La finale de Ligue des Champions la plus dramatique de tous les temps fête ses 10 ans. Le Club Sportif Sfaxien, réaliste à l’aller au Caire (1-1) avait quasiment le trophée dans les mains après 91 minutes de résistance héroïque. Le CSS était tout proche d’offrir à la Tunisie la troisième C1 de son histoire, la première depuis l’instauration de la nouvelle formule en 97. Jusqu’à ce que la légende égyptienne Mohamed Aboutrika, d’une reprise de volée géniale et implacable à la 92ème minute, n’ouvre le score (0-1) et fasse basculer encore une fois le graal dans l’escarcelle des géants d’Al Ahly.

Le match retour délocalisé au stade de Radès pour que tout le peuple sfaxien assiste à ce combat homérique. Un tifo monumental des Black and White Fighters 03 pour marquer l’histoire, en ce 11 novembre 2006. Le CSS dispute sa première finale dans l’épreuve-reine du continent, et a tenu à mettre les petits plats dans les grands. Le triomphe serait la cerise sur le gâteau d’une période faste durant laquelle les Noir et Blanc ont raflé une Ligue des Champions Arabe (2004) et le titre de champion de Tunisie (2005).

En face d’eux, un mastodonte. Le tenant du titre. Al Ahly du Caire, installé confortablement sur le toit de l’Afrique, qui un an plus tôt a mis brutalement un terme aux ambitions de l’Etoile du Sahel (0-0, 3-0). L’équipe la plus complète du continent, capable de frapper à tout moment grâce à ses nombreux atouts : la rage de l’angolais Flavio, l’opportunisme d’Imed Metaeb, et surtout la magie du redoutable Mohamed Aboutrika.

Deux semaines plus tôt, au Caire, Merdassi et ses coéquipiers avaient ramené un résultat positif, mais pas décisif pour autant. Frimpong avait répliqué avec un but de renard à l’ouverture du score d’Aboutrika. N’importe quelle équipe pourrait se réjouir d’un 1-1 à l’extérieur, mais avec l’expérience et le vécu des Ahlaouis c’est comme si les compteurs étaient encore à zéro.

A Radès, une partie d’échecs se met en place, et met les nerfs des tunisiens à rude épreuve. Malgré les apparences et la volonté du CSS de ne pas laisser l’initiative aux visiteurs (l’occasion énorme de Merdassi en première mi-temps, le but injustement refusé à Ziadi au retour des vestiaires) l’équipe du portuguais Manuel José resserre tout doucement son étreinte sur la rencontre. Boujelbène, Hammemi et Nafti (pris dans la nasse du milieu égyptien) ont beau se démener, ce sont les ahlaouis qui dictent le rythme et monopolisent le ballon au fil des minutes. La situation des sfaxiens est intenable, un 0-0 leur donne la coupe mais il suffit d’une action, d’un éclair, d’une accélération pour que l’avantage change de camp.

Une deuxième erreur arbitrale prive les hommes de Mrad Mahjoub du soulagement. Après le but refusé de Ziadi, c’est Frimpong qui est signalé hors-jeu (63ème) alors qu’il filait vers la cage adverse après un magnifique décalage de Ziadi. Le trio arbitral béninois est largué sur les hors-jeu, puisque l’arrière sfaxien Haj Messaoud avait lui aussi mis la ligne défensive à défaut, mais le gardien inoxydable Issam El Hadary (titulaire en sélection égyptienne en 2016 à 43 ans…) avait été plus prompt.

Pendant ce temps-là, Al Ahly avance ses pions et plante ses banderilles, avec Aboutrika en meneur reculé. Le missile expédié sous la barre par Hossam Ashour est sauvé in extremis par le gardien du CSS Jaouachi (58ème minute). Ce dernier capte sur sa ligne une tête de Metaeb à la 70ème. Au départ de cette action-là, on remarque un trou béant dans l’axe côté sfaxien, et balle perdue sur un deuxième ballon après un dégagement d’El Hadary. Détail anodin à ce moment-là, mais signe annonciateur de la tragédie.

Discret les trois quarts du match, Flavio sort de sa boîte. En huit minutes, deux frappes à l’entrée de la surface : une du droit sur la barre, une du gauche au ras du poteau. Ça se rapproche, mais il y a toujours 0-0, le CSS serre les dents et tient. Malgré les assauts répétés, à l’orée des arrêts de jeu, c’est toujours les sfaxiens qui sont virtuellement champions d’Afrique. 92ème minute. L’invraisemblable se produit, alors que sur un dernier long ballon de Shady Mohamed il n’y a que quatre sfaxiens face à trois attaquants ahlaouis, qui sont tous au bon endroit, au bon moment. Le repli n’a pas été assez rapide. Première déviation de Metaeb, le défenseur Hadj Messaoud au duel avec Flavio repousse la balle vers Aboutrika. Seul à l’entrée de la surface, celui-ci a tout le temps d’armer sa reprise de volée du  gauche. Un coup de fusil sur lequel Jaouachi ne peut rien faire. Dans la nuit de Radès devenue soudain glaciale, plus de 60 000 âmes ravalent leur dépit. La Ligue des Champions vient de basculer dans le camp adverse, à quelques secondes du bonheur. Seuls les hurlements du banc égyptien se font entendre.

Al Ahly remporte sa deuxième C1 consécutive, Aboutrika rajoute une ligne supplémentaire à sa légende. Le géant s’en sort in extremis, mais tombera de son piédestal en 2007, terrassé par une Etoile du Sahel enfin victorieuse (0-0, 1-3).

Les sfaxiens auront beau se consoler avec des C3 (2008, 2013) l’une des belles générations, celle de Sassi, Ben Youssef et Ndong aura beau passer tout près du graal (demi-finale de C1 en 2014) la défaite cruelle de 2006 alors que la consécration leur tendait les bras restera à jamais dans les mémoires.

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee