jamais viré un sélectionneur alors qu’en réalité, il a tout fait pour les faire partir, ce qui revient au même. Bielsa a toujours été mis sous pression et n’a jamais pu travailler en paix. Grondona a fait ce qu’il pouvait pour que Bielsa perde patience et parte. Bielsa n’a jamais été autorisé à travailler comme il le souhaitait. Pekerman, après la Coupe du Monde en Allemagne (personne de l’AFA n’était venu le rencontrer à l’aéroport lorsqu’ils sont rentrés au pays), a été informé que les droits de tous les matchs de la sélection nationale avait été vendus à une société commerciale russe et, qu’afin de négocier de meilleurs taux pour l’équipe, ils allaient imposer les joueurs qui devraient jouer et ceux qui devraient ne plus venir. Pekerman a décidé de partir. Même Tocalli, son bras droit et manager des équipes de jeunes, est immédiatement parti.
Basile est revenu en pensant que tout serait comme avant, quand il était sélectionneur entre 90 et 94, mais il est allé de surprises en surprises. Les choses avaient changé. Grondona cherchait déjà à placer son fils au sein de l’AFA et l’a nommé comme responsable adjoint des sélections (le numéro 1 étant Bilardo). Entre son fils qui cherchait à montrer son pouvoir et cette société commerciale russe qui influait sur la sélection, ils ont forcé Basile à partir en liguant les joueurs contre lui. Bianchi était alors leur favori, mais il ne voulait pas travailler dans ces conditions. Alors est arrivé Maradona. Mais cette fois, les russes étaient partis, les droits étant arrivés entre les mains d’une société espagnole. L’AFA pensait qu’elle pourrait dire à Diego ce qu’il devait faire, qui il devait appeler, etc… Mais ce n’est pas arrivé. Alors ils ont interrogé son entourage, sachant que c’était le meilleur moyen de faire partir Diego. Ils ont alors nommé Batista, qui est un homme de qualité mais certainement pas suffisamment compétant pour faire un tel travail. Alors ils l’ont éduqué, c’est-à-dire, l’ont influencé. Quand tout a mal tourné, il s’est retrouvé au chômage.

Il vous reste quelques objectifs ?

RG : Mon combat reste le même. On a besoin de jeunes avec une vision moderne du jeu pour nous faire avancer. Je veux qu’il s’en aille et que le système change afin de ne pas revivre les trente dernières années. Mais je ne fais pas cela pour Raul Gamez, je fais cela pour notre football que j’aime tant.

Je souhaite une nouvelle fois remercier Javier Perez de m’avoir accordé l’autorisation de traduire son passionnant entretien et vous encourage une nouvelle fois à suivre son blog.

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