Grands animateurs du début de l’été, EURO 2016 et Copa América Centenario se sont terminés à quelques jours d’intervalles. L’occasion de dresser un bilan croisé qui permet d'observer deux footballs qu’un océan sépare.
54 jours passés ensemble, un bilan favorable pour l'équipe de France. Une idée d'attaque : d'emblée un quatuor Griezmann – Coman – Martial – Payet, à l'image d'un assemblage possible allemand en étoile Özil – Khedira – Kroos – Schürrle – Götze – Müller – Draxler – Reus. Faut-il réinventer le football total ? La réponse semble évidente devant l'imminence de la désillusion spectaculaire subie tout au long de ce pénible EURO. Passons les balbutiements des premiers de classe belges saisis de vertige, ayant perdu la combinaison du code, la retraite bien méritée de Don Bosque, l'idée manquante italienne, la confirmation du Brexit, les Polonais fans de tir au but, et surtout, pas de vikings pour le baume au cœur, un coup d'œil jeté à la magnifique Copa América Centenario se doit de faire pâlir l'Europe, le reste du monde, et ethnocentrisme aidant, remettre en question tous les fondements d'une approche européenne bicéphale. Soit on tente l'attaque, mais pas comme il faut, le couple franco-allemand, appelé à se retrouver, peut sauver l'honneur en se lançant réellement vers l'avant, la sacro-sainte et déjà dépassée doctrine de la possession du ballon se révélant stérile envisagée comme fin en soi et non comme chemin vers la réalisation, soit on se replie, le hérisson romain a encore de beaux jours devant lui, et on fait reculer la passion foot au niveau d'une primaire identification nationale, les Portugais de tous les pays unissant un seul et même cri autour d'un but survenant après la 110e.
J'admets qu'on pourrait me rétorquer que la finale new-yorkaise fut un poison pour les individus souffrant de haute pression, un double monologue d'une équipe albiceleste obsédée par son idole, la passe à Zizou, pardon, la passe au numéro 10 comme seule stratégie, le seul stratège bien esseulé, même à coup d'éclairs, passant trois, puis quatre, puis cinq, mais pas six Chiliens, le coach misérable toujours là pour persévérer dans le sacrifice de Messi aux bouledogues de tous les pays (suivez le mode d'emploi !), et d'une équipe furieuse, rouge, fulminant à la testostérone, courant plus vite que Pepe même à la 120e, avec comme principal schéma une infusion, obsessionnelle également mais savante celle-là, de trois ou quatre joueurs s'immisçant simultanément et inlassablement dans les 16 mètres, et principalement dans cette zone-là. Certes un monologue monomaniaque entre deux conceptions figées du jeu en guise de finale. Je ne dis pas le même résultat qu'en Europe, tant on se réjouit de voir le Chili frotter le verrou portugais en Coupe des Confédérations 2017. Mais… intervenant tardivement dans le paragraphe, un « mais » d'une ampleur titanesque : tout le tournoi de la Copa América 2016 !
Photo : HECTOR RETAMAL/AFP/Getty Images
Prenons la méthode Godard. Vous avez dit… ? Oui, oui, Jean-Luc Godard, la nouvelle vague, « Le Mépris » et bien d'autres… quand l'art rejoint le sport. Il s'agit donc, dans un tournoi, méthode pensée avant tout pour un tableau à élimination directe, le tennis par exemple, de choisir un protagoniste, de le suivre jusqu'à ce qu'il s'incline, puis de suivre le tombeur, et ainsi de suite jusqu'à la victoire finale. Etant dispensé de traiter davantage de la finale new-yorkaise, je prends le Panama. Victoire initiale contre une équipe de Bolivie plus solide qu'on le prédisait. Après le but victorieux 2-1, la prière, en cercle, yeux fermés, communion autour d'un socle commun, pour nous le jeu. Des joueurs peu connus au niveau international, un talent fou. Un système tactique flexible, merci « Bolillo », laissant aux joueurs la possibilité de dribbler sur une courte distance, puis de lancer dans la profondeur par des passes rapides vers l'avant, pas forcément longues, permettant ainsi la complémentarité entre tous les joueurs, un replacement rapide de tous, chacun pouvant occuper divers postes, l'opposé d'une spécialisation moderne à outrance d'une seule fonction, entendez la tâche d'un numéro apposé à un joueur, ne pas lâcher son vis-à-vis, etc. Mais ils peuvent aussi percer seuls, laisser parler leur puissance athlétique balle au pied, ou, chercher la tête vu leur taille. Ce superbe cocktail est l'antidote contre le bâillement. Pas une seconde des trois matchs du Panama n'est ennuyeuse. Oui, les espaces ainsi offerts à l'adversaire équivalent à une prise de risque, Messi a ainsi vécu sa plus belle soirée du tournoi, mais les Chiliens ont pris deux buts. Le Panama ne s'est pas qualifié pour le tableau final, échec total selon certains dont le seul intérêt est la récompense de l'ordre du mérite, mais merci universel pour réconforter les amateurs de ballon rond.
On pourra toujours se demander ce que serait cette recette appliquée à des joueurs disposant d'un plus grand capital de formation dans leur pays, d'un niveau physique plus pointu, d'une équipe complète n'ayant pas souffert de l'absence de Blas Pérez lors du dernier match. Reste que, poursuivant la méthode jusqu'à son point culminant, le Panama entrevu aux Etats-Unis est sans doute héritier d'une défaite au tour préliminaire des qualifications de la CONCACAF pour l'Afrique du sud 2010. Il s'agit d'une défaite à l'extérieur au Salvador en juin 2008 après avoir remporté pourtant l'aller 1-0. Cette désillusion ne sera toutefois jamais le désaveu d'un football résolument peu calculateur, Julio Dely Valdés développant par la suite les qualités de ses joueurs soutenus par l'élan populaire des 3 millions de Panaméens, dont « el partido de pelota » sur terrains synthétiques les vendredis et samedis soirs, dès 8 joueurs, est une des activités favorites (pas de contrôle des licences en vue à ce niveau-là…). Seules 7 minutes séparaient le Panama de la coupe du monde brésilienne, et deux buts étasuniens lors de l'ultime rencontre de l'Hexagonal. Chacun aura donc son blocage psychologique, sa bête noire, mais l'idée de pouvoir réussir aura désormais fait son chemin dans les têtes panaméennes. Il reste deux journées pour atteindre à nouveau l'Hexa, dont un grand test face au Costa-Rica qui n'a plus rien de grand. Le niveau de la CONCACAF est impressionnant, la liberté dans le jeu dont disposent ses équipes fait rêver. Il se pourrait que Russie 2018 soit le théâtre de l'irruption du Panama sur la scène footballistique internationale.
Photo : DON EMMERT/AFP/Getty Images
Le Panama éliminé par le Chili, je m'abstiendrai de tout commentaire face à la déroute infligée par ces derniers au Mexique, avide de vivre lui aussi son cauchemar brésilien en ses terres, courant à la dérive derrière un rêve avorté. Il s'en remettra et se réjouit de faire vivre à ses bourreaux le fruit de son dur apprentissage en Russie 2017. La méthode Godard sera délaissée après avoir suivi le tombeur du Panama jusqu'en demi-finale, avec un affrontement titanesque contre la Colombie. Deux buts en 15 minutes, mais une réponse différente qu'au tour précédent face au virus chilien. Mi-terrain, dans l'axe, la Colombie comprend qu'il faudra gagner les duels. Elle y va, au corps à corps. Et gagne, passe, se montre dangereuse. La méthode panaméenne semble posséder ses talentueux homologues, élimination de l'adversaire direct, projection courte et rapide vers l'avant, puis passe devant soi, axe ou côtés, Cuadrado, James, Bacca à la réception. Nerveux, virtuose, spectaculaire. Seule une vision dantesque des ouragans s'abattant sur les buildings de Chicago viendra égaler ce spectacle haletant, déferlant par des trombes orageuses deux heures durant à la mi-temps, exprimant dans la fureur des éléments l'incandescence du football ici pratiqué. Il aura manqué à la Colombie une petite vingtaine de minute accolée à la première mi-temps, la rupture aura raison d'elle. On en reparlera en 2018.
Prenant finalement les matchs à l'instinct, ras-le-bol des méthodes, comment ne pas évoquer ce quart sulfureux entre cette belle Colombie et le flamboyant voisin péruvien ? Nous autres, pauvres Européens réduits à se connecter sur « rojadirecta » au milieu de la nuit pour suivre un vrai match de foot, avions délibérément l'impression de regarder une version accélérée de tous les matchs de l'EURO réunis. Et d'un côté, de l'autre, sans calculer, plein axe, sur les côtés, relance en mode 1 seconde, que d'efforts, que de sueur, et de larmes, un vrai torrent celui-là, celles de l'incroyable Cristian Cueva à l'issue des tirs au but. Peut-être surprenant au début, ce format à élimination directe adopté pour la Copa jusqu'à la finale, à savoir les tirs au but directement après les 90 minutes de jeu, pourrait expliquer cette débauche d'envie pendant les minutes passées à régaler les spectateurs d'un football aujourd'hui en voie de menace d'extinction. Serait-ce un modèle pour le prochain EURO ? Ou faut-il commencer directement par les tirs au but, diraient les cyniques ? Bref, on aimerait voir plus souvent cet écho de Roumanie-Argentine 1994.
Quelle leçon tirer de planète football 2016 ? Le temps passé ensemble façon Deschamps reste plein de promesses, mais le beau jeu souffre. Imprécis en Europe, l'artiste est châtié, à une lettre près, par l'élève appliqué qui suit les règles, révise ses devoirs et obéit au maître. Rien contre les bûcheurs, on les révère, surtout ceux qui ne font pas tomber Kingsley Coman partant tout seul vers le but après avoir passé trois rouges à la 98e (carton jaune pour Carvalho). En Amérique (serait-ce donc actuellement la seule réelle équation ? Allez l'Afrique ! Allez l'Asie ! On vous attend!), les pépites brillent un peu, beaucoup plus. J'en viens à ne plus penser football qu'aux heures nocturnes des matchs de qualification CONMEBOL pour Russie 2018. Et je n'ai encore évoqué ni Neymar – Casemiro version Tite, ni Suárez - Godín quand l'un d'eux sera enfin de retour, ni le second de groupe, l'Equateur. C'est beaucoup dire.
Quand l'élève latino enchante le monde, s'enchante lui-même, l'élève européen révise ses gammes, observe les dissonances, confond vitrine sur le monde avec officine obscure où l'on teste ses combinaisons, reprend, salit, nettoie. Mais le temps passe… Et le temps passé ensemble vaut peut-être de l'or. Loin d'avoir encore trouvé l'alchimie, Deschamps augure finalement de temps meilleurs, et on le croit, s'il ne s'empêtre en regardant ses propres pas au lieu du but adverse comme l'ami allemand. Pendant ce temps, l'amoureux attend un foot total réinventé à la sauce européenne, comme il se profile de l'autre côté de l'Atlantique. Merci donc à cette Copa de gala qui a fait rêver celle et celui qui a pris le temps de s'arrêter, et puisse la ferveur des stades s'importer du côté russe dans une année pour, cette fois, une préparation qui n'aura rien d'un exercice.
Photo une : HECTOR RETAMAL/AFP/Getty Images